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Mozambique

Les assassins du journaliste Cardoso condamnés

La capture d’Anibal dos Santos, suspecté d’avoir organisé l’assassinat de Carlos Cardoso, quelques heures avant l’annonce du verdict, a constitué le dernier rebondissement du procès des assassins du journaliste mozambicain. La condamnation des six prévenus à de lourdes peines ne serait donc que le premier épisode d’une affaire qui passionne tout un pays et dans laquelle a été mis en cause le fils aîné du chef de l’Etat.
De notre correspondante à Maputo

C’est par un ultime rebondissement que s’est provisoirement achevé le procès des six assassins du journaliste mozambicain Carlos Cardoso. Anibal dos Santos, connu sous le nom d’Anibalzinho. Le principal suspect, en fuite depuis septembre dernier, a été arrêté jeudi par la police sud-africaine, quelques heures avant l’annonce du verdict. Son arrestation a relancé les spéculations sur l’issue d’un procès exceptionnel qui s’est tenu pendant trois mois sous protection militaire dans la capitale mozambicaine.

Pendant l’annonce du verdict, le juge a confirmé que le scandale financier sur lequel enquêtait Cardoso constituait le mobile principal du crime. Les six accusés, dont Anibalzinho, ont été condamnés à des peines allant de 23 à 28 ans de prison. Les avocats ont néanmoins annoncé à l’issue du procès qu’ils feraient tous appel du jugement. L’avocat d’Anibalzinho a notamment déclaré à la sortie du tribunal qu’il demanderait que soit ouvert au plus tôt un nouveau procès en présence de son client.

Soupçonné d’avoir recruté les tueurs, Anibalzinho s’était enfui de la prison de haute sécurité de Maputo en septembre dernier quelques semaines avant le début des audiences. Pour l’opinion mozambicaine, cette évasion aurait été facilitée par des complicités de haut niveau ayant intérêt à étouffer les révélations que pouvait faire le personnage clé de cette affaire.

Son témoignage a d’ailleurs particulièrement fait défaut lors de l’audition comme témoin de Nyimpine Chissano, le fils du chef de l’Etat. Homme d’affaires prospère à la réputation sulfureuse, Nyimpine Chissano a été désigné par trois des condamnés comme le véritable commanditaire du meurtre. Depuis le début des audiences, le 18 novembre dernier, Anibalzinho était jugé par contumace avec cinq autres prévenus. « Je veux en finir avec cette affaire, je rentre au Mozambique », a-t-il déclaré à l'issue d'une brève comparution devant un magistrat en Afrique du Sud, avant d’annoncer qu’il acceptait de se constituer prisonnier sans réclamer de procédure d’extradition.

«Watergate» mozambicain

La réapparition troublante du principal suspect à la veille du verdict a achevé de faire de ce procès l’affaire la plus médiatique de l’histoire judiciaire du pays. Ouvert presque deux ans jour pour jour après le meurtre de Cardoso, le procès a été retransmis tous les jours en direct par la radio et la télévision nationales. Durant trois mois, des centaines de Mozambicains se sont pressés quotidiennement au tribunal pour entendre les accusés égrener sans vergogne des histoires de blanchiment d’argent, de grosses voitures et de millions de dollars. Depuis les mises en cause répétées du fils aîné du chef de l’Etat, le procès était devenu un véritable événement national, ouvrant une brèche dans le mur d’impunité contre lequel ne cessait de se battre Carlos Cardoso.

Mozambicain d’origine portugaise, Cardoso était le directeur du journal Le Metical, journal édité par fax et reconnu pour son sérieux et son indépendance. Il enquêtait sur le détournement de fonds de plus de 14 millions de dollars au sein de la Banque Commerciale de Mozambique (BCM), lorsqu’il a été tué en plein jour dans une rue de la capitale. Quelques mois avant son assassinat, ses articles avaient contraint le président Joaquim Chissano à limoger le Procureur général de la République, membre éminent du Frelimo au pouvoir, soupçonné de complicité avec les auteurs de la fraude.

Cardoso n’a pas été la seule victime de cet affairisme devenu grandissant depuis la fin de la guerre civile en 1992 et le décollage économique d’un pays particulièrement choyé par les bailleurs de fonds internationaux. Albano Silva, avocat de la banque, a échappé en 1999 à une tentative d’assassinat, tandis que Siba-Siba Macuacua, nouvel administrateur de la Banco Austral, autre banque en faillite après avoir consenti de nombreux prêts à des proches du pouvoir, était défenestré en avril 2001. Ces morts brutales avaient provoqué la stupéfaction de la société mozambicaine, qui découvrait l’emprise de la corruption et du crime organisé sur ses institutions.

Pour les Mozambicains, il n’est pas question que ce procès et tous les affaires frauduleuses qu’il a révélées s’arrêtent à cette condamnation. Le juge Paulino n’a pas écarté dans l’annonce du verdict la possibilité que d’autres individus soient impliqués dans le meurtre du journaliste faisant explicitement référence à Nyimpine Chissano. En décembre 2002, le ministère de la Justice a d’ailleurs demandé l’ouverture d’une enquête à l’encontre du fils du chef de l’Etat. Lucinda Cruz, l’avocate de la famille Cardoso avait de son côté déclaré à l’issue de son réquisitoire que toutes les révélations faites pendant la durée du procès pouvaient donner lieu à l’ouverture d’une centaine d’autres enquêtes judiciaires. Il est sûr en tout cas que l’onde de choc provoquée par ce «watergate» mozambicain, ne sera pas sans conséquence sur les chances du Frelimo lors des prochaines élections municipales de 2003 et présidentielles de 2004.

Ecouter également :
Carlos Serra, universitaire mozambicain au micro de Christophe Boisbouvier (03/02/2003, 5'15")



par Jordane  Bertrand

Article publié le 01/02/2003