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Maroc

Libre-échange : les enjeux d’un accord

Le Maroc a entamé ce 21 janvier à Washington les négociations qui doivent déboucher sur un accord de libre-échange entre le Royaume et les Etats-Unis. Ce qui lui a valu une mise en garde française.
De notre correspondante à Casablanca

«Un accord de libre-échange entre le Maroc et les Etats-Unis serait incompatible avec l’approfondissement des relations économiques entre le Maroc et l’Union européenne», a déclaré François Loos à Rabat le 14 janvier à l’issue d’une visite de deux jours. A la tête d’une délégation d’entrepreneurs français, le ministre délégué au Commerce extérieur a ainsi suscité un début de polémique. Dans la presse marocaine, du moins, les entrepreneurs marocains n’ayant pas réagi. Les journalistes dénonçaient une «décision unilatérale», souvent qualifiée de «néo-colonialiste», de la part d’un pays avide de conserver sa «chasse gardée». Un point de vue largement relayé par Robert Zoellick, le représentant américain au commerce.

Pour ce dernier, il s’agit «d’une vision européenne rétrograde qui date de l’époque du colonialisme mercantiliste. Nous voulons offrir ici plus d’opportunités et non pas les réduire. Je suis convaincu que la position de François Loos n’est pas la vision européenne, bien qu’il y ait des gens en Europe qui semblent accuser deux cents ans de retard».

La réalité est en fait beaucoup moins simpliste que ne le laissent entendre ces déclarations à l’emporte-pièce. «L’admonestation» de François Loos met juste à jour les enjeux de l’accord de libre-échange que les Marocains sont partis négocier aux Etats-Unis. Il faut savoir, en effet, que le Maroc renégocie actuellement avec l’Union Européenne le volet agricole de l’accord d’association signé en 1996 et entré en vigueur en 2000. Ce qui doit élargir l’accès au marché communautaire des produits marocains. La France souhaite que la négociation aboutisse rapidement, de façon à renforcer ces échanges. Le Maroc, pour sa part, vient de faire une proposition de «statut avancé», à même de garantir la pérennité et l’intensification de ses relations avec l’Europe. Ce que les deux parties s’accordent à reconnaître comme «autant de signes du dynamisme de la relation euro-marocaine». Pour le cabinet du ministère du Commerce extérieur français, le Maroc doit, cependant «ne pas brouiller le message quant à ses priorités».

Par ailleurs, au plan technique, si la France ne peut se prononcer sur l’accord de libre-échange entre le Maroc et les Etats-Unis, plusieurs points posent problème. Pour Paris, un pays comme le Maroc ne peut, en ce qui concerne l’agriculture, «passer du jour au lendemain d’une économie protégée par des tarifs douaniers importants, à une économie libre d’accès». Comme le prouve l’exemple du Mexique, durement touché par le libéralisme en la matière. Par ailleurs, le Maroc, comme l’Union Européenne, s’opposent à la libéralisation du secteur culturel, dont les biens et les services «ne peuvent être vendus comme de simples objets de commerce».

La «rue» appelle au boycottage des produits américains

Sans compter l’épineuse question de la propriété intellectuelle, qui repose sur un système juridique radicalement différent au Maroc et aux Etats-Unis. Rappelons simplement que 95% de la musique américaine qui circule sur le marché marocain est piratée. Ce dont les négociateurs marocains sont parfaitement conscients. Or, les Américains s’intéressent particulièrement aux télécommunications, au tourisme, à l’énergie, au transport, aux banques et aux assurances, secteurs qui sont loin d’être libéralisés au Maroc. Côté américain, c’est l’ouverture immédiate et absolue qui prévaut, côté marocain, c’est la progressivité qui prime, si bien que tous les observateurs s’accordent à reconnaître que les négociations pour la zone de libre-échange s’annoncent difficiles, donc longues. Et la France met en garde contre une fragilisation possible de l’économie marocaine sous l’effet d’une déréglementation brutale.

En dépit de quoi, le Maroc est sensible au chant des sirènes d’outre-Atlantique, alors même que «la rue» appelle au boycottage des produits américains. Rappelons simplement que les relations du Royaume avec l’Europe sont empoisonnées par ses heurts à répétition avec l’Espagne, que Rabat s’est engagé dans la lutte antiterroriste aux côtés des Américains et, surtout, que Washington fait preuve d’une patience à toute épreuve dans le dossier, crucial pour le Maroc, du Sahara Occidental. Une «cause sacrée» pour laquelle le Maroc est prêt à vendre son âme.



par Isabelle  Broz

Article publié le 21/01/2003