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Irak

Les Américains réunissent l’opposition

En l’absence de plusieurs protagonistes, les Américains réunissent près de Nassiriya des opposants irakiens pour tenter de mettre en place une administration intérimaire.
Cela avait des parfums de Loya Jirga [l’assemblée traditionnelle des chefs afghans] qui avait, en juin 2002, confirmé l’élection de Hamid Karzai à la tête de l’Afghanistan post-Taliban. En coulisse, un homme s’y était activement consacré : l’Américain d’origine afghane Zalmay Khalilzad.

Ce même Khalilzad était également présent ce mardi sur une base militaire à la périphérie de Nassiriya, dans le sud de l’Irak. Mais cette fois-ci, il officiait non plus dans les coulisses, mais était officiellement l’un des organisateurs de la réunion qui devait rassembler les différents courants de l’ex-opposition à Saddam Hussein. But de cette réunion placée sous la présidence de l’ex-général américain Jay Garner : mettre en place une administration civile intérimaire irakienne en attendant que des élections libres puissent permettre aux Irakiens de choisir eux-mêmes leur gouvernement.

Le général Garner, qui depuis plusieurs semaines attendait son heure en peaufinant ses dossiers au Hilton de Koweït, a dit ne se faire aucune illusion sur la difficulté de la tâche qui l’attend. Pour cet ami proche du secrétaire américain à la Défense dont il épouse les vues et qui l’a nommé à la tête de l’administration civile intérimaire d’Irak, le modèle qu’il entend appliquer à l’ensemble du pays est celui qui a été mis en œuvre dans la ville d’Oum Qasr. Dans cette ville portuaire, première tombée aux mains des forces anglo-américaines, après plusieurs semaines chaotiques, les forces coalisées assurent désormais le ravitaillement et ont embauché des Irakiens pour prendre en charge les services essentiels naguère assurés par la municipalité baassiste.

Mais, sans même discuter de la réalité de la situation qui prévaut désormais à Oum Qasr, il paraît téméraire d’extrapoler cette expérience à l’ensemble du pays. Avant même d’envisager ses résultats, la simple organisation de cette réunion de Nassiriya s’est heurtée à de redoutables difficultés politiques. Deux boycottages sont particulièrement significatifs, pour des raisons d’ailleurs diamétralement opposées : celui d’Ahmed Chalabi, le président du Congrès national irakien (CNI) et celui de l’ASRII (Assemblée suprême de la révolution islamique en Irak) que dirige de Téhéran l’ayatollah Mohammed Baqr Hakim.

Aéroporté par les forces américaines, Chalabi est pourtant arrivé à Nassiriya, avec quelque sept cents combattants irakiens du CNI, entraînés et équipés par le Pentagone. Mais dans son premier discours sur le sol irakien, il s’en est pris à l’Amérique qui, selon lui, ne faisait pas suffisamment rapidement le nécessaire pour rétablir une situation normale en Irak. Chalabi, chouchou des ultras du Pentagone Perle et Wolfowitz, n’a pratiquement aucune assise populaire en Irak où il est soit inconnu, soit considéré comme l’homme des Américains et d’Israël. A-t-il voulu se faire une virginité aux yeux des Irakiens ? Ou son mécontentement est-il fondé sur l’inquiétude d’être mis à l’écart par Washington qui a pris la mesure de son manque de charisme auprès des Irakiens de l’intérieur, à l’heure où ce qui compte le plus est de gagner la confiance de ces derniers ?

Autre absence significative, celle du puissant mouvement chiite de l’ayatollah Baqr Hakim. Ce protégé de Téhéran, sans avoir condamné l’intervention américaine, a toujours mis en garde Washington contre une intervention directe dans les affaires intérieures de l’Irak. On y est désormais.

Manifestations hostiles à Nassiriya

Les chiites pro-iraniens de l’ASRII ne sont d’ailleurs pas les seuls à mettre en garde les Américains. De sa villa de Najaf, ville sainte chiite, le grand ayatollah Ali Sistani, l’une des plus hautes autorités religieuses des chiites a déclaré ce mardi que l’Irak «devait être gouverné par les Irakiens. Nous voulons que ce soient eux qui contrôlent le pays». Outre le poids considérable de cette déclaration auprès d’une grande partie des chiites irakiens, elle a un retentissement d’autant plus grand que durant les combats, le chef religieux avait déclaré sa neutralité entre le régime et les Américains, ce qui ne l’a pas empêché d’être séquestré dimanche par des hommes en armes qui exigeaient son départ d’Irak après qu’eut couru la rumeur d’une fatwa favorable aux Américains. Ceci, trois jours après l’assassinat à Najaf d’un autre clerc Majid el Khoeï, tout juste rentré d’Angleterre et très proche des autorités britanniques.

Nassiriya, ville chiite, avait dans l’ensemble fait bon accueil aux forces américaines après que fut réduit la résistance des troupes loyales à Saddam Hussein. Mais ce mardi, plusieurs milliers d'habitants chiites ont manifesté contre cette réunion parrainée par les États-Unis en scandant des slogans hostiles aux États-Unis : «Nous demandons que notre voix soit celle de la Hawza [école] des chiites à Najaf». Instaurer la république islamique d’Irak, ce n’est sans doute pas le projet politique des Américains et des Britanniques qui, à la recherche d’alliés, semblent s’appuyer sur les chefs de tribus, ceux-là mêmes qui avaient fait allégeance à Saddam Hussein peu auparavant.

Certes, la rencontre de Nassiriya n’est pas décisionnelle et n’est que la première d’une série, selon ses organisateurs, mais la mosaïque irakienne commence à apparaître aux vainqueurs dans toute sa complexité et, pour atteindre l’objectif d’un gouvernement intérimaire intégrant toutes les composantes irakiennes, il faudra aux Américains des trésors de diplomatie pour satisfaire les ambitions contradictoires des différentes communautés irakiennes, jusque là écrasées par l’appareil répressif de Saddam Hussein.



par Olivier  Da Lage

Article publié le 15/04/2003