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Irak

Bagdad n'aime pas ses «libérateurs»

Des différences significatives sont perceptibles parmi les soldats de la coalition dans la façon de se comporter vis-à-vis des Irakiens. Une attitude dont l’explication est peut-être à rechercher dans l’Histoire coloniale britannique. Ce n’est en effet pas la première fois que Londres vient «libérer» les Irakiens.
L'Irak semble aujourd'hui plus que jamais la fille de l'histoire coloniale d'un Occident empêtré dans les forces contradictoires de ses valeurs et de ses intérêts. Le siège de la capitale irakienne qui s'annonce serait ainsi la réédition d'un épisode qui a eu lieu, voici quatre-vingt-six ans, lorsque le général britannique Stanley Maude parvint finalement à s'emparer de Bagdad. C'est la fin d'une campagne longue et coûteuse en vies humaines pour les Britanniques, attachés avec les Français à se partager les dépouilles de l'empire Ottoman. «Nos armées ne viennent pas dans vos villes et vos campagnes en conquérants ou en ennemis, mais en libérateurs», proclame le général Maude. A cette époque, le général britannique Edward Allenby «libérait» la Palestine. Un peu plus tard les Français «libéraient» le Liban et la Syrie. En 1920, la Société des nations accorde les mandats d'administration. Londres obtient celui sur la Mésopotamie.

Mais l'administration mise en place par Londres après la liquidation de l'ordre ottoman ne fut pas à la hauteur des attentes suscitées par le discours de libération. Les nationalistes attendaient l'indépendance; les élites étaient frustrées par leur marginalisation de la vie publique; les chiites opposés à une domination chrétienne; et les bédouins mécontents de l’efficacité de l’administration fiscale britanniques. Les Irakiens, chiites et sunnites ensemble, entrent en rébellion en 1920 et s’emparent de tout le sud du pays. Les Britanniques, militairement débordés dans un premier temps, finiront par mater la révolte au prix de milliers de morts. Ce fut une guerre terrible, d’une modernité tragique: plutôt que d’engager des divisions classiques, Londres engagea la Royal Air Force dans des opérations de bombardements massifs, qui choquèrent Winston Churchill, et les soldats britanniques firent usage de gaz de combat, vivement recommandé par le colonel T.E. Lawrence (Lawrence d’Arabie).

Hamburger et match de foot

Mais le prix élevé de la restauration conduisit la puissance mandataire à réévaluer son mode d’administration et, afin de garder son influence et l’accès au pétrole, elle se résolut à gouverner par procuration en réintroduisant les élites indigènes, sunnite arabe et ottomane, dans l’administration et en proclamant un roi d’Irak, l’émir Fayçal, le 23 août 1921. Cette formule permit à Londres de se maintenir, y compris militairement, dans la région et sa présence survécut même à la proclamation de l’indépendance, en 1932.

L’Histoire va-t-elle balbutier? Tout d’abord il est intéressant de constater que c’est au nom du même principe de «libération» qu’il y a quatre-vingt-six ans que la guerre est menée aujourd’hui. D’autre part, le siège de Bagdad anticipe de peu les options que la coalition américano-britannique devra bientôt opérer. A cet égard les nuances entre alliés sur le choix du système politique à mettre en œuvre une fois la «libération» acquise traduisent l’expérience des Britanniques et la méconnaissance des Américains. Alors que les seconds ont, dans un premier temps, envisagé la mise en place d’un proconsulat militaire, les premiers ont immédiatement annoncé leur préférence pour un gouvernement irakien dès l’effondrement du régime.

Enfin, depuis le début du conflit nous parvient de cette guerre un flot d’images mettant en scène des envahisseurs dont on finit par distinguer le mode opératoire sur le terrain, selon leur nationalité. Au professionnalisme clinique et désincarné des soldats de l’Oncle Sam s’oppose la bienveillance et le flegme apparent des Britanniques. Alors que les Américains entretiennent à l’égard des Irakiens une distance quasi hygiénique, les «rats du désert» vont volontiers au contact des gens, qu’ils déclarent rechercher. Ils s’adressent à eux en arabe. Et, alors que les uns sont lourdement harnachés, et semblent soumis à de sévères contraintes de sécurité, les autres patrouillent sans manifester de crainte apparente et en tenue légère.

En ces temps de propagande où chaque image (que l’on donne de soi-même) compte, il est tout aussi fascinant de découvrir les premiers actes posés (devant la caméra) par les nouveaux «libérateurs». D’un reportage à l’autre, on peut ainsi voir un «robocop» américain offrir généreusement un hamburger à un petit irakien «libéré» ou une rencontre de football entre Irakiens et militaires Britanniques. Des images de propagande, sans doute, mais révélatrice d’une charge historique qui encombre tant les uns et pas assez les autres.



par Georges  Abou

Article publié le 05/04/2003