Indonésie
Les femmes-esclaves de Bornéo
70 000 Indonésiennes partent chaque année dans la partie malaise de Bornéo pour fuir la misère de leur pays. Si beaucoup d’entre elles y trouvent des conditions de travail décentes, d’autres, en revanche, sont réduites à l’esclavage.
De notre envoyé spécial
En fuyant la misère on trouve parfois l’enfer. La trentaine d’adolescentes indonésiennes qui attentent ce jour-là au poste frontière d’Ertikong, en feront peut-être l’amère expérience. Elles ont quitté la pauvreté du Kalimantan, la province indonésienne de Bornéo, pour se rendre, un peu plus au nord, dans la partie malaise de l’île. Elles espèrent y trouver un emploi de «bonne à tout faire» et les conditions d’une meilleure d’existence. Elles se sont pour cela attachées les services d’un agent. Un habitué des lieux qui «fait passer des filles plusieurs fois par semaine en corrompant la police douanière» puisque la loi malaise interdit aux mineurs de franchir la frontière sans leurs parents.
En échange de ses services, l’agent, qui s’occupe également de trouver les emplois, se paiera sur les premiers salaires des filles. Le marché conclu est illégal mais il peut être équitable si les tarifs pratiqués par l’agent sont raisonnables et si les adolescentes obtiennent un vrai contrat de travail et des papiers en règle. Mais beaucoup n’ont pas cette chance et tombent dans les filets de la mafia locale. Les agents confisquent leur passeport et n’entreprennent aucune procédure pour leurs obtenir des visas. Le but est de les transformer en travailleuses illégales pour les rendre totalement dépendantes de leur famille d’accueil. Des familles complices, qui peuvent alors les soumettre à des conditions de vie épouvantables : 16 heures de travail par jour, un bol de riz pour seul repas et le carrelage de la cuisine en guise de matelas.
Une simple amende pour les employeurs
Naturellement, les gamines ne voient jamais la couleur de l’argent. Les salaires sont versés directement aux agents qui exercent sur elles diverses pressions psychologiques contre lesquels ces adolescentes sous éduquées et totalement isolées n’ont pas les moyens de se défendre. Et quand les plus rebelles s’y aventurent, elle sont battues et parfois même violées. La plupart ne trouvent le courage de s’échapper que lorsque leur situation devient vraiment trop insupportable. La grande majorité d’entre elles retournent en Indonésie, honteuses et les poches vides. Certaines restent et saisissent les tribunaux. Se pose alors la problème des preuves. «Si les filles ont des séquelles physiques, les preuves sont irréfutables. Sinon c’est parole contre parole…» explique cet avocat malais qui a traité plus de 700 affaires de ce type en 20 ans de carrière.
Mais entre la parole d’une jeune clandestine indonésienne et celle d’une famille de la classe moyenne malaise, le juge aura vite fait son choix. Le plus souvent, les familles s’en tirent avec une simple amende pour emploi de travailleurs illégaux. Quand aux victimes, elles seront, au pire, jetées quelques mois en prison, au mieux, expulsées vers l'Indonésie. Certaines atterrissent dans le bureau d’Hairiah, la directrice d’une ONG (Indonesian Woman Association for Justice) établie à Pontianak, la capitale provinciale du Kalimantan. «J’en récupère une dizaine par an mais ce n’est que la partie la plus visible de l’iceberg». Plus de 10 000 Indonésiennes seraient concernées par ces différentes formes d’esclavage, qui inclues évidemment la prostitution forcée.
Certaines sont placées dans des «karaokés» tandis que plusieurs centaines disparaissent dans la forêt tropicale de Bornéo, la plus grande du monde après l’Amazonie. Celles qui en sont revenues racontent la même histoire. On leur avait promis un emploi en Malaisie mais elles ont atterries dans un des «bordels» réservés aux ouvriers des grandes exploitations forestières. D’autres enfin, connaîtront un itinéraire particulièrement abject.
Yanti avait 17 ans quand elle est arrivée en Malaisie. Plusieurs fois violée par son patron, elle tombe rapidement enceinte. On la conduit alors dans une maison où sont séquestrée une dizaine de femmes sur le point d’accoucher. Les bébés seront vendus à des familles adoptives ou, pire encore, alimenteront le trafic d’organes. Yanti parvient à s’échapper en sautant par la fenêtre, son bébé harnaché dans le dos. Recueillie par le Consulat indonésien, elle est rapidement rapatriée. Une perquisition est organisée dans la maison mais les geôliers se sont déjà enfuis emportant avec eux les bébés de six adolescentes que la police retrouve prostrées. Six victimes qui seront beaucoup moins chanceuses que Yanti. Accusées d’avoir menti et condamnées pour séjour illégal, elles purgent une peine d’un an de prison au pénitencier de Kuchin.
