Algérie
Chirac suscite l’espoir au risque de décevoir
L’accueil triomphal réservé à Jacques Chirac en Algérie semble témoigner d’une volonté réelle d’améliorer les relations entre Alger et Paris. Les deux pays ont en effet multiplié les gestes symboliques allant du dépôt de gerbe devant le monument des Martyrs de la guerre de libération au recueillement dans le cimetière chrétien et juif d’Alger en mémoire aux Français morts en Algérie. Pour officialiser ce tournant dans les relations entre les deux Etats, le président français et son homologue Abdelaziz Bouteflika ont également signé une déclaration commune destinée à renforcer leur coopération dans les domaines économique, politique et culturel. Si ces engagements ont le mérite d’exister, ils n’en demeurent pas moins insuffisants au regard notamment des nombreuses attentes du peuple algérien.
Les images de la réconciliation franco-algérienne ont été nombreuses durant cette visite d’Etat de trois jours, la première effectuée par un président français depuis l’indépendance de l’Algérie. Il y a d’abord eu l’accueil réservé à Jacques Chirac par les quelque 200 000 Algériens massé le long du parcours qu’il a emprunté à son arrivée à Alger. Il y a ensuite eu la signature de cette déclaration commune, prémisse d’un pacte d’amitié franco-algérienne à l’image de celui institué entre Paris et Berlin. Il y a eu également le discours prononcé devant les deux chambres du parlement réunies au palais de la Nation. Le président français y a exposé sa vision d’une Algérie apaisée, ouverte sur le monde, démocratique et prospère. «La France peut vous aider», a-t-il notamment lancé en s’engageant à ce qu’elle soit «le meilleur avocat de l’Algérie auprès des institutions financières internationales pour ses projets de développement». Il y a eu enfin la visite à Oran où quelque 600 000 personnes sont venues acclamer Jacques Chirac. Lors d’une rencontre avec les étudiants de l'université d'Oran, il a appelé à «faire vivre les idéaux de liberté, de tolérance, de solidarité, de justice, de fraternité».
Mais au delà de ces symboles et au delà de la fête officielle, de nombreuses questions demeurent en suspens. Parmi les centaines de milliers d’Algériens descendus dans la rue pour accueillir Jacques Chirac, nombreux réclamaient des visas. Ces festivités ne seraient-elles donc que le reflet du désespoir des Algériens et de leurs immenses attentes vis-à-vis de la France ? Abdelaziz Bouteflika l’a d’ailleurs lui même ouvertement reconnu lorsqu’il affirmé qu’en réclamant des visas, les Algériens dénonçait le manque de bonheur chez eux. «C’est une façon de dire : nous aimons M.Chirac, nous aimons la France et aussi une façon de dire qu’il n’y a pas assez de bonheur et de sérénité en Algérie», a-t-il notamment déclaré. Officiellement, 12 millions d’Algériens vivent au-dessous du seuil de pauvreté et des régions entières sont sinistrées. Une majorité des jeunes n’aspire qu’à quitter le pays et les réponses de Jacques Chirac à cette attente risquent d’être très décevantes. La France en effet entend poursuivre une politique restrictive de délivrance des visas, le ministre français de l’Intérieur Nicolas Sarkozy n’ayant pas caché son intention de limiter les flux migratoires par ce biais. Selon lui, l’augmentation massive du nombre des visas délivrés est à l’origine de l’accroissement de l’immigration clandestine en France.
Les droits de l’homme «évoqués»
Mis à part le problème de libre circulation des personnes, le président français était également attendu sur les questions économiques. Trois conventions de financements d’un montant de 95 millions d’euros ont certes été signées dimanche pour aider à la modernisation des petites et moyennes entreprises et financer des projets dans les domaines de l’eau, de l’habitat et du secteur bancaire, mais il en faudrait beaucoup plus pour remettre sur pied l’économie algérienne. Certains journaux ont d’ores et déjà estimé que Jacques Chirac n’avait pas dissipé «toutes les méfiances». «La confiance dans les beaux discours c’est déjà bien, a ainsi estimé le quotidien La nouvelle république, mais cela serait déjà mieux si cela se ressentait à toutes les échelles des rapports entre les Français et les Algériens». Ce journal estime en outre que «la confiance» ne reviendra que lorsque Air France reprendra ses vols vers l’Algérie, suspendus depuis fin 1994, ou lorsque la demande d’équipements militaires sera satisfaite.
Le quotidien Le matin estime pour sa part qu’«il ne faut pas se bercer de faux espoirs en pensant que le président français peut contraindre les entrepreneurs à s’installer en Algérie». La sécurité s’est certes améliorée ces dernières années et n’a désormais plus à rien à voir avec la situation qui prévalait il y a encore quelques mois. Mais certains problèmes subsistent néanmoins ; en témoigne notamment le meurtre, le 11 février dernier, de 12 villageois dans la région de Tipaza à 70 kilomètres d’Alger. Et si l’insécurité est largement responsable du peu d’attractivité économique de l’Algérie, elle n’en est pas la seule cause, la bureaucratie avec un contrôle des changes contraignant et un système douanier inefficace a également sa part de responsabilité.
