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Environnement

Quel est le bon prix de l’eau ?

Difficile question à laquelle les 33 000 participants des 179 pays venus au 3e Forum mondial de l’Eau n’ont pas pu apporter une réponse unanime. Deux écoles s’affrontent : celle qui pense que l’accès à l’eau potable et à l’assainissement est un droit fondamental qui ne peut être soumis aux diktats du marché et l’autre qui estime que l’eau est une denrée possédant une valeur économique et, de ce fait, doit être reconnue en tant que bien économique.
De notre envoyée spéciale à Kyoto

Les Nations unies estiment que 2,2 millions de personnes, pour la plupart provenant des pays en développement, meurent chaque année de maladies liées à l’eau. Environ un milliard n’ont pas accès à une source continue d’eau potable et 2,4 milliards sont privés de sanitaires. Le chemin semble long et ardu pour atteindre l’un des objectifs de développement pour le millénaire, établi par les Nations Unis pour 2015 : réduire de moitié le pourcentage de la population qui n’a pas accès à l’eau potable.

Souvent ce sont les plus démunis qui sont emmenés à payer un prix fort pour l’accès à l’eau. Exploités par un système corrompu, «les habitants des bidonvilles de Nairobi paient un tarif 11 fois plus cher que celui imposé par la municipalité», affirme Molly O’Meara Sheehan pour le rapport annuel de Worldwatch Institute. «Les pauvres le paient cher leur choléra», renchérit la chercheuse Carolyn Stephens. Anna Tibaijuka, directrice de UN Habitat déclare que l’investissement actuel dans le secteur de l’eau et de l’assainissement est si bas parce qu’il n’y a pas de politique de prix réaliste en matière d’eau.

L’idée avancée par tous au cours de ce Forum est de trouver un nouveau type de partenariat comprenant le secteur privé, le secteur public et les collectivités locales. John Roberts, de Platts Global Water Report, estime qu’il ne devrait pas être difficile de récolter les fonds nécessaires pour atteindre les objectifs du Millénaire, soit 180 milliards dollars US en investissements annuels dédiés à l’eau. «Il faudrait que les bailleurs de fonds changent d’attitude et n’éprouvent pas de crainte à prêter aux collectivités locales directement et il est donc important de donner les moyens aux collectivités locales d’accéder à ces prêts».

Cela sous-entend aussi que les gouvernements veuillent bien renoncer dans une certaine mesure à tout contrôler. Ce qui n’est pas encore gagné. Dans le nord-ouest de la Tanzanie, dans la région de Mara près du lac Victoria, 68% de la population n’a pas accès à l’eau potable. Le gouvernement Tanzanien est seul à garantir le service de distribution. Benedict Chacha de l’ONG Help Foundation déplore cette situation : «Le laisser-aller affiché par ce gouvernement qui préfère de toute façon dépenser plus en armement est intolérable. Nous proposons depuis longtemps un système de gestion et de distribution gérée par les communautés locales. Ici, la solution passe par le rain water harvesting (la collecte d’eau de pluie). Le forage de puits n’est pas envisagé parce qu’il implique la participation des ingénieurs de l’État qui ont tendance à gonfler les budgets en contractant des prêts auprès de pays riches. Mais en fin de compte, c’est la population locale qui en paie le prix

Il pourrait avoir recours au nouvel organe créé par l’Unesco pour régler les querelles sur l’eau. Une initiative à laquelle participe le Tribunal d’Arbitrage Permanent de la Haie. Malheureusement, ce processus n’est enclenché uniquement si les deux parties veulent se référer à cette instance.

Renoncer à tout contrôler

Patrick McCully du International Rivers Network mène une lutte acharnée contre la privatisation et les grands barrages : «Toutes ces initiatives décidées par les institutions internationales et certains pays sont profondément injuste envers les pauvres. Ce sont eux qui en fin de compte paient le prix et le risque encouru par l’investissement privé» Et poursuit, David Boys, l’un des directeurs de l’Internationale des Services Publics, une fédération de 600 syndicats de 150 pays : «Le rapport Camdessus sur le financement des infrastructures de l’eau préconise à travers une facilite trésorerie en cas de dévaluation et un fonds renouvelable (visant à traiter le problème des importants coûts fixes liés à la préparation des contrats et des appels d’offre) que les risques et les frais soient pris en charge par les populations et leurs pays. Nous avons souvent dénoncé les moyens de pression exercés auprès des gouvernements en développement par les grandes multinationales de l’eau en connivence avec les pays donateurs pour que les contrats leur soient alloués.»

Le président français Jacques Chirac annonce qu’il est impératif de décentraliser la gestion de l’eau et soutient la création d’un observatoire international chargé de veiller à garantir, entre autres, la transparence des contrats de gestion déléguée.

Pour Agnès van Ardenne-van Der Hoeven, ministre de la Coopération et du Développement des Pays Bas, «nous devons travailler avec le secteur privé. Les gouvernements ne veulent pas prendre de risques alors que le secteur privé n’hésite pas à le faire».

De l’autre côté de l’Atlantique, un groupe de financiers américains soutenus par des experts ont exposé quelques idées innovantes en matière de financement du secteur privé. Michael Curley, directeur du International Center for Environmental Finance : «Le secteur public ne dispose pas de suffisamment de ressources pour développer les projets liés à l’eau. Alors que le secteur privé dispose d’un capital croissant. La question est de savoir comment y avoir accès

Michael Curley pense que la privatisation systématique de l’eau aura essentiellement lieu aux États-Unis et, peut-être, en Chine. Mais selon Curley, le meilleur moyen pour les opérateurs de l’eau des pays en développement d’atténuer les inquiétudes des bailleurs de fonds est d’appliquer ces mesures: réformes tarifaires avec pour objectif remplacer les subventions globales par des subventions ciblées permettant un retour sur investissement rapide ; et une comptabilité stricte qui veille de près chaque son dépensé ou gagné.

Le président français Jacques Chirac a précisé à Kyoto que la France qui présidera la prochain sommet du G8 en juin prochain a choisi de mettre l’eau et le continent africain au cœur de ses priorités. Les échanges réalisés à Kyoto ont contribué, malgré les désappointements de part et d’autre, à préparer la prochaine réunion du G8. A l’instar du ministre sénégalais de l’Energie, Macky Sall qui s’attend à ce que les huit pays concernés annoncent l’apport de financement tangibles pour aider les Etats africains à mettre en place le Plan africain d’action pour l’eau.



par Zeenat  Hansrod

Article publié le 29/03/2003