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Irak

Une mosaïque menacée d’explosion

La population irakienne est constituée d´une mosaïque d’ethnies essentiellement composée d’Arabes, de Kurdes, de Turkmènes ou encore d’Azéris. Ces peuples ont longtemps cohabité dans une relative harmonie. Mais la création de l’Irak moderne en 1921, puis l´arrivée au pouvoir du parti Baas en 1969 ont peu à peu créé des clivages qui se sont accentués avec la main mise sur le pays, dix ans plus tard, de Saddam Hussein. L’homme fort de Bagdad a certes pu se maintenir au pouvoir pendant près de 33 ans grâce à la peur. Mais il a aussi énormément joué sur les clivages ethniques et religieux, favorisant les Arabes sunnites aux dépend des Arabes chiites et réprimant aveuglément la communauté kurde contre laquelle il a fait usage de gaz mortels. Le renversement de son régime, dans ce contexte, n’est pas sans risque et pourrait susciter un réveil des tensions entre les différentes communautés, menaçant ainsi le pays d’éclatement.
L’Irak compte quelque vingt-trois millions d´habitants, dont les trois quarts sont des Arabes. Le reste de la population est principalement composé de Kurdes. Essentiellement localisés dans le nord du pays, ils représentent entre 15 et 20% des Irakiens. On trouve enfin un certain nombre de petits groupes ethniques disséminés dans l’ensemble du pays, comme les Turkmènes, les Assyriens, les Azéris, les Sabéens ou les Arméniens. La vaste majorité de la population –quelque 95%– est musulmane et se divise en deux grandes confessions : un tiers est sunnite et deux tiers sont chiites. Les 5% restant, enfin, sont pour l’essentiel chrétiens. Pour compliquer les choses, ces communautés sont imbriquées les unes dans les autres selon leurs origines sociales, ethniques, confessionnelles, régionales ou tribales et n’ont donc jamais constitué d’entités homogènes.

Dans un pays où finalement 70% de la population est à la fois arabe et musulmane, Saddam Hussein s’est attaqué à la différence kurde. Puis il a fait artificiellement jouer un prétendu clivage entre les communautés sunnites et chiites alors qu’il n’avait jamais existé en Irak d’hostilité foncière entre ces deux obédiences.

La population kurde formait déjà à l’époque de l’empire ottoman une communauté ethnique essentiellement fondée sur sa langue d’origine indo-européenne et sur son mode de vie. L’éclatement de son territoire entre la Turquie, l’Iran, la Syrie, l’Irak et l’ancienne URSS au lendemain de la première guerre mondiale, a exacerbé un nationalisme encore aujourd’hui bien vivant, même si les Kurdes d’Irak semblent avoir renoncé à l’idée d’un Etat indépendant. En révolte quasi permanente pour obtenir une autonomie et le respect de leur particularisme, ils ont été tout d’abord victimes de discrimination et notamment confrontés à une véritable politique d’apartheid faite de limitation de leur déplacement, de restriction d’accès aux fonctions politiques et d’arabisation forcée les contraignant à abandonner leur identité. A la fin des années 80, Saddam Hussein est allé jusqu’à lancer à leur encontre une campagne d’extermination marquée par de nombreuses exécutions sommaires et le déplacement forcé de deux millions de personnes. Il n’a pas hésité utiliser des armes chimiques et biologiques qui ont causé la mort de plusieurs milliers de Kurdes. Quelque 180 000 personnes ont en outre été portées disparues et 4 500 villes et villages détruits.

Depuis la fin de la Guerre du golfe en 1991, les Kurdes bénéficient d’un statut autonome par rapport au pouvoir central de Bagdad. Ils ont acquis une indépendance politique et administrative puisqu’ils ont désormais leur police et leur armée et utilisent une monnaie qui leur est propre. Ils ont également organisé leur propre système d’éducation. Depuis 1996 et grâce à la résolution «pétrole contre nourriture», ils bénéficient en outre de 13% des revenus de l’or noir irakien, ce qui permet à la population de vivre dans une relative prospérité malgré l’embargo qui frappe le pays.

Répression, peur et divisions pour mieux régner

Si Saddam Hussein a en vain tenté de gommer la différence kurde, il a en revanche cherché à accentuer le clivage chiites-sunnites au profit de ces derniers, comme l’avaient fait avant lui les dirigeants de l’empire ottoman, puis la monarchie irakienne. Les chiites, qui vivent essentiellement dans le sud du pays et représentent près de 60% de la population irakienne, ont ainsi été systématiquement écartés des centres de décisions, dans la fonction publique comme dans le secteur privé et l’armée. Leur liberté politique, économique, culturelle et religieuse a été restreinte et leurs principaux dirigeants exécutés ou condamnés à l’exil. Dans les années 80, 300 000 d’entre eux ont ainsi été déportés vers l’Iran après avoir vu leurs bien confisqués. Encouragés par les Etats-Unis au lendemain de la guerre de 1991 à se soulever contre le régime de Saddam Hussein, ils ont enfin été violemment réprimés à l’aide d’armes chimiques dans le sud du pays où de nombreux villages ont été entièrement rasés.

Pour compliquer encore les données du problème, le dictateur irakien a également mis en place tout un système d’allégeances au sein même des tribus et des clans qui a largement contribué à l’hétérogénéité de son système répressif en faisant de l’Irak un vaste terrain de jeu pour les vendettas personnelles. L’exemple le plus frappant à cet égard est bien la «Tikrit connection», composée de personnes originaires de sa ville natale de Tikrit, dans le nord du pays, et sur laquelle il a largement assis son pouvoir en misant sur les rivalités au sein même de ce groupe.

Pour beaucoup d’observateurs, seule la peur au quotidien a pu jusqu’à présent maintenir le système en place. Et Saddam Hussein a tellement divisé pour mieux régner, tellement soufflé sur les clivages entre les Irakiens, que rien n’indique que le pays ne risque pas d’éclater en morceaux une fois le régime renversé, compte tenu de toutes les rancœurs accumulées.



par Mounia  Daoudi

Article publié le 07/02/2003