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Irak

L’opposition irakienne s’inquiète des plans américains

L’administration du président George W. Bush commence à abattre ses cartes et à exposer de façon précise comment elle conçoit l’Irak de l’après-Saddam Hussein –et les nouvelles ne sont pas très bonnes pour l’opposition irakienne. «On ne peut pas comparer la situation en Irak avec l’Allemagne et le Japon après la Seconde Guerre Mondiale... Si nous faisons la guerre, ce sera pour libérer l’Irak, pas pour l’occuper», affirment les dirigeants américains. Mais les longues dépositions devant la Commission des affaires étrangères du Sénat de Marc Grossman, sous-secrétaire d’État pour les affaires politiques du Département d’État, et de Douglas Feith, sous-secrétaire d’État à la Défense, indiquent clairement que les Américains entendent gérer directement l’Irak pendant de longs mois après la chute de Saddam Hussein, et que les Irakiens ne seront invités à prendre en main leurs affaires que progressivement, et tout d’abord à titre consultatif.
Il ne s’agit plus de rumeurs, provenant de «sources bien informées» ou de «groupes de travail»: c’est très officiellement au cours de sa déposition devant la commission des affaires étrangères du Sénat le 11 février que Marc Grossman a dit, en précisant qu’une décision définitive n’avait pas encore été prise, que l’administration envisageait un «avenir irakien» en trois étapes:

- Une phase de «stabilisation», pendant laquelle l’administration militaire de la coalition se concentrera sur les problèmes de sécurité, de stabilité et d’ordre.
- Une phase de «transition», où l’autorité sera «progressivement» remise aux autorités irakiennes.
- Une phase de «transformation», après la préparation par les Irakiens d’une nouvelle constitution démocratique et l’organisation d‘élections libres et justes, «seule façon de mettre en place un gouvernement irakien vraiment légitime».

C’est donc seulement pendant la troisième phase que les Irakiens reprendront enfin le contrôle de leurs affaires. Encore plus explicite, Douglas Feith a réaffirmé le «double engagement» américain, celui de rester et celui de partir, «car l’Irak appartient au peuple irakien, car l’Irak n’appartient pas et n’appartiendra pas aux USA, ni à la coalition, ni à personne». Mais après cette déclaration de principe, il a ajouté que «les États-Unis resteront longtemps en Irak», le temps de remplir cinq objectifs: la libération des Irakiens; l’élimination des armes de destruction massive; l’élimination de l’infrastructure terroriste; le maintien de l’intégrité territoriale, et le début de la reconstruction politique et économique.

Et le sous-secrétaire à la Défense a indiqué que «la responsabilité immédiate de l'Irak de l'après-guerre retombera sur le général Tom Franks, le commandant du ‘Central Command’ et commandant de la coalition». Détaillant devant les sénateurs de la commission des affaires étrangères la façon dont l’Irak sera administré par le général Tom Franks, Douglas Feith a rappelé la création par le président Bush, le 20 janvier dernier, d’un «Bureau de Reconstruction et Assistance Humanitaire» (BRAH). Composé de quatre directions supervisées par des civils –aide humanitaire, reconstruction, administration civile, communication et logistique– ce bureau sera dirigé par Jay Garner, un général à la retraite qui avait joué un rôle important en 1991 pendant l’organisation des secours aux populations kurdes du nord de l’Irak.

Un gouverneur américain

En liaison avec toutes les agences du gouvernement américain et avec les agences des Nations unies, avec les ONG américaines et internationales et avec les représentants des divers gouvernements de la coalition jouant un rôle dans la reconstruction de l’Irak –et avec l’envoyé spécial du président Bush auprès de l’opposition irakienne– ce bureau sera chargé d’élaborer des plans d’action pour le général Tom Franks et ses adjoints.

En ce qui concerne le pétrole, Douglas Feith a déclaré que les États-Unis étaient résolus à faire redémarrer la production aussi vite que possible, et que, «les États-Unis étant déterminés à préserver l’intégrité territoriale de l’Irak, les ressources pétrolières doivent rester sous contrôle national irakien, les revenus du pétrole devant être mis à la disposition de toutes les parties du pays, aucun groupe ethnique ou religieux ne devant être autorisé à revendiquer des droits exclusifs sur une partie de ces ressources ou de leur infrastructure». Le message s’adresse aux Kurdes et aux chiites.

En ce qui concerne la transition politique, Douglas Feith a répété que les décisions finales n’avaient pas encore été prises, mais que l’on pouvait envisager d’associer les Irakiens en créant les institutions suivantes:
- un «conseil consultatif irakien», pour conseiller les autorités américaines et de la coalition.
- un «conseil judiciaire», pour conseiller les autorités américaines sur les révisions du code pénal.
- une «commission constitutionnelle» chargée de rédiger un projet de constitution.

Et Feith a fait une révélation explosive: les Américains envisageaient de laisser en place les «principales institutions gouvernementales irakiennes», qui seraient chargées d’expédier les affaires courantes, après avoir purgé les échelons supérieurs des éléments impliqués dans les crimes du régime actuel. Il est également envisagé d’organiser des élections municipales et au niveau du district pour impliquer les Irakiens à l’échelon local.

Marc Grossman a ajouté que les «Irakiens de l’extérieur ne contrôleront pas des décisions qui, en dernière analyse, doivent être prises par tous les Irakiens: la diaspora irakienne constitue une ressource importante, mais elle ne peut pas se substituer à ce que tous les Irakiens devront faire ensemble pour oeuvrer vers la démocratie dans leur pays. .. Et tout en écoutant ce que les Irakiens nous disent, en dernière analyse, le gouvernement américain prendra ses décisions en fonction des intérêts nationaux des États-Unis».

Informés de ces orientations de la politique américaine par Zalmai Khalil Zad, le représentant du président Bush auprès des «Irakiens Libres», au cours d’entretiens à Ankara, les dirigeants de l’opposition irakienne ne cachaient pas leur consternation –une consternation aggravée, chez les dirigeants kurdes, par la décision de laisser d’importantes troupes turques pénétrer au Kurdistan irakien. Le sens de toutes ces décisions n’est que trop clair:c’est un gouverneur militaire américain qui gouvernera l’Irak de l’après-Saddam Hussein, avec le concours de la minorité sunnite, au détriment des chiites et des Kurdes.



par Chris  Kutschera

Article publié le 18/02/2003