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Irak

Les opposants sur le devant de la scène

Persécutés par le régime de Saddam Hussein, les opposants irakiens, à l’exception du Kurdistan, ont pour la plupart été chassés du pays et n’ont à ce titre que très peu de lien avec la population. A l’heure où la Maison Blanche prépare activement l’installation d’une administration militaire américaine qui aura pour mission de gérer l’après-Saddam, ces opposants peinent à imposer leur point de vue que ce soit auprès de Washington ou auprès des Irakiens avec qui ils n’ont encore que très peu de contacts.
Ahmed Chalabi

Ce poulain des «faucons» du Pentagone n’a aucune assise politique en Irak. Illustre inconnu avant l’invasion du Koweït par les troupes de Saddam Hussein en 1990, Ahmed Chalabi a pourtant réussi à s’imposer auprès de l’administration américaine comme une figure de proue de l’opposition en exil alors que la plupart de ses concitoyens ignorent jusqu’à son existence. Il se décrit volontiers comme un chiite laïc. Et il est vrai que tout oppose ce banquier de 58 ans, héritier d’une riche dynastie financière chiite très liée à la monarchie hachémite renversée par un coup d’Etat en 1958, des mouvements d’opposition chiite qui traditionnellement tirent leur soutien populaire de leur ancrage dans la religion. Cet «exilé en costume de soie et Rolex», comme se plaisait à le décrire le général Anthony Zinni –ancien commandant en chef des forces américaines au Proche-Orient–, n’a en outre que très peu vécu en Irak qu’il a quitté à l’âge de 11 ans. Il y a séjourné brièvement au milieu des années 1990 pour notamment fomenter, à la tête du Conseil national irakien (basé à Londres) alors largement financé par la CIA, une insurrection contre le régime de Saddam Hussein qui sera violemment réprimée. Si cette tentative a été un échec sur le plan politique et militaire, elle a toutefois permis à Ahmed Chalabi de s’imposer auprès des néo-conservateurs américains à qui il a promis, une fois au pouvoir en Irak, une part substantielle du pétrole irakien au préjudice des Russes, des Français ou encore des Chinois. Sur le plan personnel, ses détracteurs n’hésitent pas à mettre en avant ses démêlés avec la justice jordanienne qui en 1992 l’a condamné par contumace à 22 ans de travaux forcés pour détournement de fonds au détriment d’une banque locale. Bien qu’il se défende de telles accusations, le département d’Etat américain et la CIA critiquent ouvertement sa gestion des subventions gouvernementales américaines accordées à l’opposition irakienne. Son alignement affiché à la politique des faucons de l’administration Bush risque de le discréditer irrémédiablement auprès de la population irakienne.

Adnan Pachachi

Cet ancien ministre des Affaires étrangères du premier gouvernement civil mis en place après la chute du roi Fayçal en 1958 jouit d’une très grande popularité auprès des exilés irakiens. A 80 ans, Adnan Pachachi, il est vrai, n’est plus tout jeune mais il est de plus en plus cité comme l’un des dirigeants appelés à jouer un rôle clé maintenant que le régime de Saddam Hussein est tombé. L’homme occupe en effet une place à part dans le paysage politique irakien. Il est à la fois sunnite et laïc, libéral et nationaliste arabe dans un pays où les clivages ethniques et religieux déterminent largement toute appartenance politique. Adnan Pachachi fait partie d’une lignée de grands commis de l’Etat, son père, son oncle et son beau-père ayant occupé le poste de Premier ministre du temps de la monarchie. Il a lui même été ambassadeur de son pays aux Nations unies et à Washington avant d’être nommé chef de la diplomatie. Opposant de la première heure au régime de Saddam Hussein, il a pris très tôt le chemin de l’exil, dès 1969, soit un an après le coup d’Etat du parti Baas. Courtisé par le département d’Etat américain qui le préfère au très sulfureux Ahmed Chalabi, Adnan Pachachi a récemment créé un nouveau mouvement d’inspiration laïc et libéral, «les Irakiens indépendants pour la démocratie». Mais sa représentativité reste toutefois très limitée. Le fait qu’Adnan Pachachi réclame que l’Irak soit le plus vite possible placé sous mandat des Nations unies et non sous administration américaine pourrait lui valoir un grand élan de soutien auprès de ses concitoyens.

