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Fespaco 2003

Distribution du cinéma africain: pourquoi il faut se battre...

Blockbusters américains, kung fu, mélos bollywoodiens occupent le haut de l’affiche partout en Afrique. Et les films africains?
A l’aube des années 60, quand le grand rêve des indépendances planait encore sur l’Afrique, les cinéastes se prenaient à fantasmer sur un marché commun du cinéma. Libéré de son pesant surmoi occidental, il s’organiserait sur une échelle panafricaine. Une organisation, la Fepaci (Fédération panafricaine des cinéastes, 1969) fédérerait les efforts des cinéastes. Un festival, au Nord du continent (les Journées cinématographiques de Carthage, 1966) puis un deuxième, au Sud (le Fespaco, festival du cinéma panafricain de Ougadougou, 1970) servirait de vitrine (à leurs films), de caisse de résonance (à leurs revendications), de catalyseur (à leurs actions).

Last but not least, les publics d’Afrique, enfin, pourraient découvrir leur propre cinéma. C’était au temps de l’OUA, des grands desseins politiques qu’on ne nommait pas encore utopies, des déclarations d’intention. «Le cinéma est appelé à jouer un rôle important dans le domaine de l’éducation intellectuelle et même politique des populations», déclare Patrice Lumumba. «Qui tient la distribution tient le cinéma» note quelques années plus tard, dans les années 70, le critique tunisien Tahar Cheriaa, fondateur des Journées cinématographiques de Carthage.

Certes, il y a fort à faire. Aux indépendances, un groupe français, Secma-Comacio, a le monopole de l’importation-distribution des films et possède la majorité des salles. C’est la Haute-Volta qui, la première, procède à leur nationalisation, et au boycott de la compagnie hexagonale. Une billetterie nationale est créée et 10 % des recettes sont reversées à la direction de la production cinématographique (Diproci), heureuse initiative qui permettra à ce petit pays sahélien, l’un des plus pauvres du monde, de tenir pendant des années la dragée haute au reste du continent en matière de production cinématographique. D’autres pays suivront sur la voie de la nationalisation : Mali, Sénégal, Gabon…

Stallone et Schwarzenegger, monopolisent les écrans

En 1979 une autres structure, panafricaine celle-là, voit le jour. La création du consortium africain de distribution de films (CIDC) permettra aux rêves des réalisateurs d’Afrique de perdurer quelques années de plus. Jusqu’à ce qu’une série d’imbroglios et de malversations vienne à bout du Consortium, dont la disparition, en 1984, laisse la distribution entre les mains de l’Afram (African american films), bras armé de la MPEAA (Motion picture export association of America, puissante tête de pont des studios américains) qui dans quatorze pays d’Afrique francophone se partage le gâteau de la distribution avec la CFAZO, une société du groupe Pinault-Printemps-La Redoute.

Qu’en est-il aujourd’hui ? Ces deux compagnies monopolisent la quasi-totalité du marché. Stallone et Schwarzenegger, Eddie Murphy et Jackie Chan (accessoirement Deneuve et Depardieu) monopolisent les écrans, tout au moins dans les pays où il en reste (des écrans). Question d’économie : la copie est offerte aux exploitants, qui, en contrepartie, versent entre 30 et 40 % des recettes à la compagnie. Est-ce à dire que les seuls écrans d’Afrique à diffuser des films africains sont ceux de Ouagadougou, période Fespaco ? Pour Dominique Wallon, ancien directeur du CNC et auteur de plusieurs rapports sur le cinéma africain, l’urgence est de (re)construire des salles et de leur imposer un quota de films africains, d’instaurer une taxe unique sur les billets alimentant un fonds de soutien au cinéma. Et de réglementer la diffusion de cassettes vidéo. D’autres proposent de contraindre -législativement- les chaînes à financer le cinéma africain. Une fois de plus, la balle est dans le camp des politiques.



par Elisabeth  Lequeret

Article publié le 11/02/2003