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Bénin

Nicéphore Soglo, le retour

Huit ans après sa défaite, l’ancien chef d’Etat béninois revient aux affaires à la faveur des élections municipales de décembre 2003. Son nouveau trône, le fauteuil du maire de Cotonou.
De notre correspondant à Cotonou

L’homme n’avait pas trop le choix. La constitution béninoise de décembre 1990 interdit aux Béninois de plus de 70 ans de se présenter à l’élection présidentielle. L’ancien administrateur de la Banque mondiale est à un an de la limite prescrite. Pour la prochaine présidentielle prévue en 2006, il sera forclos comme Mathieu Kérékou son adversaire farouche.

En mars 2001, l’énarque avait brûlé sa dernière carte en tentant vainement de reprendre un pouvoir perdu contre toute attente, en mars 1996. Mathieu Kérékou lui avait une nouvelle fois barré la route en se faisant réélire au terme d’un scrutin particulier et très contesté. Pour sa revanche, il ne restait plus qu’à Soglo les commandes de la ville de Cotonou, «une petite république dans la République». La capitale économique très convoitée lui a donné une écrasante majorité. Son parti la Renaissance du Bénin a enlevé 31 des 45 sièges. Le scrutin fut inédit: plein de suspense et de tensions.

Echaudés par la présidentielle de 2001, les partisans de l’ancien chef d’Etat ont joué les sentinelles pendant les opérations de vote, le dépouillement et le convoyage des urnes au siège de la Commission électorale. L’inspecteur des finances est le tout premier chef d’Etat africain a quitter le palais présidentiel pour une mairie. Une césure lui confère d’emblée un brevet d’humilité. Nicéphore Soglo a été intronisé le lundi 3 mars 2003 au cours d’une méga-cérémonie. Électeurs et chauds partisans sont venus célébrer le retour de leur champion.

Pouvoir familial

Fils unique de sa mère, Nicéphore Soglo est un intellectuel dont le style de gouvernement irrite. Sa prétendue suffisance se nourrit de la fierté native d’Abomey, la cité des Rois au centre du Bénin. Ses formules cinglantes n’arrondissent pas les angles. Pour railler des militants dissidents de son parti, il a lancé le célèbre proverbe «la biche ne peut pas se fâcher durablement avec la rivière, elle reviendra pour y boire».

En 2001 et en plein scrutin présidentiel, quand Soglo dénonce «les professionnels du tripatouillage et la Cour des Miracles», il jette en pâture la Cour Constitutionnelle et ses juges. Mais le reproche récurrent, c’est «sa gestion familiale du pouvoir». En clair, Soglo ne fait aucune différence entre sa famille et l’État.

Rosine Honorine Vieyra qui partage sa vie depuis le 3 juillet 1958, est et reste son premier agent politique. Elle est très visible et envahissante, selon ses détracteurs. Le parti la Renaissance du Bénin lui doit son acte de naissance. Soglo chef d’État avait comme ministre d’État, premier des ministres, le beau-frère Désiré Vieyra, frère aîné de son épouse. ministre d’État chargé de la Défense, il était l’œil et la main droite du président élu.

Huit ans après, on retrouve à ses côtés comme maire adjoint de Cotonou, son fils aîné Léhady Soglo. Il a été élu par le conseil municipal certes, mais l’opinion ne fait pas de discernement. Comme l’ex-Première Dame, Léhady Soglo a toujours été au premier et très présent aux côtés de son père. A la présidence de la République, il était le tout-puissant «Monsieur communication».

Nicéphore Soglo lit beaucoup, du Aimé Césaire surtout mais aussi les recueils de proverbes africains. Il est viscéralement anti-esclavagiste et obsédé par la dignité de l’Homme Noir. Souvent accroché à son combiné, il téléphone beaucoup. S’il est resté aussi populaire après huit ans de traversée du désert, il a laissé aux Cotonois l’impression d’un bâtisseur, d’un maçon toujours prêt à corriger les lézardes. En 5 ans de règne à la tête du pays, le taux de croissance négatif à son entrée en fonction est passé à 6%. Son plan d’assainissement de 1991 a fait oublier aux Béninois et aux étrangers le ridicule surnom «cototrous» inventé à l’époque du délabrement pour désigner les nids de poules de la capitale économique Cotonou.

En le propulsant à la mairie, ses électeurs lui donnent un mandat de cinq ans pour faire de Cotonou l’une des plus belles capitales de la sous-région ouest-africaine. Soglo a tout pour travailler: un mandat sorti des urnes et les plus beaux fleurons de l’économie béninoise installés sur sa municipalité. Le nouveau maire devra rapidement sortir de son chapeau ses recettes pour résoudre les problèmes de déchets solides, d’inondations et de pollution atmosphérique. «Nous sommes des bourreaux du travail», a fièrement proclamé celui que les Béninois ont surnommé Hercule.

Son retour aux affaires est une revanche modeste mais aussi une renaissance politique. Son parti la Renaissance du Bénin ébranlé par de nombreuses défections, pourra affronter avec un peu plus de sérénité les législatives du 30 mars prochain. En reconnaissant malgré lui le plébiscite de l’ancien chef d’État à la tête de Cotonou, un ministre du gouvernement Kérékou a eu cette phrase de défi: «Nous attendons les miracles de Soglo».



par Jean-Luc  Aplogan

Article publié le 05/03/2003