Sierra Leone
Juger ses bourreaux
Le tribunal spécial des Nations unies pour la Sierra Leone entame ce 15 mars l’examen des dossiers des quatre premiers inculpés pour crimes de guerre. Ce tribunal a la lourde responsabilité de juger les atrocités commises par les différentes parties pendant la guerre civile. Après dix ans d’un conflit qui a fait au moins 200 000 victimes, cette étape pourrait marquer le point de départ d’une véritable réconciliation nationale.
Quatre inculpés comparaissent ce 15 mars devant le tribunal spécial des Nations unies pour les crimes de guerre en Sierra Leone. Cette première audience constitue le point de départ d'une série de procès dont les accusés ont profondément marqué la communauté internationale pour la cruauté des exactions qu'ils sont présumés avoir commis lors de la guerre civile. Ces hommes sont accusés de «meurtre, viol, extermination, actes de terreur, esclavage, pillages et incendies, esclavage sexuel, enrôlement d'enfants forcés». Leur tentative de conquête de la capitale, en décembre 1998 et janvier 1999, avait donné lieu aux pires atrocités commises sur des civiles. Freetown et sa banlieue avait été plongés dans l’horreur. Des milliers de gens avaient été affreusement mutilés dans un déchaînement de violences et ces épisodes insupportables avaient largement contribué à alerter l’opinion publique sur la gravité de la situation en Sierra Leone.
Grâce à l’intervention exceptionnelle de l’Organisation des Nations unies, qui a déployé sur place sa plus importante mission militaire avec quelques 17 000 hommes toujours présents, ainsi qu’au concours de l’armée britannique, la rébellion fut réduite à la négociation et la légitimité du président élu Ahmad Tejan Kabbah restaurée. Des accords politiques de partage du pouvoir, censés sceller la réconciliation nationale et prévoyant notamment l’amnistie des criminels, furent conclus à Lomé au grand désespoir des victimes qui, face à la réhabilitation de leurs anciens bourreaux, virent se profiler le spectre de l’impunité. Mais le non-respect des accords par les hommes du RUF (Front révolutionnaire uni) ouvrit une nouvelle période de troubles à laquelle le contingent international répliqua avec la plus grande fermeté. Les ex-rebelles durent se résoudre à la fuite ou à la captivité. Leur chef, Foday Sankoh, échappa de justesse au lynchage : son arrestation lui sauva probablement la vie.
Outre la gravité des événements, ce dossier sierra-leonais s’inscrit dans un contexte global de fortes pressions pour l’établissement d’une justice pénale internationale dont les critères n’incluent pas, par exemple, la notion de «réconciliation nationale» lorsqu’il s’agit d’examiner des crimes imprescriptibles. D’autre part la principale caractéristique de ce tribunal est d’être «mixte», c’est à dire que son personnel est à la fois sierra-leonais et onussien, bien que résolument inspiré par les principes des précédentes cours criminelles internationales. Ainsi, en optant pour un tribunal mixte (ONU et Sierra-Leone) Freetown accepte de déléguer une part de sa souveraineté à la communauté internationale et tourne résolument la page du projet d’une réconciliation sur la base du pardon et d’un partage du pouvoir entre bourreaux et victimes. La voie s’ouvrait totalement vers la mise en accusation et la tenue du procès des criminels de guerre. Pour Freetown, c’est une arme à double-tranchant en raison des exactions commises aussi par les partisans du président Kabbah, pendant la guerre.
La clef de voûte de la réconciliation nationale
De son côté, après une implication aussi massive sur le plan militaire, pas question pour l’ONU de ne pas aller jusqu’au bout de son engagement. En conséquence, face à la désorganisation totale des infrastructures du pays, de son administration et de son système judiciaire, l’organisation internationale proposa aussi la création du tribunal mixte afin de rendre la justice dans les meilleures conditions. A la mi-mars 2002, la création du tribunal spécial était approuvée par l’ONU. L’organisation internationale fournit l’essentiel de la logistique. Mais son rôle est également prépondérant dans l’administration même de la justice puisque le secrétaire général nomme le procureur et la majorité des juges, tant en première instance qu’à la Chambre d’appel. Le consensus est recommandé pour le choix des autres magistrats. Ce tribunal, enfin, ne prononce pas de peines capitales.
Le 10 mars, sept personnes ont été inculpées. Parmi elles figurent le chef du RUF et ses principaux lieutenants, à l’exception notable du numéro 2, Sam Bockarie, en fuite, tout comme l’ancien chef de la junte et ex-allié du RUF Johnny Paul Koroma, lui aussi introuvable. Parmi les inculpés figurent l’actuel ministre de l’Intérieur, Sam Hinga Norman, qui dirigea les miliciens Kamajors, fidèles au président Kabbah pendant la guerre, mais néanmoins responsables d’atrocités. Ce samedi toutefois, le ministre n’a pas été appelé à comparaître. Seuls quatre inculpés devaient être présentés devant les juges : trois dirigeants du RUF et un membre de l’ex-junte.
Ce tribunal n’est ni un Tribunal pénal international, ni une cour criminelle nationale, ni un avatar de la Cour pénale internationale, bien qu’il soit très fortement imprégné de toute cette tradition. Il fonctionne en vertu des principes de mixité et de consensus et selon une formule inédite dont l’enjeu est capitale. Son travail est considéré comme la clef de voûte de cette fameuse «réconciliation nationale» qu’une Commission vérité et réconciliation, en vigueur depuis l’année dernière, peine à établir faute de disposer de la confiance des citoyens de ce pays, traumatisés par ce qui vient de leur arriver.
