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Turquie

Un pas vers la guerre, à reculons

Le parlement turc a finalement accepté jeudi d’apporter son soutien, mesuré pour l’instant, à une intervention américaine contre le régime de Saddam Hussein, malgré une opposition de principe de l’Etat turc, l’exigence d’une seconde résolution de l’ONU et l’opposition toujours majoritaire de la population.
De notre correspondant à Istanbul

«Non à la guerre !» Dès les premières heures de la journée de jeudi, qualifiée de «critique» pour l’avenir de la Turquie, les manifestants pacifistes de Greenpeace avaient investi la façade du centre culturel Ataturk, sur la grande place de Taksim à Istanbul, et suspendu une grande banderole qui fut vite déchirée par la tempête puis enlevée par la police, qui procédait à huit interpellations. Dans le même temps, syndicats, partis de gauche et associations de défense des droits de l’Homme réunis sous la bannière de la «Plateforme contre la guerre» se mobilisaient dans la capitale Ankara contre «l’impérialisme américain».
Mais, en fin d’après-midi, les mêmes manifestants n’avaient plus qu’à allumer des cierges dans le centre ville pour dénoncer la décision du parlement turc, malgré une opposition affichée depuis des mois, d’autoriser pour trois mois l’amélioration, le renouvellement et la construction d’installations dans les ports et aéroports turcs par du «personnel technique et militaire américain». L’Assemblée nationale turque venait d’adopter, à huis-clos et par une majorité très relative de 308 voix pour et 193 contre, une résolution qui lui fait mettre un premier doigt dans la guerre, à reculons. Le porte-parole de la «Plateforme» Ender Büyükçulha, président de la branche ankariote de l’Association turque des Droits de l’Homme, a dénoncé ce vote comme un «oui à la guerre».

Préparatifs techniques

Il ne s’agit pour l’instant que de permettre des préparatifs techniques, n’augurant rien de la possibilité d’accueillir les dizaines de milliers de GI’s que Washington veut faire transiter vers le «front nord» de son offensive contre Bagdad. Les 6 bases et 2 ports expertisés par une équipe de 150 inspecteurs militaires américains seront donc aménagées pour pouvoir accueillir l’arsenal américain, et peut-être ses troupes. Mais cette décision, très impopulaire en Turquie depuis le début de la crise, a été remise au 18 février, après la grande fête musulmane du sacrifice, et surtout la publication du second rapport des inspecteurs onusiens sur le désarmement de l’Irak. Ankara a donc mis un doigt dans l’engrenage de la guerre, cédant au pressions américaines tout en préservant les chances de paix.
Le choix de fractionner ainsi les décisions engageant la Turquie aux côtés des Américains et dans le conflit irakien tient justement à la volonté turque de laisser une chance à une solution pacifique, ont dit les responsables gouvernementaux. Un soutien logistique, mesuré pour l’instant, qui revient à ne plus dire non ou remettre indéfiniment une prise de décision importante pour les Américains, à ne pas couper les ponts avec le puissant allié de la Turquie.
Car la Turquie réfute depuis longtemps le recours à la guerre, a multiplié les initiatives diplomatiques – notamment avec l’organisation il y a quinze jours à Istanbul d’une rencontre des ministres des Affaires étrangères de cinq puissances régionale dont quatre voisins de l’Irak (Iran, Syrie, Jordanie, Arabie Saoudite et Égypte) – et réclame une seconde résolution du Conseil de sécurité de l’Onu avant de s’engager dans une confrontation qu’elle redoute pour sa stabilité économique et la stabilité de la région.
Pour le moment, il ne s’agit que de «prendre les précautions nécessaires» pour «défendre les intérêts nationaux», a commenté le leader du parti de la Justice et du Développement au pouvoir, Recep Tayyip Erdogan. La prochaine pilule à faire avaler à la population par des députés eux aussi grognons, quasi-inévitable, consistera à envoyer, en même temps que les soldats américains, des militaires turcs chargés de prévenir un «massacre humanitaire», de dissuader les factions kurdes locales de déclarer un «état indépendant», mais «pas pour se battre», a prévenu le Premier ministre Abdullah Gül.
Une mission dont ils doivent s’acquitter «sans tirer un seul coup de feu», affirme M. Gül, pour bien souligner que la Turquie «n’entre pas en guerre».



par Jérôme  Bastion

Article publié le 07/02/2003