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Irak

Les divisions s’accentuent après les premières frappes

Le déclenchement dans la nuit de mercredi à jeudi des premières frappes contre le régime de Saddam Hussein a provoqué la colère de nombreux pays qui ont exprimé leur inquiétude quant aux conséquences humanitaires sur les civils irakiens. Plusieurs manifestations contre l’intervention américaine se sont spontanément organisées aux quatre coins du monde pour dénoncer une action unilatérale, «sans aucune légitimité internationale». Washington a toutefois reçu le soutien de ses quelques alliés parmi lesquels la Grande-Bretagne, l’Espagne, l’Australie et la Bulgarie.
Décalage horaire oblige, les pays asiatiques ont été les premiers à réagir ce matin aux premières frappes américaines contre l’Irak. Et si Washington peut se targuer du soutien de quelques capitales, une majorité d’Etat a vivement condamné une action qu’elle juge unilatérale et donc «illégale». Le Japon, qui s’est toujours rangé dans le camp des va-t’en guerre, a ainsi apporté son plein soutien aux Etats-Unis. «Si un dangereux dictateur possède des armes de destruction massive, nous nous trouvons devant un grand danger», a notamment déclaré le Premier ministre Junichiro Koizumi non sans une arrière-pensée à son très problématique voisin, la Corée du Nord. Tokyo a toutefois limité son appui à une contribution à la reconstruction de l’Irak. La Corée du Sud, qui s’est également rangée aux côtés de Washington, a affirmé qu’elle avait renforcé ses mesures de sécurité afin de prévenir tout mouvement à sa frontière nord. Elle a en outre promis un soutien logistique pour l’après-guerre. L’Australie enfin, seul pays à avoir engagé des troupes aux côtés des Américains et des Britanniques, a affirmé que les forces spéciales australiennes avaient d’ores et déjà commencé à participer aux combats. Une majorité d’Australiens est pourtant opposée à une guerre en Irak et de nombreuses manifestations sont prévues dans les principales villes du pays.

Le soutien franc de ces trois pays est toutefois une exception en Asie où plusieurs pays musulmans se sont élevés contre une guerre qu’ils considèrent comme une agression contre l’islam. Le Pakistan, un des dix membres non permanents du Conseil de sécurité, a ainsi «regretté» le déclenchement des opérations militaires contre l’Irak. Ce grand allié de Washington dans sa lutte contre le terrorisme semble aujourd’hui pris en otage par sa population violemment opposée à une guerre en Irak. Un responsable de la principale coalition islamiste du pays a d’ailleurs appelé au Jihad, estimant que la guerre américaine contre le régime de Saddam Hussein le justifiait. En Indonésie, premier pays musulman au monde, responsables modérés et radicaux ont réagi avec colère tout en demandant aux Indonésiens de rester calmes et ne pas s'en prendre aux intérêts étrangers. La présidente Megawati a condamné en des termes vifs une «agression contraire au droit international» et des milliers de manifestants sont descendus dans la rue aux cris de «Amérique terroriste !». La Malaisie, qui préside actuellement le mouvement des Non-alignés, a pour sa part violemment condamné une «attaque sans autorisation de l’Irak» et mis en garde contre ses conséquences. «Les Nations unies n’existent plus, le monde est une mêlée. Vous pouvez désormais attaquer n’importe quel pays puisque le signal a été donné par les Etats-Unis», a notamment déploré le vice-ministre malaisien de l’Information.

«Un moment très triste et décevant» selon l’UE

La Chine, un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité, pourtant discrète lors des négociations aux Nations unies, a très vivement réagi à l’attaque américaine. «Nous exhortons les pays concernés à arrêter leur action militaire et à rentrer dans le droit chemin», a ainsi déclaré le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, un peu plus de quatre heures après le début des frappes. Il a en outre affirmé que «l’action militaire contre l’Irak violait la charte des Nations unies», rappelant notamment qu’au sein du Conseil de sécurité, «la plupart des membres étaient opposés à une fin rapide des inspections et préconisaient une solution politique» à cette crise. Le porte-parole n’a par ailleurs pas caché l’inquiétude de la Chine sur «les conséquences humaines et économiques» de cette guerre ainsi que «son impact sur la paix et le développement dans le monde».

