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Irak

Une «sainte alliance» Chirac-Schröder-Poutine ?

Moscou, Paris et Berlin tentent de nouveau de faire entendre leurs voix à propos de l’Irak, mais aussi des futures relations internationales, lors d’un sommet inattendu, vendredi et samedi, à Saint-Petersbourg (Russie).
Le sommet à trois (Russie, France et Allemagne) qui s’ouvre ce vendredi soir à Saint-Petersbourg, à l’initiative de Vladimir Poutine, a été qualifié d’avance d’ébauche de «front du refus», de «camp de la paix», voire de «nouvel axe stratégique». Certains sont allés jusqu’à parler de «sainte alliance», à l’image de celle qui, en 1815, avait succédé en Europe au cyclone napoléonien et prôné une restauration monarchique, somme toute de courte durée, le «réveil des peuples» ayant éclaté dès 1848. Tandis que d’autres n’hésitent pas à qualifier Chirac de «roi de la paix sans couronne».

Certes le trio Chirac-Schröder-Poutine n’est apparu qu’en février dernier, quelques semaines après le début d’une crise majeure dans les relations transatlantiques, à l’occasion du veto posé par Paris et Berlin à l’Otan, contre une résolution rendant automatique une éventuelle intervention de l’Alliance aux côtés de la Turquie, en cas de menace venant du voisin irakien. Une crise qui s’était aussitôt étendue à l’Union européenne et à l’ONU, à propos d’une éventuelle intervention occidentale contre le régime de Saddam Hussein, sans l’aval des Nations unies.

Jacques Chirac avait alors pris la tête d’un «front» plus anti-Bush qu’anti-américain, qui semble aujourd’hui pris de court par la chute soudaine de Bagdad et du régime de Saddam Hussein. Depuis mercredi dernier, Chirac est perçu comme «isolé sur le plan diplomatique», et donc soucieux de rétablir vite un dialogue minimal avec Londres, faute de pouvoir le faire avec Washington. Et ce d’autant plus que les «atlantistes» de toujours - pour ne pas dire les pro-Américains - ne manquent pas dans son propre entourage et commencent à donner de la voix.

Et pourtant, il suffisait d’attendre quelques vingt-quatre heures de plus pour se rendre compte de toute la complexité de l’après-Saddam. L’occupation de Kirkouk et de Mossul par le peshmergas kurdes comme l’assassinat, au cœur de la ville sainte de Najaf, du leader chiite Abdel Majid Khoï (favorable à l’intervention américano-britannique) ont vite confirmé toutes les craintes exprimées ces dernières semaines par le «front du refus», surtout à propos des menaces de désintégration de l’Etat irakien. Ce qui ne manquerait pas d’avoir des répercussions quasi automatiques sur toute la région allant d’Istanbul à Karachi. On peut même penser que le but affiché par l’équipe de Bush de «remodeler» la région au nom d’une démocratie importée manu militari des Etats-Unis est d’ores et déjà en voie de réalisation.

En acceptant de faire le déplacement de Saint-Petersbourg, Jacques Chirac devrait pouvoir proclamer une fois de plus, aux côtés de Schroeder et de Poutine, la primauté de l’ONU dans tout règlement stable de la crise en cours en Irak. Même si ce discours aurait été beaucoup plus recevable et crédible, si la France avait recherché dès le départ la présence de l’ONU en Côte d’Ivoire, et si la Russie acceptait que les Nations unies s’intéressent à la Tchétchénie.

L’anarchie et le vide de pouvoir ne peuvent que rendre difficile la tâche des vainqueurs

De son côté, Kofi Annan a été finalement obligé de renoncer à se joindre à ce «front», ce qui confirme le peu d’autonomie dont il bénéficie vis-à-vis de Washington. Mais, les événements en cours en Irak semblent lui donner d’ores et déjà raison, car l’anarchie et le vide de pouvoir ne peuvent que rendre encore plus difficile la tâche des forces américano-britanniques.

Mais, en précipitant quelque peu les retrouvailles franco-germano-russes, Chirac risque de faire apparaître la rencontre à trois de Saint-Petersbourg comme un «sommet des anti-américains». C’est déjà en partie le cas, au vu des tentatives en cours de «coopter» par tous les moyens la Grande Bretagne, officiellement partisane elle aussi d’un «rôle central» de l’ONU dans la reconstruction de l’Irak, mais qui a visiblement échoué dans sa tentative de convaincre les Etats-Unis de revenir sur leur propre vision de l’après-Saddam, lors du sommet de Belfast, la semaine dernière.

Vue de Moscou, aussi, cette rencontre est pour le moins ambiguë. Le Kremlin a fait savoir qu’une conférence de presse commune est certes prévue, mais aussi qu’aucune déclaration commune ne devrait être adoptée à cette occasion. Les trois leaders pourront alors afficher leurs convergences comme leurs divergences, et satisfaire ainsi des opinion publiques nationales qui n’attendent visiblement pas les mêmes résultats de ce sommet à trois. Car force est de constater que cette rencontre ne porte pas uniquement sur la crise irakienne, mais sur l’ensemble des relations internationales plus que secouées depuis janvier dernier.

Ce qui rapproche le plus les trois pays, c’est sans doute la volonté commune de favoriser l’émergence d’un monde multipolaire, au moment même où les Etats-Unis de George W Bush prônent l’exact contraire : un monde unipolaire et «démocratique à l’américaine», basé sur ce que Bush junior appelle les «valeurs communes de l’Occident».

Les «guerres de démocratisation» que semble vouloir mener Washington inquiètent sans doute Vladimir Poutine, mais celui-ci est tout de même responsable d’avoir rasé au sol Grozny, une capitale qui n’a toujours pas été reconstruite.

Se battre uniquement pour obtenir quelques contrats - sans doute mineurs - dans la reconstruction de l’Irak, pourrait même conforter ceux qui accusent la France de Chirac d’avoir voulu protéger jusqu’au bout le régime dictatorial de Saddam Hussein, plus que faire respecter le droit international ou sauvegarder le rôle indispensable des Nations unies.

Pour cela, le trio de Saint-Petersbourg a probablement intérêt à s’opposer surtout, et de façon explicite, à un éventuel «protectorat américain» en Irak, et ce d’autant plus que le temps joue en faveur de leur choix : le peu de légitimité, la faiblesse politique et les divisions de l’opposition irakienne comme l’anarchie qui semble s’installer un peu partout dans le pays ne peuvent que faire pencher la balance du côté des Nations unies.



par Elio  Comarin

Article publié le 11/04/2003