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Bénin

Fin de partie pour le «<i>justicier</i>» du Mono

L’aventure du champion béninois de l’autodéfense et de la justice expéditive a tourné court. Le «Robin des bois du Bénin», a été arrêté non pas pour la centaine d’exécutions qu’il a ordonnées, mais pour le récent meurtre de deux prétendues sorcières.
De notre correspondant à Cotonou

Le 4 novembre 2001 dans un petit village de Djakotomey. Tchikè Hadohoui, 82 ans, et sa fille Démahou Kidèmè, quinquagénaire, portées disparues quelques jours plus tôt sont retrouvées mortes. La première dans un champ, le corps mutilé à la machette. La deuxième dans un étang, le corps amputé de plusieurs organes: la tête, le cœur, les viscères et les membres inférieurs.

Les parents des victimes et la gendarmerie ne cherchent pas loin. Six suspects sont interpellés. Il s’agit d’une bande qui a conduit l’octogénaire et sa fille au camp «Ninja» chez celui qui se fait appeler «le colonel Dévi», justicier de la région, accusées d’avoir tué par sorcellerie un parent pour un conflit domanial.

Les six suspects déclinent toute responsabilité. Ils affirment avoir simplement déposé les deux femmes chez l’autoproclamé «colonel Dévi». Sans plus. La suite est l’affaire du justicier et de sa milice d’autodéfense.

Des convocations de la gendarmerie et du Procureur de la ville de Lokossa, chef-lieu du département du Mono atterrissent au camp «Ninja». Dévi et ses hommes, tout puissants dans le département, et flattés par les hommages de reconnaissance des populations pour leur combat impitoyable contre les malfrats, narguent les pouvoirs publics et refusent de se présenter. Deux mois plus tard, fortuitement de passage à la gendarmerie de Djakotomey dans la matinée du 4 janvier 2002, Dévi tombe dans les filets. L’arrestation est musclée et sanglante. Il est aussitôt transféré à la prison de Kandi à 650 km de Cotonou, pour «sa propre sécurité» déclare le procureur Nicolas Biaou.

La terreur et la légende

Dévi est âgé de 46 ans. Cultivateur de son état, coiffé d’un inséparable képi, Dévi est toujours vêtu d’un blouson déboutonné qui laisse voir un torse nu bardé d’impressionnants gris-gris et amulettes. Le fait qu’il se prénomme Zinsou (ce qui signifie jumeau) en jumeau qu’il est effectivement, ajoute à son auréole de détenteur de pouvoir surnaturel aux yeux de la popualtion.

C’est en 1999 que le phénomène Dévi est apparu. Son département d’origine le Mono est infesté de brigands outrageusement entreprenants. Ils collectionnent viols, vols, assassinats et menus forfaits. A la tête d’une impressionnante milice, des jeunes gens chômeurs pour la plupart, Dévi livre aux malfrats une guerre sans merci. Sa stratégie, les patrouilles nocturnes et le quadrillage de la région. L’arsenal, le pistolet artisanal, des machettes, des gourdins, des sifflets et surtout des amulettes. Les fameux gris-gris très prisés au Bénin, pays du vaudou, qui sont censés offrir une protection à toute épreuve.

La légende du «Robin des bois» béninois naît le 29 septembre 1999. Dévi réalise un exploit. Il attaque en pleine forêt l’ennemi numéro un de la gendarmerie et des populations et le neutralise. Zannou, le redoutable gangster, la terreur du Mono est arrêté par Dévi. Sur la place publique, il est immolé par le feu. Le calvaire du malfrat est salué par des clameurs. La foule jubile et rend hommage à son héros qui réussit là où la gendarmerie échoue.

Aussitôt Dévi devient aussi une légende vivante. Ses sorties mobilisent la foule .Pour avoir restauré la quiétude, Il a complètement éclipsé le rôle des forces de l’ordre. Elles ont perdu tout crédit. Dévi se découvre alors une mission; celle de protéger les populations par le rétablissement d’un certain ordre. Il se donne les moyens de cette mission en créant le camp «Ninja». Ses recrues font office de gendarmes et ses pouvoirs s’accroissent au point de faire apparaître le camp «Ninja» comme la seule structure où la justice est réellement rendue. Les populations ont trouvé en ces lieux leur tribunal et leur sous-préfecture.

Les organisations des droits de l’homme, les ONG, les partis politiques et la presse dénoncent les pratiques de Dévi mais devant sa popularité le pouvoir renonce à l’affronter brutalement. Il bénéficie même d’une certaine reconnaissance. Le 10 janvier 2000 à l’occasion de la fête des religions traditionnelles, Dévi a une place au podium officiel.

Ne connaissant plus de limite, Dévi va d’excès en excès. En deux ans les divers bilans lui imputent plus d’une centaine de crimes commis par le feu et la machette. Peu avant l’élection présidentielle de mars 2001, Dévi le cultivateur effectue ses sorties à bord d’une limousine rutilante. En le voyant plus tard faire campagne, et en bonne place, dans les meetings du candidat Kérékou, on comprend que le justicier est devenu un agent politique. Au déjeuner organisé pour fêter la victoire de Kérékou, Dévi est de la partie. On y voit des ministres de la République se levés pour le saluer chaleureusement.

L’opposant et président de l’Assemblée nationale, Adrien Houngbédji, à la télévision béninoise, a ironisé récemment:«Dévi à la table présidentielle, c’est déjà une décoration, le reste ne sera que simple formalité». A l’annonce de son arrestation bien des gens ont lorgné leur poste radio d’un air incrédule, simplement parce que le «colonel Dévi» était devenu une légende et surtout parce qu’il semblait intouchable.



par Jean-Luc  Aplogan

Article publié le 09/01/2002