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Irak

Crise à l’Otan après le veto franco-belge

La fracture entre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne d’une part et les partisans d’une solution pacifique à la crise irakienne, avec en tête la France et l’Allemagne, d’autre part va en s’amplifiant. Elle a connu son point d’orgue lundi avec le veto à l’Otan de Paris et Bruxelles, appuyés par Berlin, aux demandes américaines de soutien à la Turquie en cas d’offensive contre le régime de Bagdad. Cette décision plonge l’Alliance dans une crise sans précédent même si Londres tente de la minimiser, estimant notamment que le veto franco-belge permettait d’avoir «une discussion» au sujet de la crise irakienne.
Les Etats-Unis avaient saisi l’Otan dès la mi-janvier afin d’obtenir le soutien des pays membres de l’Alliance dans le cas d’une guerre contre l’Irak. Ce soutien visait essentiellement à protéger la Turquie, voisine de l’Irak, en préconisant notamment le déploiement de batteries de missiles anti-missiles Patriot et d’avions-radar Awacs ainsi qu’un renforcement de la protection contre les armes nucléaires, bactériologiques et chimiques. Mais les discussions se sont heurtées à la réticence de Paris, Berlin et Bruxelles qui estimaient qu’en s’engageant dans des préparatifs militaires, l’Alliance renonçait de fait à tout règlement pacifique de la crise. Pour leur forcer la main, le secrétaire général de l’Otan, George Robertson, avait soumis jeudi dernier les demandes américaines à une procédure dite de «silence», qui prévoyait leur adoption automatique à moins que leurs opposants prennent la responsabilité d’un veto formel. Mais c’était compter sans la détermination de la France, de l’Allemagne et de la Belgique, soucieuses d’explorer toutes les voies diplomatiques.

Les trois pays ont donc notifié formellement leur désaccord à Lord Robertson en opposant lundi matin leur veto aux demandes américaines. Le chef de la diplomatie belge, Louis Michel, a expliqué qu’en refusant d’accorder des moyens militaires à la Turquie ces Etats entendaient montrer leur opposition à «la logique de guerre en Irak». Il avait déjà déclenché la fureur des Américains la veille en annonçant à l’avance que son pays allait faire jouer son droit de veto. Le secrétaire américain à la Défense avait aussitôt réagi en qualifiant cette décision de «honteuse» tandis que le secrétaire d’Etat Colin Powell la qualifiait d’«inexcusable». Réagissant à la décision de Paris, Berlin et Bruxelles qu’il a qualifiée de «regrettable», l’ambassadeur américain à l’Otan, Nicholas Burns, a estimé que l’Alliance faisait désormais face à «une crise de crédibilité».

Ankara invoque l’article 4

En opposant leur veto aux demandes américaines, la France, la Belgique et l’Allemagne en plongé l’Alliance dans une crise sans précédent. La Grande-Bretagne, alliée indéfectible des Etats-Unis, a certes tenté de minimiser la crise au sein de l’Otan en affirmant que ces trois pays avaient simplement ouvert la voie à de nouvelles discussions. «Un veto n’est un veto que si le résultat est que rien ne se passe», a tenté d’expliquer un porte-parole de Downing Street en estimant que «tout membre de l’Otan peut rompre le silence s’il veut simplement discuter d’une proposition». Il a toutefois reconnu que Londres était «déçu» de n’avoir pas pu régler la question du soutien à la Turquie. Lord Robertson, également soucieux de minimiser les tensions au sein de l’Alliance, s’est dit pour sa part «confiant» dans la possibilité de surmonter l’impasse provoquée par le veto de la France, de la Belgique et de l’Allemagne. «C’est incontestablement une situation difficile», a-t-il souligné en affirmant qu’il restait «trois pays à convaincre».

Après l’échec de la procédure de silence introduite par le secrétaire général de l’Alliance, la Turquie a invoqué l’article 4 du traité fondateur de l’Otan. Cet article prévoit des consultations entre les pays membres lorsque l’un d’entre eux estime notamment que son «intégrité territoriale» ou sa «sécurité» est menacée. Soucieux de ne pas s’aliéner son opinion publique, massivement opposée à une guerre, Ankara s’est toutefois empressé d’affirmer que son invocation ne signifiait en aucun cas qu’une guerre en Irak est inévitable. «L’amorce des consultations relatives à l’article 4 ne signifie pas qu’une opération visant l’Irak est inévitable», a ainsi affirmé un porte-parole du ministère turc des Affaires étrangères, précisant que son pays avait pris cette initiative «dans le cadre des engagements de défense collectifs» de l’Alliance.

Cette invocation par la Turquie de l’article 4 pourrait, estime Lord Robertson, changer la donne. Selon lui, les dix-neuf pays membres de l’organisation ne sont en effet plus invités à se prononcer sur une requête américaine mais sur une demande d’Ankara qui fait appel à la solidarité de ses partenaires. Les Etats-Unis font d’ailleurs pression dans ce sens et le secrétaire d’Etat Colin Powell a appelé les pays membres à prendre leur responsabilité. «J'espère, a-t-il déclaré, que les membres de l’Otan vont réaliser maintenant qu'ils ont une obligation d'aider un de leur partenaires qui a demandé une assistance». Mais la crise est loin d’être résolue, la France ayant une nouvelle fois jugé, lundi après-midi, prématuré que l’Alliance prenne des «mesures immédiates» pour assurer la protection de la Turquie dans le cadre de la crise irakienne.



par Mounia  Daoudi

Article publié le 10/02/2003