Politique française
Irak : l’évolution de l’opinion inquiète le gouvernement
L’attitude des autorités françaises face à la guerre en Irak a trouvé un écho très favorable au sein d’une opinion publique franchement hostile au conflit. Mais l’implication de nombreux citoyens français dans les manifestations de protestation a révélé des niveaux d’engagement politique de nature très différente, et parfois antagonistes, entre militants anti-guerre et ceux dont le combat s’inscrit dans une logique nationaliste pro-arabe et antisioniste plus large. Des dérapages antisémites ont émaillé les récentes manifestations anti-guerre et dévoilé la fragilité du consensus apparent.
Depuis le début de la guerre les sondages montrent invariablement une opinion massivement opposée à la guerre. Mais un saut «qualitatif» a été franchi en fin de semaine dernière lorsque TF1 et Le Monde ont publié une étude indiquant que 33% des sondés ne souhaitent «vraiment pas» ou «plutôt pas» une victoire américano-britannique, contre 53% d'opinion au contraire favorable. Ce sondage, selon lequel le tiers des français aurait glissé d'une position anti-guerre à une position anti-américaine a provoqué l'effet d'un électrochoc sur la classe politique, elle-même troublée et divisée entre ses tendances les plus «atlantistes» et les plus «souverainistes», les plus pro-palestiniennes et les plus pro-israéliennes.
Au sein du camp de la majorité présidentielle, l'embarras est manifeste. Le chef du gouvernement et son ministre des Affaires étrangères sont montés au créneau pour déclarer en substance qu'il ne fallait pas prendre la partie pour le tout et surtout pas se tromper d’ennemi. «On ne peut pas laisser magnifier Saddam Hussein», a notamment déclaré Jean-Pierre Raffarin lors d’une réunion avec les responsables parlementaires, traduisant l’extrême préoccupation de la classe politique face à ce développement interne. Pour le moment, le chef de l’Etat se tait. Peut-être pense-t-il aux Algériens et Marocains brandissant leur drapeau national sur la place de la République au soir de sa réélection à la présidence, contre le candidat d’extrême droite, il y a moins d’un an ?
Au sein de l’opposition, l’embarras est tout aussi manifeste et l’état de délabrement dans lequel l’ont laissée les derniers rendez-vous électoraux n’en font pas un leader d’opinion capable d’émettre un message fort et mobilisateur. D’autant qu’elle est elle-même traversée par un fort courant pro-américain dans lequel se distingue nombre d’intellectuels juifs, dont les positions renforcent circulairement les raccourcis les plus odieux.
C’est également au sein de l’opposition que l’on retrouve les plus gros contingents de manifestants, là où s’expriment physiquement ce front intérieur. Là où les «Allah Akbar», «Mort aux juifs» et «Vive Saddam» côtoient les «Non à la guerre» et où l’incident guette, comme l’agression d’un groupe de jeunes juifs par des militants pro-palestinien, le 22 mars, et le tabassage de l’un d’entre eux à coups de barre de fer. Du coup, les organisateurs multiplient les précautions, certaines formations s’interrogeant même sur la poursuite de leur action, et dans quelles conditions, face à cette attitude «intolérable» (Jean-Pierre Raffarin), «inadmissible» (Bertand Delanoë, maire de Paris). Emportée par son indignation, une responsable des Verts a même proposé de manifester contre la guerre en brandissant des drapeaux israéliens ! Le collège exécutif de son parti a décliné la proposition à l’unanimité.
Antisémitisme arabe
La semaine dernière, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) tirait la sonnette d’alarme : les actes à caractère raciste sont en hausse en France, et on observe en particulier une très nette montée d’un antisémitisme relativement inédit, arabe, qui s’exprime désormais sans retenue dans certains quartiers et banlieues, parfois accompagné de passages à l’acte aussi brutaux qu’inquiétants. Depuis plusieurs années déjà, la communauté juive s’en plaint et dénonce la négligence coupable des autorités qui, selon elle, ont fermé les yeux sur ces dérives afin de sauvegarder une paix sociale toujours en équilibre.
Vivent en France plusieurs millions de musulmans (estimés à six), Français ou étrangers, et la communauté juive est forte de plusieurs centaines de milliers de personnes (estimée à six cent mille). Ce sont les deux plus importantes communautés musulmane et juive d’Europe. Chacune est marquée par sa propre histoire et chacune est parfois entraînée vers des engagements davantage dictés par l’appartenance communautaire que par le souci, au contraire, de s’en exonérer. Il serait caricatural, et injuste, de poser ainsi l’équation : Juifs = sionistes = racistes et Arabes = pro-palestiniens (donc pro-Saddam) = antisémites. Toutefois la multiplication des incidents dans le contexte de forte tension internationale, liée aux thématiques de la «nation (arabe) humiliée» et de la «communauté (juive) assiégée», a fortement imprégné le débat suscitant désormais les vives réactions enregistrées.
Mais, indépendamment de ces tensions communautaristes bien prévisibles, la guerre américano-britannique contre l’Irak prend aussi en France une tournure inattendue car elle renvoie les états-majors politiques à la complexité des déterminismes qui habitent leurs propres clientèles. Qu’ils soient de droite ou de gauche, on peut trouver dans ce pays, au sein d’une même formation, ou d’une même famille politique, autant d’atlantistes que de souverainistes, comme autant de pro-palestiniens que de pro-israéliens. Ce qui a pour vertu d’introduire un débat dans le débat. Mais, en raison de son histoire et de la politique de collaboration avec l’occupant menée par les autorités françaises durant la seconde guerre mondiale, et de leur contribution à l’extermination des juifs d’Europe, la France continue d’entretenir à l’égard des juifs (et d’Israël) une attitude qui ne veut plus prêter le flanc au moindre soupçon d’antisémitisme. Or l’équivalence logique entretenue par nombre de porte-parole pro-israéliens entre «lutte contre le sionisme» (en tant que mouvement colonial) et «antisémitisme» (racisme) a, jusqu’à un passé récent, contribué à enterrer un débat, courageusement réveillé toutefois il y a peu par quelques intellectuels, notamment juifs et Israéliens. C’est ce débat-là, que la classe politique française n’a pas su tenir, qui se signale à notre attention par des voies détournées.