Massoud Barzani

L’homme qui préside le Parti démocratique du Kurdistan (PDK) est une figure centrale de l’opposition irakienne. Sa formation, qui contrôle depuis 1991 le nord et le nord-est du Kurdistan irakien, peut compter sur quelque 20 000 combattants, les fameux peshmergas. Né en 1946, l’année où son père, Mustapha Barzani, a fondé le PDK, il s’engage très jeune pour la cause kurde. Il participe notamment en 1970 aux négociations avec le parti Baas qui ont conduit à l’accord du 11 mars dans lequel Bagdad s’engageait à garantir une large autonomie au peuple kurde. A partir de 1979 et après la mort de son père, Massoud Barzani assume la direction du parti, devenant par la même occasion l’ennemi juré du régime de Saddam Hussein. Il échappe d’ailleurs la même année à une tentative d’assassinat à Vienne. Après l’avènement d’une république islamique en Iran, il joue la carte de l’alliance avec l’imam Khomeyni tout en tentant de garder sa liberté d’action. Mais c’est en 1991 qu’il acquiert sa stature d’homme d’Etat, abandonnant sa fonction de chef de guérilla. La coalition internationale ayant imposé au régime irakien que le Kurdistan soit autonome et bénéficie de 13% du programme «pétrole contre nourriture», Massoud Barzani a pu asseoir son pouvoir et une administration chargée de gérer le quotidien des kurdes dans les territoires qu’il contrôle. Mais cette autonomie a été entachée par une lutte fratricide qui a opposé de 1994 à 1998 le PDK à l’autre grande formation kurde qu’est l’Union patriotique du Kurdistan présidée par Jalal Talabani. Et pour prendre le contrôle de la ville d’Erbil aux mains de l’UPK, Massoud Barzani n’a pas hésité à faire appel aux troupes de Saddam Hussein. En 1998, les deux formations signent un accord de cessez-le feu après quatre années de combats qui ont fait quelque 30 000 morts. Le leader du PDK affirme souhaiter une large autonomie pour le Kurdistan au sein d’un Etat irakien laïc. L’avenir seul dira quel sort sera réservé à ce peuple violemment réprimé par le régime déchu.

Jalal Talabani

L’engagement de Jalal Talabani pour la cause kurde ne date pas d’aujourd’hui puisque c’est en 1947, à l’âge de 13 ans, qu’il adhère au PDK. Mais en 1975 et en réaction aux échecs de cette formation politico-militaire dont il conteste le fonctionnement tribal, il fonde l’Union patriotique du Kurdistan qui obtient très vite un large soutien des populations urbaines et des éléments les plus radicaux de la société kurde. Un an plus tard, il lancera une guérilla contre le gouvernement de Bagdad qu’il accuse de ne pas respecter les accords sur l’autonomie du peuple kurde. Le régime irakien y répondra par une sévère répression n’hésitant pas à utiliser des armes chimiques contre les combattant de l’UPK. Jalal Talabani sera même poussé à un exil forcé en Iran. Et ce n’est qu’après la guerre du Golfe de 1991 qu’il retrouvera, à l’image de son rival Massoud Barzani, une stature d’homme d’Etat. Basé à Souleymania, l’UPK contrôle désormais le sud-est du Kurdistan irakien et commande une milice forte de quelque 20 000 combattants. Son leader entretient des relations avec ses deux puissants voisins l’Iran et la Turquie. Il semble avoir renoncé à l’indépendance du Kurdistan. Comme le PDK, l’UPK demande l’instauration en Irak d’un régime parlementaire, démocratique et multipartite au sein d’un système fédéral dont les contours restent encore à déterminer.

Mohammed Baqer al-Hakim

En 1982, avec l’aide du gouvernement de Téhéran, un regroupement de mouvements islamiques chiites irakiens est mis sur pied. Cette coalition qui prend le nom d’Assemblée suprême de la révolution islamique d’Irak (ASRII) est dirigée par l’ayatollah Mohammed Baqer al-Hakim, un chef religieux respecté, aujourd’hui âgé de 64 ans. L’homme vit en exil en Iran depuis 23 ans après avoir subi les geôles du régime irakien et après qu’une grande partie de sa famille eut été décimée par Saddam Hussein. L’ASRII dispose d’un bras armé, les brigades Badr fortes de 15 000 à 20 000 hommes. Après le déclenchement le 20 mars dernier de l’offensive américano-britannique contre le régime de Bagdad, l’ayatollah Mohammed Baqer al-Hakim, s’est refusé à appeler ses fidèles, pourtant nombreux dans le sud de l’Irak, à se soulever. L’homme affirme rêver d’un Irak démocratique et fédéral, respectueux de l’Islam et des droits de toutes les communautés religieuses et ethniques. Il se défend en outre de vouloir installer une république islamique. Le leader de l’ASRII sait toutefois que sa marge de manœuvre politique est très réduite auprès de Washington qui l’accuse d’être sous l’influence de Téhéran même s’il peut compter sur un large soutien de population chiite majoritaire en Irak.



par Mounia  Daoudi

Article publié le 10/04/2003