C’est aussi l’administration d’une justice exemplaire pour toute la sous-région qui est attendue à Freetown. Car si la Sierra Leone est désormais déclarée «en paix» par les Nations unies, le conflit a essaimé et, avec lui, ses combattants que l'on retrouve aujourd'hui au Libéria et jusque sur le front ouest ivoirien. Selon une rumeur persistante Sam Bockarie, l'un des inculpés en fuite, est dans la région où les méthodes de certains jeunes miliciens anglophones rappellent étrangement celles des combattants du RUF.
Grâce à l’intervention exceptionnelle de l’Organisation des Nations unies, qui a déployé sur place sa plus importante mission militaire avec quelques 17 000 hommes toujours présents, ainsi qu’au concours de l’armée britannique, la rébellion fut réduite à la négociation et la légitimité du président élu Ahmad Tejan Kabbah restaurée. Des accords politiques de partage du pouvoir, censés sceller la réconciliation nationale et prévoyant notamment l’amnistie des criminels, furent conclus à Lomé au grand désespoir des victimes qui, face à la réhabilitation de leurs anciens bourreaux, virent se profiler le spectre de l’impunité. Mais le non-respect des accords par les hommes du RUF (Front révolutionnaire uni) ouvrit une nouvelle période de troubles à laquelle le contingent international répliqua avec la plus grande fermeté. Les ex-rebelles durent se résoudre à la fuite ou à la captivité. Leur chef, Foday Sankoh, échappa de justesse au lynchage : son arrestation lui sauva probablement la vie.
Outre la gravité des événements, ce dossier sierra-leonais s’inscrit dans un contexte global de fortes pressions pour l’établissement d’une justice pénale internationale dont les critères n’incluent pas, par exemple, la notion de «réconciliation nationale» lorsqu’il s’agit d’examiner des crimes imprescriptibles. D’autre part la principale caractéristique de ce tribunal est d’être «mixte», c’est à dire que son personnel est à la fois sierra-leonais et onussien, bien que résolument inspiré par les principes des précédentes cours criminelles internationales. Ainsi, en optant pour un tribunal mixte (ONU et Sierra-Leone) Freetown accepte de déléguer une part de sa souveraineté à la communauté internationale et tourne résolument la page du projet d’une réconciliation sur la base du pardon et d’un partage du pouvoir entre bourreaux et victimes. La voie s’ouvrait totalement vers la mise en accusation et la tenue du procès des criminels de guerre. Pour Freetown, c’est une arme à double-tranchant en raison des exactions commises aussi par les partisans du président Kabbah, pendant la guerre.
La clef de voûte de la réconciliation nationale
De son côté, après une implication aussi massive sur le plan militaire, pas question pour l’ONU de ne pas aller jusqu’au bout de son engagement. En conséquence, face à la désorganisation totale des infrastructures du pays, de son administration et de son système judiciaire, l’organisation internationale proposa aussi la création du tribunal mixte afin de rendre la justice dans les meilleures conditions. A la mi-mars 2002, la création du tribunal spécial était approuvée par l’ONU. L’organisation internationale fournit l’essentiel de la logistique. Mais son rôle est également prépondérant dans l’administration même de la justice puisque le secrétaire général nomme le procureur et la majorité des juges, tant en première instance qu’à la Chambre d’appel. Le consensus est recommandé pour le choix des autres magistrats. Ce tribunal, enfin, ne prononce pas de peines capitales.
Le 10 mars, sept personnes ont été inculpées. Parmi elles figurent le chef du RUF et ses principaux lieutenants, à l’exception notable du numéro 2, Sam Bockarie, en fuite, tout comme l’ancien chef de la junte et ex-allié du RUF Johnny Paul Koroma, lui aussi introuvable. Parmi les inculpés figurent l’actuel ministre de l’Intérieur, Sam Hinga Norman, qui dirigea les miliciens Kamajors, fidèles au président Kabbah pendant la guerre, mais néanmoins responsables d’atrocités. Ce samedi toutefois, le ministre n’a pas été appelé à comparaître. Seuls quatre inculpés devaient être présentés devant les juges : trois dirigeants du RUF et un membre de l’ex-junte.
Ce tribunal n’est ni un Tribunal pénal international, ni une cour criminelle nationale, ni un avatar de la Cour pénale internationale, bien qu’il soit très fortement imprégné de toute cette tradition. Il fonctionne en vertu des principes de mixité et de consensus et selon une formule inédite dont l’enjeu est capitale. Son travail est considéré comme la clef de voûte de cette fameuse «réconciliation nationale» qu’une Commission vérité et réconciliation, en vigueur depuis l’année dernière, peine à établir faute de disposer de la confiance des citoyens de ce pays, traumatisés par ce qui vient de leur arriver.
C’est aussi l’administration d’une justice exemplaire pour toute la sous-région qui est attendue à Freetown. Car si la Sierra Leone est désormais déclarée «en paix» par les Nations unies, le conflit a essaimé et, avec lui, ses combattants que l'on retrouve aujourd'hui au Libéria et jusque sur le front ouest ivoirien. Selon une rumeur persistante Sam Bockarie, l'un des inculpés en fuite, est dans la région où les méthodes de certains jeunes miliciens anglophones rappellent étrangement celles des combattants du RUF.
par Georges Abou
Article publié le 15/03/2003