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Djibouti

Le pouvoir rafle tous les sièges

Le parti du président Guelleh a emporté tous les sièges à l’Assemblée lors des premières élections multipartites. L’opposition dénonce les «fraudes».
De notre envoyé spécial à Djibouti

Il a fallu un quart de siècle pour y arriver. Plus de vingt-cinq ans entre l'indépendance de Djibouti, obtenue en 1977, et les premières élections législatives complètement multipartites de l'histoire du pays, vendredi 10 janvier. Djibouti était déjà sur la voie de la démocratisation depuis 1992, lorsque, mettant fin au monopartisme hérité de la décolonisation, une période de dix ans de transition avait été instaurée, au cours de laquelle quatre partis politiques, pas un de plus, avaient été autorisés. C'est donc seulement en septembre 2002 que l'ancienne Côte française des Somalis, puis Territoire français des Afars et Issas, devenue république de Djibouti après 115 ans de présence française, a fini par instaurer le multipartisme intégral, libéralisant complètement la vie politique.

Les élections législatives de vendredi en sont le premier test. A l'approche du scrutin, deux coalitions s'étaient constituées. La première, qui réunit quatre partis de l'opposition sous l'étiquette de l'Union pour l'alternance démocratique (UAD), est emmenée par Ahmed Dini, vétéran de la politique djiboutienne, premier Premier ministre du pays pendant six mois, opposant aux deux président successifs puis chef de la rébellion des années 90, avec, autour de lui, des hommes d'origines politiques très différentes, dont d'anciens ennemis. Face à eux, la coalition gouvernementale, l'Union pour la majorité présidentielle (UMP), dont le chef de liste est le premier ministre djiboutien, mais dont le véritable homme fort est le président de la République et maître incontesté du pouvoir djiboutien Ismaël Omar Guelleh.

Après une campagne au ton parfois dur, mais sans violences -fait notable- l'affrontement dans les urnes était attendu avec impatience par Djibouti. En organisant d'importants rassemblements dans la capitale pendant la campagne, l'UAD avait fait la preuve de son implantation dans les quartiers pauvres, désespérés par l'état de délabrement de l'économie du pays. Il restait à savoir comment les électeurs attirés par le discours d'Ahmed Dini et de ses alliés sur le «changement», maître mot de la campagne, allaient voter. A la veille du scrutin, cependant, Ahmed Dini dénonçait de manière répétée des irrégularités concernant la délivrance des cartes d'électeurs. Selon lui, des électeurs pourtant inscrits sur les listes n'auraient pu obtenir ces cartes, avec le résultat d'être privés de vote et de limiter, éventuellement, les suffrages de l'opposition. Nul ne pouvait, cependant, estimer de manière irréfutable le nombre de ces sans-cartes. Vendredi, le scrutin a eu lieu dans le calme, encadré dans les bureaux de vote de par les assesseurs et les membres des partis.

«Hold-up électoral»

Dans certains bureaux de Djibouti-ville, on se plaignait que l'encre, destinée à marquer le pouce des votants d'une marque indélébile pour éviter qu'ils ne puissent renouveler l'opération par tricherie, était si diluée qu'il suffisait d'un peu d'eau pour l'enlever. Mas dans l'euphorie de la journée de vote, et en dépit de quelques échauffourées ans gravité dans les quartiers périphériques de la ville, le vote s'est déroulé sans heurts. Pour rassurer un peu plus les opposants inquiets à l'idée d'un «hold-up électoral», les autorités avaient obtenu que le dépouillement se fasse dans les bureaux même, sous la supervision des agents des partis, avant que les urnes et les bordereaux soient transmis au ministère de l'intérieur où le décompte final devait être fait.

L'opération a duré une partie de la nuit, mais au petit matin, les résultats qui sont tombés ont pris l'opposition par surprise: la défaite était totale, l'UMP l'emportant dans chacun des cinq circonscriptions djiboutiennes, avec des scores parfois voisins de ceux de l'opposition, comme à Djibouti-ville (environ 55% pour l'UMP contre 45% pour l'UAD). Or, comme le prévoient les règles du système électoral djiboutien, la liste qui obtient le score le plus fort rafle tous les sièges de la circonscription. Tablant sans doute sur une possible victoire à Djibouti-ville qui lui aurait donné les 37 sièges de la circonscription e en même temps qu'une majorité à l'Assemblée nationale, qui n'en compte que 65, l'opposition se trouvait totalement exclue de la chambre. Voilà bien le paradoxe de ce résultat: les premières élections normales du pays conduisant à constituer un parlement digne d'un parti unique.

Mais lundi 11 janvier, Ahmed Dini a commencé a relever les irrégularité du scrutin qui, selon lui, rendent son résultat contestable. Le leader de l'opposition parle de «fraude subtile» du gouvernement, basée sur les manipulations de cartes d'électeurs, parle aussi de bourrages d'urnes dans certaines régions éloignées de la capitale, et finit par avancer d'un «hold-up électoral». Le terme est d'une grande gravité.

Pour le moment, Ahmed Dini a choisi de l'adoucir en demandant à ses militants de rester dans la voie légale et de ne pas descendre dans la rue, en attendant de déposer des recours devant le Conseil constitutionnel. Mais rien n'indique que l'UAD dans son ensemble souhaitera longtemps se contenter de cette tactique.



par Jean-Philippe  REMY

Article publié le 12/01/2003