En Europe, les dirigeants opposés à une guerre en Irak ont campé sur leurs positions et regretté l’action américaine. La présidence européenne a ainsi déclaré que le monde vivait «un moment très triste et décevant». «Quand la diplomatie s’achève et que la guerre commence, c’est un moment très triste et décevant», a ainsi affirmé le ministre grec des Affaires étrangères, dont le pays assume la présidence de l’UE. Georges Papandréou a en outre admis que les relations transatlantiques traversaient une «crise importante». Il a souhaité à ce propos qu’Américains et Européens en «parlent avec franchise». Le ministre grec a par ailleurs insisté pour que «le conflit en Irak ne donne pas lieu à un conflit de civilisations et religions». «Il faut renforcer notre coopération avec le monde et développer un dialogue entre les civilisations», a-t-il également souhaité.

En France, Jacques Chirac a pour sa part estimé que le conflit déclenché par les Américains et les Britanniques serait «lourd de conséquences pour l’avenir». Il a en outre souhaité que ces opérations «soient les plus rapides et les moins meurtrières possibles». «Demain il nous faudra nous retrouver avec nos alliés, avec toute la communauté internationale, pour relever les défis qui nous attendent», a également insisté, le président français, faisant explicitement référence aux divisions qui secouent l’Europe. «La France, a-t-il notamment déclaré, ne se résigne pas à ce que l’Europe reste inachevée». Ne cachant pas son inquiétude quant aux conséquences de l’unilatéralisme américain, il a en outre estimé que l’UE devait «prendre conscience de la nécessité d’exprimer sa propre vision des problèmes du monde et de soutenir cette vision par une défense commune crédible».

Fidèle à sa position pacifiste, l’Allemagne s’est pour sa part déclarée «consternée» par l’attaque américaine. Inquiète de ses conséquences, elle a affirmé que «tout doit être fait pour éviter au peuple irakien une catastrophe humanitaire». Berlin s’est d’ailleurs dit prêt à aider les Nations unies ainsi que les organisations humanitaire pour «atténuer les souffrances de la population». En Belgique, le Premier ministre a de son côté condamné «la renonciation à l’ordre juridique international». La Belgique s’était rangée aux côtés de la France et de l’Allemagne pour s’opposer au sein de l’OTAN aux demandes américaines de soutien à la Turquie, seul pays de l’Alliance qui possède une frontière commune avec l’Irak.

La Russie, membre permanent du Conseil de sécurité qui avait menacé, comme la France, d’opposer son veto à une résolution des Nations unies ouvrant la voie à une guerre, a également vivement condamné l’usage de la force. Le président Vladimir Poutine a en outre insisté sur «l’arrêt rapide de l’opération militaire» en cours, estimant que la guerre était «une grave erreur politique». Il a affirmé que son pays avait l’intention de «faire revenir la crise irakienne dans un processus de règlement pacifique, sur la base des résolutions du Conseil de sécurité». Cette déclaration risque toutefois de n’avoir que très peu d’impact face à la détermination des Américains et des Britanniques.

Le monde arabe, enfin, a été violemment ébranlé par les premières frappes contre l’Irak. Des manifestations, dont la plus importante s’est déroulée en Egypte, se sont spontanément organisées dans plusieurs pays. Réagissant à l’attaque américaine, le secrétaire général adjoint de la Ligue arabe, Saïd Kamal, a affirmé qu’après l’Irak, «le tour des autres pays arabes viendra». «La question que chaque citoyen arabe se pose est la suivante : qui a donné l’autorisation à Bush de s’ingérer dans les affaires irakiennes ? Personne, pas même le peuple américain», a-t-il par ailleurs souligné, condamnant explicitement l’unilatéralisme américain. La veille Amr Moussa, le secrétaire général de l’organisation panarabe avait dénoncé la politique de «deux poids deux mesures» de Washington dans la région. Cette politique provoque «la colère» des masses arabes qui ne comprennent pas les Etats-Unis qui lancent une guerre contre l’Irak et assurent en même temps la protection d’Israël, avait-il notamment souligné.

Ecouter également :
Leila Chahid, déléguée générale de Palestine en France

Leila Chahid au micro de Pierre Ganz, 20/03/2003, 4'57

La déclaration de Kofi Annan 20/03/2003, 1'20



par Mounia  Daoudi

Article publié le 20/03/2003