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Irak

Les «découvertes» de l’après-Saddam

Les lendemains de la chute de Saddam Hussein ressemblent beaucoup à ceux des autres dictateurs de la planète. Avec en prime des «découvertes» plutôt déconcertantes, notamment pour les médias.
Il aura suffi qu’une corde passée, mercredi dernier, au cou de la statue de Saddam, sur la place Ferdaous, détrône l’effigie du dictateur pour que de nombreux Bagdadis se soient soudainement mis à tout casser, voler ou piller. Mais aussi à s’embrasser, rire ou chanter de joie, pour commencer à oublier le cauchemar Saddam Hussein.

Mais les pillards, casseurs ou vandales de Bagdad, Bassorah ou Kirkouk n’étaient sans doute pas tous Irakiens, pauvres ou opprimés depuis plus de trente ans. Parmi eux, sans doute d’autres Irakiens qui ont tenté, eux de cacher l’ampleur de la répression baassiste à laquelle ils ont été mêlés, en détruisant tout document compromettant; mais aussi des espions de toute nationalité -à commencer par ceux de la coalition des «libérateurs»- voire quelques journalistes à la recherche de scoops plus ou moins opportuns.

Bagdad ressemble terriblement à Bangui (1979), au lendemain de la chute programmée de l’empereur Bokassa, ou à Bucarest (1989), après l’arrestation et l’exécution des époux Ceausescu et l’arrivée d’un régime plutôt frelaté. Mais, les lendemains d’une vraie dictature, peu importe qu’elle soit de type fasciste ou de type stalinien, ne sont pas chaotiques pour tout le monde: nombreux sont ceux qui pensent déjà aux inévitables règlements de compte à venir, qu’il importera de prouver en bonne et due forme.

C’est aussi dans cette situation de confusion extrême que l’on commence à prendre la juste mesure du désastre. La découverte de celui provoqué par Saddam Hussein est à l’image de ceux qui l’ont précédé. Certaines prisons du parti Baas -de vrais cachots dignes du pire Moyen-Age- sont toujours inaccessibles. Quelques rares morts-vivants ont, semble-t-il, été sauvés in extremis. Pour le reste on ne trouve que des confirmations: salles de torture, disparitions, humiliations parfois gratuites. Bref, le règne du plus fort ou du plus violent, contre les droits du plus pauvre ou du moins-que-rien.

On savait que, dès son arrivée au pouvoir -alors qu’il n’est officiellement que vice-président, à partir de janvier 1969- Saddam Hussein avait adopté une méthode stalinienne qui avait fait ses preuves: inventer ou exploiter des complots pour éliminer tout adversaire, réel ou potentiel. En tant que responsable de la sécurité -et même sans aucun contrôle direct sur l’armée- il a fait pendre d’abord les communistes et ensuite les «agents sionistes». Et transformé le parti Baas en machine à broyer les autres partis et ses hommes.

Les images des «pendus de Bagdad» ont fait le tour du monde, au début des années 70; mais elles n’ont pas empêché les pays occidentaux comme les pays de l’Est de soutenir Saddam Hussein. Bagdad est devenue peu à peu une «grande capitale arabe», de plus en plus riche et belle que les médias et les lobbies pro-irakiens d’Europe ont caressé dans le sens du poil, sans trop s’attarder sur un régime généreux, moderne et, au début, laïc et républicain. De plus, Saddam Hussein n’avait-il pas été aidé par la CIA à «chasser le communiste Abdel Karim Kassem», qui avait pris le pouvoir en 1958 et qui n’était en réalité qu’un simple nationaliste, à l’image de Mossadegh, dans l’Iran voisin ?

Le prix du silence de CNN

En Irak, comme ailleurs, le pétrole a longtemps fait fermer les yeux des «amis» sur un régime parmi les plus durs de la planète. Aujourd’hui on «découvre» les «excès» habituels: des armes plaqué or, officiellement destinées aux hôtes de marque de Saddam, des suites avec salles de bain dignes des «Mille et une nuit» pour accueillir les vrais amis. Pourquoi ceux-ci n’ont-ils pas parlé plus tôt ?

On a aussi découvert qu’un ancien banquier, Elio Borradori -75 ans, résidant au bord du lac Lugano (en Suisse)- a géré pendant plus de dix ans d’importantes sommes d’argent détournées par le dictateur. Interrogé sur ses «commissions» par le Sunday Times, Borradori a déclaré: «Est-ce pire de travailler pour Saddam Hussein que pour le compte d’un parrain de la mafia ou pour un trafiquant de drogue ? Si la réponse est oui, alors tous les Suisses devraient détruire leur passeport». Bien entendu, Borradori «ne se souvient plus» de sa «gestion» de la fortune de Saddam. Et l’hebdomadaire britannique de lui rappeler qu’il est en possession (comment, au juste ?) d’un millier de «documents» prouvant son rôle plutôt spécial, notamment en tant que membre de nombreux conseils d’administration de compagnies domiciliées dans les paradis fiscaux du Liechtenstein, de Lugano, des Bahamas ou du Panama. Pour le Sunday Times les groupes français Dassault et Thales (qui a pris le contrôle de Thomson) ont d’ores et déjà détruit des documents concernant des exportations d’armes des années 80.

Last but not least, la troublante «confession post-Saddam» du rédacteur en chef de CNN. Eason Jordan a écrit samedi dernier ce qu’il a «vraiment» vu -mais jamais raconté sur son antenne- lors des ses treize séjours en Irak, pour ne pas risquer de perdre l’autorisation d’émettre depuis Bagdad et «arranger» des interviews avec les responsables politiques irakiens. Des «choses terribles que je ne pouvais rapporter car cela aurait mis en danger la vie d’Irakiens, en particulier celle de notre équipe de Bagdad». Comme, par exemple, lorsqu’un des cameramen de CNN a été détenu quatre semaines durant, battu et torturé à l’électricité, parce qu’il refusait d’avouer qu’Eason Jordan n’était en réalité qu’un espion de la CIA. «Dire cela à l’antenne aurait signifié mettre en péril sa vie et celle de ses proches», dit-il aujourd’hui. «Les collaborateurs locaux des organes de presse internationaux étaient terrorisés: certains ont disparu pour toujours, d’autres sont revenus» et ont raconté leur mésaventure dans les geôles de Saddam.

Le responsable de CNN révèle ensuite qu’il n’avait pas pu raconter que Oudaï, l’un des fils de Saddam, lui avait dit par avance qu’il comptait faire exécuter en 1995 deux beaux-frères qui avait fait défection. Ce qui advint quelques mois plus tard. Il révèle aussi que de nombreux officiels irakiens lui avaient dit, à cette même période, que Saddam était un «maniaque qu’il fallait renverser».

Enfin, Jordan raconte ce qui est arrivée, en 1991, à la veille de la première guerre du Golfe, à une femme koweïtienne «coupable», entre autres «crimes», d’avoir acceptée d’être interviewée par CNN: Asrar Qabandi, 31 ans, a été arrêté et battue quotidiennement durant deux mois par la police secrète. Ensuite on lui littéralement fracassé le crâne, extrait le cerveau, déchiré son corps, avant que le tout ne soit mis dans un sac en plastique et déposé devant la porte d’entrée de la maison de sa famille. «Enfin, conclut-il, ces histoires peuvent être racontées librement». Sans préciser le vrai «prix» payé par CNN pour son silence, un bureau et quelques images.



par Elio  Comarin

Article publié le 14/04/2003