En fuyant la misère on trouve parfois l’enfer. La trentaine d’adolescentes indonésiennes qui attentent ce jour-là au poste frontière d’Ertikong, en feront peut-être l’amère expérience. Elles ont quitté la pauvreté du Kalimantan, la province indonésienne de Bornéo, pour se rendre, un peu plus au nord, dans la partie malaise de l’île. Elles espèrent y trouver un emploi de «bonne à tout faire» et les conditions d’une meilleure d’existence. Elles se sont pour cela attachées les services d’un agent. Un habitué des lieux qui «fait passer des filles plusieurs fois par semaine en corrompant la police douanière» puisque la loi malaise interdit aux mineurs de franchir la frontière sans leurs parents.
En échange de ses services, l’agent, qui s’occupe également de trouver les emplois, se paiera sur les premiers salaires des filles. Le marché conclu est illégal mais il peut être équitable si les tarifs pratiqués par l’agent sont raisonnables et si les adolescentes obtiennent un vrai contrat de travail et des papiers en règle. Mais beaucoup n’ont pas cette chance et tombent dans les filets de la mafia locale. Les agents confisquent leur passeport et n’entreprennent aucune procédure pour leurs obtenir des visas. Le but est de les transformer en travailleuses illégales pour les rendre totalement dépendantes de leur famille d’accueil. Des familles complices, qui peuvent alors les soumettre à des conditions de vie épouvantables : 16 heures de travail par jour, un bol de riz pour seul repas et le carrelage de la cuisine en guise de matelas.
Une simple amende pour les employeurs
Naturellement, les gamines ne voient jamais la couleur de l’argent. Les salaires sont versés directement aux agents qui exercent sur elles diverses pressions psychologiques contre lesquels ces adolescentes sous éduquées et totalement isolées n’ont pas les moyens de se défendre. Et quand les plus rebelles s’y aventurent, elle sont battues et parfois même violées. La plupart ne trouvent le courage de s’échapper que lorsque leur situation devient vraiment trop insupportable. La grande majorité d’entre elles retournent en Indonésie, honteuses et les poches vides. Certaines restent et saisissent les tribunaux. Se pose alors la problème des preuves. «Si les filles ont des séquelles physiques, les preuves sont irréfutables. Sinon c’est parole contre parole…» explique cet avocat malais qui a traité plus de 700 affaires de ce type en 20 ans de carrière.
Mais entre la parole d’une jeune clandestine indonésienne et celle d’une famille de la classe moyenne malaise, le juge aura vite fait son choix. Le plus souvent, les familles s’en tirent avec une simple amende pour emploi de travailleurs illégaux. Quand aux victimes, elles seront, au pire, jetées quelques mois en prison, au mieux, expulsées vers l'Indonésie. Certaines atterrissent dans le bureau d’Hairiah, la directrice d’une ONG (Indonesian Woman Association for Justice) établie à Pontianak, la capitale provinciale du Kalimantan. «J’en récupère une dizaine par an mais ce n’est que la partie la plus visible de l’iceberg». Plus de 10 000 Indonésiennes seraient concernées par ces différentes formes d’esclavage, qui inclues évidemment la prostitution forcée.
Certaines sont placées dans des «karaokés» tandis que plusieurs centaines disparaissent dans la forêt tropicale de Bornéo, la plus grande du monde après l’Amazonie. Celles qui en sont revenues racontent la même histoire. On leur avait promis un emploi en Malaisie mais elles ont atterries dans un des «bordels» réservés aux ouvriers des grandes exploitations forestières. D’autres enfin, connaîtront un itinéraire particulièrement abject.
Yanti avait 17 ans quand elle est arrivée en Malaisie. Plusieurs fois violée par son patron, elle tombe rapidement enceinte. On la conduit alors dans une maison où sont séquestrée une dizaine de femmes sur le point d’accoucher. Les bébés seront vendus à des familles adoptives ou, pire encore, alimenteront le trafic d’organes. Yanti parvient à s’échapper en sautant par la fenêtre, son bébé harnaché dans le dos. Recueillie par le Consulat indonésien, elle est rapidement rapatriée. Une perquisition est organisée dans la maison mais les geôliers se sont déjà enfuis emportant avec eux les bébés de six adolescentes que la police retrouve prostrées. Six victimes qui seront beaucoup moins chanceuses que Yanti. Accusées d’avoir menti et condamnées pour séjour illégal, elles purgent une peine d’un an de prison au pénitencier de Kuchin.
par Jocelyn Grange
Article publié le 03/03/2003