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Fespaco 2003

Afrique du Sud: décollage au ralenti

Infrastructures, équipes professionnelles, paysages magnifiques, nombreuses salles : de tous les pays du continent, l’Afrique du Sud est l’un des seuls (le seul ?) à posséder tout ce dont un cinéaste peut rêver. Hélas, faute de crédits publics, la mise sur pied d’un cinéma sud-africain se fait attendre…
De notre correspondante à Johannesburg

Tournée sur financements allemands et sortie en juin 2000 à Paris, Hijack Stories, une comédie signée Oliver Schmitz, n’a toujours pas été distribuée en Afrique du Sud. En dehors de ce long-métrage, ces deux dernières années auront été aussi peu prolifiques que les précédentes pour le 7e Art. Certes, beaucoup de projets sont en préparation, mais très peu parviennent à se concrétiser. En cause, l’accès aux financements, avec des fonds publics toujours très réduits. Instaurée en 1999 et financée à la fois par l’Etat et le secteur privé, la Fondation nationale du film et de la vidéo (NFVF) a fait des efforts. Au lieu des 10 millions de rands (9 millions d’euros) de subventions consacrées au cinéma entre 1998 et 2000, elle a fait passer ce budget à 35 millions cette année. Il en faudrait dix fois plus, estiment les professionnels, pour faire vraiment décoller l’industrie du cinéma.

Du côté du secteur privé, très peu de nouvelles initiatives se sont distinguées, en dehors du festival Sengheti qui se déroule chaque année au Cap, et des prix décernés à des courts-métrage par la chaîne de télévision privée MTM. Un frémissement, cependant, pourrait voir l’Industrial Development Corporation (IDC) entrer dans la danse. Cette banque de développement industriel détenue par l’Etat envisage en effet de financer le cinéma - pour peu qu’il s’avère rentable. En attendant, il reste pratiquement impossible de produire des long-métrages en Afrique du Sud sans financements étrangers - Union européenne, France, Grande-Bretagne sont les plus sollicitées. Ramadan Suleiman, l’auteur de Fools, prépare son prochain long-métrage, Zulu Love Letter, avec des financements essentiellement français.

«Les gens ont envie de rigoler»

Le seul marché émergent du continent noir a tout ce dont peut rêver une industrie cinématographique : des infrastructures, aussi bien pour le tournage que la post-production, des équipes rodées, un public et des salles. Pourtant, nombre de réalisateurs en herbe se sont tournés, pour vivre, vers le film publicitaire ou les documentaires télévisés. La nouvelle vague tant attendue depuis les premières élections multiraciales de 1994 reste en gestation.

«En incubation», précise Joel Phiri, le fondateur zimbabwéen, aux côtés du Sud-Africain Dan Jawitz, de la société de production Ice Media. Cette maison, qui travaille tous azimuts, s’est fixé pour objectif de co-produire le plus possible en Afrique, pour faire bénéficier les films africains des facilités qu’offre l’Afrique du Sud, notamment en matière post-production. Ice Media joue par ailleurs un rôle de distributeur, assumé avec succès cette année avec la sortie en salles de Lumumba, film du Haïtien Raoul Peck, et de la série Mama Africa.

Mais le vrai pari, pour Ice Media, consiste à faire des films made in South Africa sur financements locaux. Parmi ses projets figure « DV8 », un partenariat avec la South African Broadcasting Corporation (SABC), la télévision nationale, et Avatar Digital, la société de production de Jeremy Nathan. L’idée : tourner en digital quatre films de fiction, qui seront sélectionnés en janvier parmi douze projets. Co-producteur de Caramel, le prochain film du réalisateur ivoirien Henri Duparc, Joel Phiri travaille avec le producteur sud-africain David Brown sur un « road-movie » de 120 minutes. Intitulé Catching a glide, ce film retrace le parcours d’une jeune métisse anglaise, partie après la mort de sa mère à la recherche de son père au Zimbabwe. Le grand chantier d’Ice Media, Good morning Max («Max le pleureur»), une comédie écrite et réalisée par le jeune talent sud-africain Teddy Mattera, pourrait changer la donne en Afrique du Sud. Comme celle de Hijack Stories, l’intrigue ne se pose plus de questions de race, mais de classe. Les tribulations d’un pleureur professionnel qui débarque de son village, accompagné de sa chèvre, dans la grande ville de Johannesburg, devraient être tournées l’an prochain. Conséquent, le budget table sur 1,4 million de dollars. Si tout va bien, il pourrait attirer les foules et réconcilier les Sud-Africains avec leur cinéma. Faudrait-il en finir, dans la « nouvelle » Afrique du Sud, avec les thématiques politiques héritées de l’apartheid ? «Les projets que nous soutenons parlent d’amour et de la vie, répond Joel Phiri. Nous avons eu déjà pas mal de films sur l’apartheid. Maintenant, les gens ont envie de rigoler».



par Sabine  Cessou

Article publié le 11/02/2003