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Irak

Saddam, omniprésent et inssaisissable

Portrait d'un leader obsédé par sa sécurité et qui semble omniprésent bien qu'il n'apparaisse plus que très rarement en public.
De notre correspondant à Amman

Comme pour narguer son ennemi George Bush, Saddam Hussein apparaît toujours aussi régulièrement sur les écrans de télévision. Le raïs irakien signifie ainsi au chef de la Maison-Blanche : “je suis toujours aux commandes que cela vous plaise ou non.” Récemment, les caméras le montraient frais et dispo, tiré à quatre épingles, présidant une réunion conjointe du Conseil de commandement de la révolution (CCR), la plus haute instance dirigeante du pays, et la direction du Commandement régional du parti Baas.

Impossible de savoir où s´est déroulé la rencontre, qui comme à l´accoutumée se tient dans un lieu tenu secret jusqu´à la dernière minute pour ceux qui doivent y participer. Sous la houlette du raïs en costume cravate, les caciques du régime, portant eux, bérets noirs et uniformes vert olive du parti, ont discuté de “la situation politique et des questions organisationnelles du mouvement”. Saddam veut faire passer l´idée qu´il continue de gérer normalement son pays comme si de rien n´était. Or, le président se sait traqué, l´homme à abattre pour les Américains.

Obsédé par sa sécurité personnelle

Sa dernière apparition en public remonte au 31 décembre 2000, à l´occasion de la parade à Bagdad de la Jeish Al-Qods (l´Armée de Jérusalem) composée de volontaires mobilisés pour libérer la ville trois fois sainte. Depuis cette date, le président est invisible. Obsédé par sa sécurité personnelle, Saddam Hussein, qui a déjoué des dizaines de complots, n´a pas l´intention de prendre le moindre risque.

Surtout depuis que George Bush, il y a un an dans son discours sur l´état de l´Union, a classé l´Irak sur “l´axe du mal” en compagnie de l´Iran et de la Corée du Nord. Depuis le début de la crise, Saddam a fait preuve d´une certaine dose de flexibilité, sentant le vent du boulet siffler à ses oreilles. La décision prise en septembre l´année dernière d´accepter le retour des inspecteurs en désarmement de l´ONU a, semble-t-il, donné lieu à un réel débat parmi les membres du Conseil de Commandement de la Révolution.

Le dos au mur et enfermé dans sa tour d´ivoire, Saddam n´a pas commis jusqu´à présent d´impair ou de faute pouvant déclencher un conflit, même si la coopération entre la Cocovinu (Commission de contrôle, de vérification et d’inspection des Nations unies) et l´Irak laisse à désirer sur certains points, selon Hans Blix, le chef des inspecteurs. Le président irakien cherche à gagner du temps pour sauver sa tête, son clan et son régime.

Saddam «joue sa place dans l’histoire»

D´après les spécialistes, Saddam Hussein n´est pas dans l´état d´esprit de quelqu´un qui va capituler en rase campagne, lui qui se prétend le nouveau Saladin du monde arabe. “Je ne crois pas au départ en exil du président irakien”, estime un haut responsable sécuritaire jordanien, familier de l´Irak. Saddam, dont la fierté bédouine n´a pas de limite, joue sa place dans l´Histoire.

Coupé de l´extérieur, même si selon ces conseillers, il regarde les télévisions arabes satellitaires, Saddam vit dans une sorte d´apnée comme hors du temps. “Le président perçoit le monde extérieur au travers d´un prisme réducteur. Sa grille d´analyse s´inspire encore des rapports de force intertribaux”, commente un diplomate. Son fonctionnement psychologique étriqué l´enferme dans des raisonnements dichotomiques : “vous êtes avec ou contre moi.”

Sans mot dire, le peuple irakien a appris contraint et forcé au fil des ans à vivre avec ce personnage omniprésent mais insaisissable. Dans Bagdad, personne n´a jamais vu passer son convoi officiel, et pourtant Saddam se déplace. Ses deux complexes présidentiels dans la capitale irakienne sont les symboles imposant de son pouvoir absolu.

Le raïs omniprésent…sur les murs

Dans les rues, le raïs est pourtant partout, mis en scène par un culte de la personnalité digne de Staline ou de Ceausescu : d´innombrables portraits le représentent en tenue bédouine traditionnelle, à cheval ou en costume. Depuis quelque temps déjà, sa représentation en manteau sombre tenant un fusil de chasse dans la main a éclipsé toutes les autres. Saddam semble dire à son peuple : “l´Irak est sur le pied de guerre et je suis son premier défenseur.”

Les Irakiens ne le voient plus qu´en photo, dans la rue et dans les journaux, ou à la télévision. Chaque soir au moment de la prière, le petit écran le montre implorant le Très Haut, lui “le laïc”. Depuis plusieurs années déjà, Saddam Hussein s´est redécouvert l´âme d´un croyant, alors que jamais la religion n´a occupé une place centrale dans son existence.

L´idéologie du parti Baas en lambeaux, le raïs a appelé l´Islam à la rescousse pour consolider son pouvoir. Sur l´ancien aéroport de Bagdad, Saddam a ordonné la construction d´une mosquée pharaonique qui portera son nom, et pourra accueillir une fois terminée 100 000 fidèles dans son enceinte. Mais en Irak personne n´est dupe de cette posture de circonstance. Seule la presse chante encore la louange du “Qaed Al-Mansour Billah”, “le chef victorieux en Dieu”…



par Christian  Chesnot

Article publié le 07/02/2003