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Centrafrique

L’opposant de toujours devient chef du gouvernement

Abel Goumba vient d’être nommé Premier ministre. Le général François Bozizé a choisi le doyen de la classe politique centrafricaine pour conduire la politique de «redressement du pays». L’homme connu pour sa rigueur a aussi été choisi parce qu’il est une figure respectée de la vie politique en Centrafrique et qui a participé à la naissance de la République.


«C’est le couronnement de la vie de combat que j’ai menée pendant 40 ans pour la démocratie dans ce pays», a déclaré Abel Goumba à l’annonce de sa nomination au poste de Premier ministre par le général président François Bozizé. Abel Goumba a dit avoir appris à la radio nationale sa nomination, mais il n’en demeure pas moins qu’il a été le seul homme politique que le nouveau président de la République a reçu deux fois de suite. Il est vrai que l’opposition dans son ensemble avait salué le coup d’Etat du 15 mars et que le député Abel Goumba assure actuellement la présidence tournante de la Coordination des partis politiques de l’opposition (CPPO). Cette coordination compte 12 partis, dont Abel Goumba préside une des composantes, le Front patriotique pour le progrès (FPP).

Dans les premiers jours qui ont suivi la prise du pouvoir par les troupes du général Bozizé, le nouveau Premier ministre avait publiquement déclaré, que «ce coup d’Etat ne pouvait s’apparenter à un coup d’Etat classique, car il avait débarrassé le pays d’un dictateur qui a amené la misère». A 76 ans le vieux politicien, figure emblématique de la vie politique centrafricaine, pour une fois, a refusé de condamner un putsch militaire. Il a estimé que le régime de l’ancien président Ange-Félix Patassé «avait poussé le peuple à la révolte». Il définit déjà sa tâche comme une mission de redressement. «Un gouvernement ramassé, soudé et surtout l’intégrité, la lutte contre la corruption, c’est tout ce que j’ai toujours préconisé pour ce pays», précise t-il. Ces premières déclarations d’Abel Goumba sonnent comme les premières lignes d’une action politique souhaitée par le nouveau régime et pour la transition annoncée.

Compagnon du père de l’indépendance

A l’annonce de la nomination d’Abel Goumba, des mouvements de liesse de la population ont été constatés dans les rues de Bangui. Une foule de partisans s’est portée à son domicile pour le féliciter et dire la confiance qu’elle place en cet homme réputé intègre. Compagnon du père de l’indépendance, Barthélémy Boganda, plusieurs fois emprisonné, contraint à l’exil, il avait toujours maintenu une ligne ferme contre tous les régimes qui se sont succédé à la tête de la Centrafrique.

Dans les années 50 il avait fondé le Mouvement d’évolution démocratique en Afrique centrale (Medac). C’était le premier acte politique du jeune «médecin africain» formé à Dakar au Sénégal. Son premier poste a été à Dolizy au Congo, qu’il quittait assez vite pour rejoindre le gouvernement Boganda à la proclamation de l’indépendance de la Centrafrique. Ministre des Finances et vice-président, il a assuré l’intérim de la présidence de la République, à la mort de Barthélémy Boganda en 1959, avant de céder le pouvoir à David Dacko. L’esprit libre et revendicatif du jeune «médecin africain», lui ont valu de s’attirer les foudres de certains lobbies affairistes de l’Afrique post-coloniale. Accusé de penchants «communistes», il a été emprisonné, puis mis en résidence surveillée avant de bénéficier d’une bourse d’étude de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), pour la formation de cadres africains, en 1964. A la faculté de médecine de Bordeaux, en France, il obtint son diplôme de médecin et une agrégation en santé publique en 1971.

Fonctionnaire de l’OMS, il était en mission au bureau régional de l’organisation à Kigali au Rwanda de 1973 à 1977 avant d’être affecté à Cotonou au Bénin, pour prendre la direction du Centre régional de développement sanitaire. Rattrapé par la politique en 1980, il donne sa démission de l’OMS pour retourner dans son pays où il devient recteur de l’université nationale. Candidat malheureux à l’élection présidentielle de 1981, suite à la chute de l’empereur Bokassa, il se brouille avec le régime en place, celui du général André Kolingba qui a renversé le président élu, David Dacko. Abel Goumba retourne en prison où il fait la connaissance de l’actuel président de la République, François Bozizé. Plusieurs fois emprisonné et mis à la retraite anticipée il crée néanmoins en 1993, à la faveur du multipartisme, son parti politique le Front patriotique oubanguien (FPO), rebaptisé aujourd’hui FPP (Front patriotique pour le progrès) et se présente aux élections présidentielles de 1993 et de 1999, toutes remportées par Ange-félix Patassé.

L’opposant de toujours ou encore l’éternel opposant comme on l’appelle dans les milieux politiques africains, analyse son retour aux affaires comme une consécration. En remerciant la foule de Banguissois amassés devant son domicile, il dit ne pas être surpris par la joie suscitée par sa nomination, car «la foule connaît mon intégrité. Elle sait que je ne m’acoquine pas avec tous les gouvernements au bord de la mangeoire», a –t-il déclaré.



Article publié le 24/03/2003