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Justice

L'avant-projet de loi contre la grande criminalité

Dominique Perben, le ministre français de la Justice a dévoilé, le 13 février dernier, son avant-projet de loi contre la grande criminalité destiné à lutter contre les «nouvelles mafias». Un texte qui réduit les droits de la défense et renforce les pouvoirs du parquet et de la police. Dans le nouvel arsenal des mesures proposées, celui du statut du «repenti» et l'instauration du «plaider coupable» anglo-saxon, deux innovations. Le texte devrait être présenté en Conseil des ministres à la fin du mois de mars. Les explications de Frédérique Pons, avocate et membre du conseil de l'ordre.
RFI : La semaine dernière, le Garde des Sceaux a arrêté son avant-projet de loi contre la grande criminalité. Comment peut-on la définir et quelles infractions regroupe-t-elle ?
Frédérique Pons : Ce projet de loi est un vaste programme. Essentiellement, il a vocation à augmenter les pouvoirs de la police, à créer de nouvelles infractions graves. Cependant, il ne vise pas à révolutionner la procédure pénale, ce n’est pas un grand chantier. La plupart des infractions incluses dans cet avant-projet de loi (ndlr : enlèvements, proxénétisme aggravé, traites des êtres humains, terrorisme, torture, trafic de stupéfiants, d’armes) existaient auparavant : la traite des êtres humains a d’ailleurs fait l’objet de dispositions très récentes. Ce qui est nouveau, c’est d’utiliser la notion de bandes organisées - qui existe déjà dans le code pénal mais dont les contours étaient assez flous - pour l’appliquer à des infractions telles l’assassinat, les actes de torture, de barbarie, autrement dit à un certain nombre d’infractions contre les personnes pour en faire des infractions particulièrement graves. En plus des nouvelles infractions, de nouvelles juridictions vont peut-être voir le jour. Elles seraient spécialisées et en charge des affaires particulièrement complexes. Et là, ça peut poser une difficulté de distribution des affaires. Le procureur de la République devrait alors choisir telle ou telle juridiction en fonction des cas et donc de choisir son juge.

RFI : Selon les propositions de ce texte, les pouvoirs du parquet et de la police seraient renforcés. Qu’en pensez-vous et qu’est-ce que cela change ?
F.P : Pour ces infractions contre les personnes commises par des bandes organisées, les pouvoirs de police qui seront augmentés tiennent essentiellement aux perquisitions, puisqu’il est prévu de pouvoir en faire la nuit, ce qui nous heurte profondément car normalement les perquisitions doivent rester tout à fait exceptionnelles. Il y a également des dispositions concernant la garde à vue, la possibilité de l’étendre jusqu’à 96 heures, au lieu de 48 actuellement. Et là on met encore en place un dispositif qui tend à exclure l’avocat.

RFI : S’agissant du système de «repenti», déjà en place en Italie depuis quelques années, n’y a-t-il pas des risques de dérives ?
F.P : Oui, il y a des risques de dérives que nous dénonçons depuis longtemps. Le système du repenti, c’est un peu comme le système du témoin anonyme qui a été mis en place par la loi Sécurité quotidienne. C’est en fait une prime donnée à la délation. Dans ce projet de loi, il y a deux dispositifs de prévu : l’exemption de peine et la réduction de peine. Il est cependant envisagé l’identification d’autres coupables. C’est là où une dérive est toujours à craindre, celle d’instaurer un système qui ne tienne plus que sur de la délation et l’on sait ce que cela a donné dans d’autres pays.

RFI : L’instauration probable du «plaider coupable», présent dans les pays anglo-saxons, et appelée dans le texte «procédure de jugement sur reconnaissance préalable de culpabilité», peut-elle désengorger les tribunaux correctionnels ?
F.P : Oui et non. Ce peut être une idée intéressante à creuser dans la mesure où l’on sait qu’il y a énormément d’affaires où la seule discussion est une discussion sur la peine, donc pourquoi pas prévoir des procédures allégées. La seule difficulté c’est qu’il est prévu une possibilité d’appel et ce qui est alors à craindre, c’est que finalement le parquet et la personne poursuivie se mettent d’accord sur la reconnaissance d’une culpabilité et d’une peine et que le magistrat qui est chargé d’homologuer ou non cette peine instruise autrement que ce qu’attendaient le parquet et la personne incriminée. Du coup cette dernière se retrouverait dans une situation préjudiciable. Les avocats ne sont pas contre cette idée du «plaider coupable» mais il faudrait revoir certaines dispositions.



par Propos recueillis par Clarisse  VERNHES

Article publié le 21/02/2003