Au sein du camp de la majorité présidentielle, l'embarras est manifeste. Le chef du gouvernement et son ministre des Affaires étrangères sont montés au créneau pour déclarer en substance qu'il ne fallait pas prendre la partie pour le tout et surtout pas se tromper d’ennemi. «On ne peut pas laisser magnifier Saddam Hussein», a notamment déclaré Jean-Pierre Raffarin lors d’une réunion avec les responsables parlementaires, traduisant l’extrême préoccupation de la classe politique face à ce développement interne. Pour le moment, le chef de l’Etat se tait. Peut-être pense-t-il aux Algériens et Marocains brandissant leur drapeau national sur la place de la République au soir de sa réélection à la présidence, contre le candidat d’extrême droite, il y a moins d’un an ?
Au sein de l’opposition, l’embarras est tout aussi manifeste et l’état de délabrement dans lequel l’ont laissée les derniers rendez-vous électoraux n’en font pas un leader d’opinion capable d’émettre un message fort et mobilisateur. D’autant qu’elle est elle-même traversée par un fort courant pro-américain dans lequel se distingue nombre d’intellectuels juifs, dont les positions renforcent circulairement les raccourcis les plus odieux.
C’est également au sein de l’opposition que l’on retrouve les plus gros contingents de manifestants, là où s’expriment physiquement ce front intérieur. Là où les «Allah Akbar», «Mort aux juifs» et «Vive Saddam» côtoient les «Non à la guerre» et où l’incident guette, comme l’agression d’un groupe de jeunes juifs par des militants pro-palestinien, le 22 mars, et le tabassage de l’un d’entre eux à coups de barre de fer. Du coup, les organisateurs multiplient les précautions, certaines formations s’interrogeant même sur la poursuite de leur action, et dans quelles conditions, face à cette attitude «intolérable» (Jean-Pierre Raffarin), «inadmissible» (Bertand Delanoë, maire de Paris). Emportée par son indignation, une responsable des Verts a même proposé de manifester contre la guerre en brandissant des drapeaux israéliens ! Le collège exécutif de son parti a décliné la proposition à l’unanimité.
Antisémitisme arabe
La semaine dernière, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) tirait la sonnette d’alarme : les actes à caractère raciste sont en hausse en France, et on observe en particulier une très nette montée d’un antisémitisme relativement inédit, arabe, qui s’exprime désormais sans retenue dans certains quartiers et banlieues, parfois accompagné de passages à l’acte aussi brutaux qu’inquiétants. Depuis plusieurs années déjà, la communauté juive s’en plaint et dénonce la négligence coupable des autorités qui, selon elle, ont fermé les yeux sur ces dérives afin de sauvegarder une paix sociale toujours en équilibre.
Vivent en France plusieurs millions de musulmans (estimés à six), Français ou étrangers, et la communauté juive est forte de plusieurs centaines de milliers de personnes (estimée à six cent mille). Ce sont les deux plus importantes communautés musulmane et juive d’Europe. Chacune est marquée par sa propre histoire et chacune est parfois entraînée vers des engagements davantage dictés par l’appartenance communautaire que par le souci, au contraire, de s’en exonérer. Il serait caricatural, et injuste, de poser ainsi l’équation : Juifs = sionistes = racistes et Arabes = pro-palestiniens (donc pro-Saddam) = antisémites. Toutefois la multiplication des incidents dans le contexte de forte tension internationale, liée aux thématiques de la «nation (arabe) humiliée» et de la «communauté (juive) assiégée», a fortement imprégné le débat suscitant désormais les vives réactions enregistrées.
Mais, indépendamment de ces tensions communautaristes bien prévisibles, la guerre américano-britannique contre l’Irak prend aussi en France une tournure inattendue car elle renvoie les états-majors politiques à la complexité des déterminismes qui habitent leurs propres clientèles. Qu’ils soient de droite ou de gauche, on peut trouver dans ce pays, au sein d’une même formation, ou d’une même famille politique, autant d’atlantistes que de souverainistes, comme autant de pro-palestiniens que de pro-israéliens. Ce qui a pour vertu d’introduire un débat dans le débat. Mais, en raison de son histoire et de la politique de collaboration avec l’occupant menée par les autorités françaises durant la seconde guerre mondiale, et de leur contribution à l’extermination des juifs d’Europe, la France continue d’entretenir à l’égard des juifs (et d’Israël) une attitude qui ne veut plus prêter le flanc au moindre soupçon d’antisémitisme. Or l’équivalence logique entretenue par nombre de porte-parole pro-israéliens entre «lutte contre le sionisme» (en tant que mouvement colonial) et «antisémitisme» (racisme) a, jusqu’à un passé récent, contribué à enterrer un débat, courageusement réveillé toutefois il y a peu par quelques intellectuels, notamment juifs et Israéliens. C’est ce débat-là, que la classe politique française n’a pas su tenir, qui se signale à notre attention par des voies détournées.
par Georges Abou
Article publié le 02/04/2003