Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Côte d''Ivoire

Comment Taylor contrôle l’Ouest via le MPIGO et le MJP

Selon Global Witness, le président libérien Charles Taylor, officiellement au ban des nations, a créé de toutes pièces et continue d’armer et de financer -le plus souvent via des compagnies forestières- les deux mouvements rebelles qui contrôlent l’Ouest ivoirien, le MPIGO et le MJP, tous deux composés à 90% d’éléments non Ivoiriens.
L’organisation non-gouvernementale britannique Global Witness vient de le confirmer, dans un énième rapport intitulé «The Usual Suspects», qui raconte en détail comment les hommes de main du président libérien n’ont pratiquement jamais quitté Man, Danane ou Touepleu et visent bien le contrôle du port de San Pedro, pour le plus grand bonheur des forestiers et des transporteurs européens ou africains qui exploitent depuis une quinzaine d’années le bois du Libéria.

Ce rapport -disponible, en anglais, sur Internet, www.globalwitness.org- détaille d’abord comment Charles Taylor, en dépit de l’embargo sur les armes imposé par les Nations unies en mai 2001 à cause de son soutien aux rebelles (officiellement) sierra-léonais du RUF, continue d’acheter illégalement des armes, principalement en provenance d’Europe de l’Est, mais transitant par la Libye, le Nigéria et la France, avec la complicité des mafias italienne, corse, ukrainienne et russe.

Mais cette fois-ci, l’ONG britannique révèle aussi que les principales compagnies forestières du Libéria (parfois basées également en Côte d’Ivoire) sont au cœur du système politico-mafieux mis en place par Charles Taylor, avec la collaboration directe des régimes libyen et burkinabé. Le tout dans le but de «maintenir une liaison terrestre avec le Burkina Faso, de déstabiliser Laurent Gbagbo et d’installer (en Côte d’Ivoire) un président mieux disposé à l’égard du Libéria», surtout au cas où Charles Taylor serait contraint à l’exil par ses propres rebelles du LURD.

Selon Global Witness, l’arrivée au pouvoir de Laurent Gbagbo, en octobre 2000, a marqué un tournant dans les relations ivoiro-libériennes. Jusque là, la lune de miel commencée en 1989 entre le régime ivoirien d’Houphouët-Boigny (via le général Robert Gueï, originaire de Man) et le rebelle Charles Taylor avait bénéficiée du soutien du Burkina Faso et de la Libye, ainsi que de la France: ce «front de l’anti-américanisme primaire» avait permis à Charles Taylor de s’installer à Monrovia et ensuite de se lancer dans la déstabilisation d’abord du Sierra Leone, et, à partir de 2001, de la Côte d‘Ivoire.

«Le gouvernement libérien est directement impliqué dans le conflit en Côte d’Ivoire par le biais de deux groupes rebelles de l’ouest ivoirien, le MPIGO et le MJP», écrit Global Witness. Ceux-ci sont composés «à 90% de mercenaires libériens et sierra-léonnais, pour la plupart provenant de l’ancien RUF ou des forces de sécurité de Taylor, qui ont été rassemblés d’abord au Libéria et envoyés en Côte d’Ivoire peu avant les premières attaques du 28 novembre 2002, sous la direction de Cucoo Dennis et Benjamin Yeaton».

Cucoo Dennis n’est pas un inconnu : très proche de Charles Taylor, il a d’abord mis sur pied une importante milice pour le compte de différentes compagnies forestières dans le but de réprimer toute contestation paysanne. Chargé ensuite de fédérer les principales milices existantes, il a ainsi fourni la main d’œuvre indispensable pour créer d’abord le RUF et tout récemment le MPIGO et le MJP. Actuellement, il est en Côte d’Ivoire, où il dirige les opérations de certains rebelles de l’ouest.

Quant à l’autre «général» rebelle, Sam Bockarie (alias «Mosquito»), inculpé récemment par un tribunal spécial de l’ONU pour crimes de guerre en Sierra-Léone, il se trouve lui aussi en Côte d’Ivoire, à la tête d'environ un millier de mercenaires. Selon Global Witness, c’est lui qui a mis sur pied l’opération Côte d’Ivoire, en lien avec des compagnies forestières, comme Maryland Wood Processing Industries (MWPI), après avoir établi une liste de 13 «officiers» libériens appartenant aux forces de sécurité (ATU) et destinés à diriger les combats à Danane, à Man ou à Toulepleu. Quant au fameux «sergent Félix Doh» qui s’était présenté comme l’un des dirigeants de la rébellion de l’ouest ivoirien, il aurait été entraîné au Libéria, très exactement dans les «Sheffield Barracks», avant de refaire surface en Côte d’Ivoire.

«Il faut un embargo sur le commerce du bois en provenance du Libéria»

Les principales compagnies forestières, et notamment l’OTC (Orient Timber Corporation, dirigée par le Hollandais Gus Kouwenhouen), ont d’abord assuré des années durant l’importation de grande quantité d’armes, presque toujours par bateau. Global Witness publie la liste des ports libériens (Buchanan, Harper, Monrovia…) et européens (Bordeaux, Nantes, Ancona, Brindisi…) qui ont permis à des bateaux transportant -officiellement- des grumes d’assurer un ravitaillement régulier et discret en armes légères et lourdes le régime libérien. Ce qui a permis à Taylor de lancer les rébellions présentes dans les pays voisins du Libéria. Y compris en Côte d’Ivoire, en dépit des démentis officiels libériens.

De plus des scieries comme des hangars ou des maisons appartenant aux compagnies forestières ont permis aux rebelles de se regrouper en novembre, au Libéria comme en Côte d’Ivoire, avant de se lancer à l’assaut d’abord de Danane et ensuite de Man (MJP) et de Toulepleu (MPIGO). Plus tard, le 12 décembre, d’autres soldats libériens (350, semble-t-il, appartenant tous à la Division des Opérations spéciales) ont quitté un camp militaire libérien pour aider le MPIGO à tenir Danane: cette opération a bénéficié de l’aide logistique d’une autre compagnie forestière (la BIN).

Pour Global Witness, le doute n’est plus permis. Si l’on veut véritablement mettre un terme à la déstabilisation de toute la région entreprise par le Libéria de Charles Taylor, il ne suffit plus de prolonger l’embargo sur les armes: il importe de l’étendre à toutes les exportations de bois en provenance des ports libériens, parce que «l’accès du gouvernement libérien au marché international qui gère le trafic d’armes et les mercenaires dépend en grande partie de l’industrie forestière et de l’aide financière et logistique qu’elle lui assure».



par Elio  Comarin

Article publié le 03/04/2003