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Irak

Sur la route d’un nouvel Irak

Dans un pays abandonné par l’armée irakienne, les soldats américains tentent de prendre en charge les affaires du pays. Avec un succès mitigé. Reportage.
De notre envoyé spécial à Bagdad

«As-Salam Aleikoum !» («Que la paix soit avec vous!»). Dans un arabe hésitant, le soldat américain accueille les rares visiteurs à la frontière jordano-irakienne d’Al-Karameh. Le portrait de Saddam Hussein est toujours là, mais son nom a été recouvert de peinture noire. Le vent de l’Histoire a soufflé jusqu’aux terres les plus à l’ouest du pays.

Les lieux, désertés par les douaniers, sont désormais gérés par l’US Army. C’est le premier signe de la présence américaine lorsque l’on arrive de Jordanie. Seuls sont autorisés à franchir la frontière, les journalistes -qui n’ont plus besoin de visa d’entrée- et les Irakiens. Les ressortissants arabes, eux, sont refoulés par peur des infiltrations de militants venus commettre des attentats contre les troupes américaines.

Le trafic sur l’autoroute qui rejoint Bagdad reste encore très limité, mais le tronçon est désormais sécurisé. Aucun barrage des GI’s pendant tout le trajet vers la capitale irakienne. Dans le désert, quelques patrouilles de jeeps circulent à tombeau ouvert. La première présence américaine d’importance se trouve dans la région de Ramadi, à une centaine de kilomètres de Bagdad. C’est ici le fief des tribus sunnites, l’un des piliers de l’ancien pouvoir baassiste. Certains dignitaires du régime, comme Barzan, l’un des demi-frères de Saddam Hussein, ont tenté de se réfugier dans cette région.

Sur le bas côté de l’autoroute, les soldats américains font relâche. Le détachement comprend trois hélicoptères Apache, des chars Abrams, des blindés de transport de troupe et des ambulances. Dans leurs tourelles ou leurs cockpits, les soldats américains se détendent en grillant des cigarettes. Les «boys» soufflent après plusieurs semaines de campagne militaire.

La crainte d’attentats-suicides

A une trentaine de kilomètres de Bagdad, le premier check-point américain apparaît après la prison d’Abou Ghraib, lieu de sinistre mémoire. Ce centre pénitentiaire était en fait une véritable usine à torture. Les soldats ont désormais pris la place des militaires irakiens pour contrôler les identités. Des carcasses de chars de fabrication soviétique gisent calcinées un peu partout. Face à l’armada américaine, les tankistes irakiens n’avaient aucune chance de s’en sortir.

Plus on approche de la capitale irakienne, et plus les convois militaires américains sont nombreux. Malgré leur puissance de feu, les soldats de l’Oncle Sam ne sont pas tranquilles, prêts à dégainer. Soudain, une rafale de mitrailleuse retentit et les balles frappent le bitume: une voiture s’était rapprochée d’un peu trop près et trop vite d’un blindé américain. Cette fois, le conducteur en a été quitte pour une belle peur!

Dans le quartier résidentiel d’Al-Mansour, quelques magasins ont timidement rouvert leurs portes. Dans cette zone, beaucoup de bâtiments officiels ont été bombardés, pillés ou incendiés. Les centres du pouvoir comme le QG de l’armée de l’air, le ministère des Affaires étrangères ou encore celui de l’Information ont été lourdement frappés. Dans les rues, les habitants ont édifié des chicanes de bric et de broc, composées de troncs de palmiers, de blocs de pierre et même d’extincteurs. Une façon efficace de mieux contrôler la circulation d’où pourraient surgir d’éventuels pillards.

Jouxtant la place Al-Ferdous où a été déboulonnée la statue de Saddam, les hôtels Palestine et Sheraton se sont transformés en citadelles pour le commandement américain et la presse internationale. Un périmètre de sécurité en verrouille les accès. Des barbelés, des blindés et des soldats sont là pour repousser les curieux indésirables, mais surtout pour éviter les attaques-suicides. La concentration de militaires et de journalistes offre une cible tentante pour des commandos kamikaze.

Ce Fort-Alamo un peu surréaliste donne aussi lieu à des images étonnantes. Comme ces journalistes israéliens venus en reportage découvrir cet Irak post-Saddam, ou encore ces anciens «guides» du ministère de l’Information reconvertis en traducteurs ou accompagnateurs pour des chaînes de télévision américaine. Dans le hall des deux hôtels, les réceptionnistes semblent encore pétrifiés par ce changement aussi rapide que radical. Quelques anciens responsables de l’ancien régime déambulent un peu perdu dans ce capharnaüm improvisé. Pour eux, comme pour tous les Irakiens, un monde vient de s’écrouler, le nouveau reste à construire.



par Christian  Chesnot

Article publié le 16/04/2003