Sur le plan politique enfin, la visite de Jacques Chirac a contribué à conforter la position du président Bouteflika, pourtant de plus en plus contesté dans le pays. Et si les aarouchs, le fer de lance de la révolte kabyle, n’ont pu rencontrer comme ils le projetaient le président français, ils ont néanmoins déposé une lettre à son intention à l’ambassade de France dans laquelle ils dénoncent l’impunité qui entoure les exactions commises en Kabylie. «Votre visite intervient au moment où les droits de l’homme sont bafoués par la répression féroce que subissent les citoyens parce qu’ils revendiquent un minimum de liberté», peut-on notamment lire dans ce courrier. Le sort des disparus –ils seraient quelque 7 000– enlevés par les services de sécurité ou des groupes islamistes armés demeurent par ailleurs inconnu. Pressé par plusieurs ONG d’aborder ce sujet avec les autorités algériennes, Jacques Chirac s’est contenté de répondre très sèchement : «Nous en avons parlé avec le président Bouteflika».
A écouter :
Bilan de la visite de Jacques Chirac
Geneviève Goëtzinger, journaliste, fait le bilan de cette visite d'Etat au micro de Philippe Cergel (04/03/203).
Mais au delà de ces symboles et au delà de la fête officielle, de nombreuses questions demeurent en suspens. Parmi les centaines de milliers d’Algériens descendus dans la rue pour accueillir Jacques Chirac, nombreux réclamaient des visas. Ces festivités ne seraient-elles donc que le reflet du désespoir des Algériens et de leurs immenses attentes vis-à-vis de la France ? Abdelaziz Bouteflika l’a d’ailleurs lui même ouvertement reconnu lorsqu’il affirmé qu’en réclamant des visas, les Algériens dénonçait le manque de bonheur chez eux. «C’est une façon de dire : nous aimons M.Chirac, nous aimons la France et aussi une façon de dire qu’il n’y a pas assez de bonheur et de sérénité en Algérie», a-t-il notamment déclaré. Officiellement, 12 millions d’Algériens vivent au-dessous du seuil de pauvreté et des régions entières sont sinistrées. Une majorité des jeunes n’aspire qu’à quitter le pays et les réponses de Jacques Chirac à cette attente risquent d’être très décevantes. La France en effet entend poursuivre une politique restrictive de délivrance des visas, le ministre français de l’Intérieur Nicolas Sarkozy n’ayant pas caché son intention de limiter les flux migratoires par ce biais. Selon lui, l’augmentation massive du nombre des visas délivrés est à l’origine de l’accroissement de l’immigration clandestine en France.
Les droits de l’homme «évoqués»
Mis à part le problème de libre circulation des personnes, le président français était également attendu sur les questions économiques. Trois conventions de financements d’un montant de 95 millions d’euros ont certes été signées dimanche pour aider à la modernisation des petites et moyennes entreprises et financer des projets dans les domaines de l’eau, de l’habitat et du secteur bancaire, mais il en faudrait beaucoup plus pour remettre sur pied l’économie algérienne. Certains journaux ont d’ores et déjà estimé que Jacques Chirac n’avait pas dissipé «toutes les méfiances». «La confiance dans les beaux discours c’est déjà bien, a ainsi estimé le quotidien La nouvelle république, mais cela serait déjà mieux si cela se ressentait à toutes les échelles des rapports entre les Français et les Algériens». Ce journal estime en outre que «la confiance» ne reviendra que lorsque Air France reprendra ses vols vers l’Algérie, suspendus depuis fin 1994, ou lorsque la demande d’équipements militaires sera satisfaite.
Le quotidien Le matin estime pour sa part qu’«il ne faut pas se bercer de faux espoirs en pensant que le président français peut contraindre les entrepreneurs à s’installer en Algérie». La sécurité s’est certes améliorée ces dernières années et n’a désormais plus à rien à voir avec la situation qui prévalait il y a encore quelques mois. Mais certains problèmes subsistent néanmoins ; en témoigne notamment le meurtre, le 11 février dernier, de 12 villageois dans la région de Tipaza à 70 kilomètres d’Alger. Et si l’insécurité est largement responsable du peu d’attractivité économique de l’Algérie, elle n’en est pas la seule cause, la bureaucratie avec un contrôle des changes contraignant et un système douanier inefficace a également sa part de responsabilité.
Sur le plan politique enfin, la visite de Jacques Chirac a contribué à conforter la position du président Bouteflika, pourtant de plus en plus contesté dans le pays. Et si les aarouchs, le fer de lance de la révolte kabyle, n’ont pu rencontrer comme ils le projetaient le président français, ils ont néanmoins déposé une lettre à son intention à l’ambassade de France dans laquelle ils dénoncent l’impunité qui entoure les exactions commises en Kabylie. «Votre visite intervient au moment où les droits de l’homme sont bafoués par la répression féroce que subissent les citoyens parce qu’ils revendiquent un minimum de liberté», peut-on notamment lire dans ce courrier. Le sort des disparus –ils seraient quelque 7 000– enlevés par les services de sécurité ou des groupes islamistes armés demeurent par ailleurs inconnu. Pressé par plusieurs ONG d’aborder ce sujet avec les autorités algériennes, Jacques Chirac s’est contenté de répondre très sèchement : «Nous en avons parlé avec le président Bouteflika».
A écouter :
Bilan de la visite de Jacques Chirac
Geneviève Goëtzinger, journaliste, fait le bilan de cette visite d'Etat au micro de Philippe Cergel (04/03/203).
par Mounia Daoudi
Article publié le 04/03/2003