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Côte d''Ivoire

Tout le monde repart de Paris satisfait

La conférence des chefs d’Etat sur la Côte d’Ivoire a été clôturée le 26 janvier par un point de presse animé par le président Jacques Chirac. Les présidents Laurent Gbagbo de Côte d’Ivoire, Bongo du Gabon, Abdoulaye Wade du Sénégal, Thabo Mbeki d’Afrique du sud, le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan et le président de la Commission européenne, Romano Prodi, ont tour à tour pris la parole pour exprimer leur satisfaction sur l’accord obtenu à Marcoussis. Mais, pendant ce temps des marches de protestation sont organisées à Abidjan.
L’accord de Marcoussis immédiatement applicable est effectivement entré en vigueur avec la nomination d’un nouveau Premier ministre en la personne de Seydou Diarra. Dans la foulée de cette nomination, quelques indiscrétions des dirigeants de la rébellion exacerbent les tensions à Abidjan. Selon le MPCI, le ministère de la Défense et de l’Intérieur lui reviendraient. Cette annonce fait l’effet d’une bombe à Abidjan, où les militants du régime au pouvoir organisent des marches de protestation. Ils ne veulent pas de cet accord, perçu comme un «diktat» de la France. Dès les premières heures de la matinée, des milliers de personnes ont convergé vers l’ambassade de France à Abidjan en scandant des slogans hostiles à la France. Plusieurs départs de feu ont été maîtrisés par les militaires envoyés en renfort pour sécuriser les bâtiments de la délégation française. La représentation diplomatique du Burkina Faso a aussi été partiellement endommagée par le feu.

La relative passivité des forces de l’ordre accroît la peur des populations étrangères dans Abidjan. Le président Jacques Chirac a annoncé que des dispositifs militaires sont mis en place à Abidjan pour protéger les personnes et les biens des Français et des étrangers. En effet, des hélicoptères ont débarqué à l’ambassade de France plusieurs détachements de soldats en fin de matinée. Face à la montée de la violence, le président Gbagbo a été contraint de convoquer dans un salon privé du Centre de conférence international, où se tient la conférence des chefs d’Etat, la presse étrangère pour lancer un message aux manifestants à Abidjan. Il appelle les uns et les autres au calme. Il s’est engagé à convaincre les siens à accepter, comme lui, l’accord de Marcoussis «qui est un pas vers la réconciliation nationale», dit-il. «Nous avons décidé de faire taire les armes pour discuter», ajoute-t-il. Le président Jacques Chirac a renouvelé sa confiance dans la capacité de Laurent Gbagbo de faire respecter l’application de l’accord pour que «la Côte d’ivoire retrouve la paix et la sérénité».

«Je n’ai pas gagné la guerre»

Le président la République française a d’ailleurs salué les «efforts réels» de Laurent Gbagbo pour le rétablissement rapide de la paix en Côte d’Ivoire. Il a insisté sur le respect, «au pied de la lettre» des engagements de toutes parties signataires de l’accord de Marcoussis, pour que «l’intégrité territoriale, la légalité constitutionnelle et les principes d’un pouvoir démocratique soient préservés en Côte d’Ivoire». D’ailleurs, pour le président de Côte d’Ivoire «tout est préservé. Je rentre à Abidjan pour exécuter ma part de travail en faveur de la paix, et c’est ce que je vais aller expliquer à mes compatriotes», précise-t-il. «Il y a deux manières de sortir de la guerre: on la gagne ou on discute. Moi je n’ai pas gagné la guerre donc il faut qu’on en tire les conséquences ; si j’avais gagné, il n’y aurait pas eu Marcoussis», ajoute-t-il d’un ton grave. Il s’est engagé à expliquer à ses compatriotes le sens des compromis que son régime a dû accepter. La transition et la cohabitation imposées par l’accord de Marcoussis n’est pas une nouveauté pour lui qui fait déjà «participer à son gouvernement plusieurs partis politiques, dont certains sont classés dans l’opposition» fait-il remarquer. Il a invité Thabo Mbeki, président en exercice de l’Union africaine, et Abdoulaye Wade, président en exercice de la CEDEAO, à assister à Abidjan à l’installation du nouveau gouvernement.

Au nom de la CEDEAO, le président Aboulaye Wade du Sénégal, a reconnu l’échec des tentatives africaines de résoudre le conflit en Côte d’Ivoire sur le continent, « parce que nous n’avons pas les moyens nécessaires pour garantir la paix ». Il a salué l’efficacité de la diplomatie française et l’implication personnelle du président Jacques Chirac. Il a réaffirmé la contribution de la CEDEAO pour la paix en Côte d’Ivoire par l’envoi d’une force de maintien de la paix qui travaillera en collaboration avec les soldats de l’opération Licorne et «qu’elle a d’ailleurs vocation à remplacer», a-t-il ajouté. Pour le président Thabo Mbeki il appartient maintenant à l’Afrique «de voir ce qu’elle peut apporter de plus à la Côte d’Ivoire dans l’application de l’accord de paix. C’est dans ce sens qu’il s’engage à convoquer bientôt un sommet extraordinaire au siège de l’Union africaine, à Addis-Abeba. Le secrétaire général de l’ONU a, quant à lui, annoncé que le Conseil de sécurité se préoccupera de la question ivoirienne lors de sa séance du 28 janvier. Il attend les conclusions d’une commission d’enquête sur les droits de l’homme et réaffirme la présence de l’ONU sur le plan humanitaire et en faveur des réfugiés. S’adressant aux politiciens ivoiriens, il leur a rappelé leurs devoirs envers le peuple qui consistent à lui «garantir la paix».

Le président de la Commission européenne, Romano Prodi, invitée à la conférence de Paris et au point de presse des chefs d’Etat, s’est exprimé au nom de l’Europe, pour rappeler son «attachement à la paix dans le monde». Il a annoncé une aide de 400 millions d’euros de l’Europe en faveur de la Côte d’Ivoire, dont 150 millions immédiatement pour soutenir les efforts de sortie de crise.

Dans cette atmosphère grave et tendue dans laquelle tous les mots étaient pesés, le président Bongo du Gabon, qui se revendique «doyen des chefs d’Etat africains», a apporté quelques notes d’humour en tutoyant Jacques Chirac et Dominique de Villepin (ministre français des Affaires étrangères) en les remerciant pour «leur travail en faveur de l’Afrique». Il a fait partager à l’assistance le ton sur lequel il aurait dissuadé le président Gbagbo de démissionner. «Si tu fais ça, alors tu es un lâche, lui-ai-je dit», rapporte-t-il en félicitant Laurent Gbagbo pour «son sens des responsabilités».




par Didier  Samson

Article publié le 26/01/2003