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Proche-Orient

Accord Arafat-Abou Mazen sur le gouvernement

Au terme de cinq semaines de bras de fer, le président palestinien a donné son feu vert au projet de gouvernement proposé par le Premier ministre. Acculé par les pressions internationales, le raïs a accepté que Mohamed Dahlan, l’ancien patron du contre-terrorisme à Gaza, prenne en charge les questions de sécurité.
De notre correspondant dans les territoires palestiniens

Les pressions internationales ont finalement eu raison de la résistance de Yasser Arafat. Assailli de coups de téléphone de l’étranger, le vieux leader a donné son accord ce mercredi après midi au projet de gouvernement élaboré par le Premier ministre désigné, Abou Mazen, au terme de cinq semaines de conciliabules et de coup de bluff. La liste exacte des ministres n’est pas encore connu, mais, ce que l’on en sait permet d’affirmer que le bras de fer a tourné à l’avantage d’Abou Mazen. En effet, l’homme par qui le conflit était arrivé, Mohamed Dahlan, l’ancien patron du contre-terrorisme dans la bande de Gaza à qui Abou Mazen voulait, contre l’avis d’Arafat, confier le pilotage des services de sécurité, figurera bien dans le gouvernement. Nommé ministre d’Etat, en charge des questions de sécurité, il partagera la gestion de ce sujet sensible avec Abou Mazen lui même qui s’est réservé le portefeuille de l’Intérieur.

Il y a une semaine, cette répartition des rôles avait été rejetée sans ménagement par Yasser Arafat qui l’avait qualifiée de «provocation directe». Soucieux de conserver la haute main sur l’un des principaux leviers de son pouvoir, le président palestinien insistait pour que le ministre de l’Intérieur du gouvernement sortant, Hani el Hassan, l’un de ses fidèles, conserve son poste. Alors que les pressions américaines et israéliennes sur l’Autorité palestinienne n’ont jamais été aussi fortes, le vieil homme au keffieh voyait d’un mauvais œil les soutiens notoires dont Dahlan dispose au sein de la CIA et du Shin Beth. Dans son esprit, l’ambitieux colonel, qui avait pris ses distances depuis un an avec la Mouqataa, faisait partie du complot ourdi par Ariel Sharon et George Bush pour le mettre sur la touche. Mercredi matin encore, il avait soumis à Abou Mazen, une liste de trois noms de compromis pour le ministère de l’Intérieur.

Mais Abou Mazen «voulait» Dahlan. Les deux hommes sont d’accord sur la nécessité de désarmer l’Intifada. Dans l’optique de la Feuille de route, le plan de paix patronné par le Quartet qui oblige justement à un arrêt des violences côté palestinien, l’expérience que Dahlan a accumulé entre 1994 et 2002, est un atout non négligeable. Qu’importe que ses troupes aient paradoxalement souvent fait le coup de feu contre les soldats israéliens. Qu’importe aussi que l’homme soit soupçonné d’avoir profité allègrement de l’argent d’Oslo. «Abou Mazen a besoin d’un allié puissant et d’un bras armé dans la bande de Gaza, explique un membre du Fatah cité par le quotidien israélien Jérusalem Post. Il a choisi Dahlan parce qu’il croit qu’il est le mieux à même de combattre le Hamas et le Djihad»

Menaces voilées de lâchage des Etats Unis

Au-delà des conflits de personne, c’est sur ce point éminemment stratégique, que les deux camps se sont semble-t-il opposés. Durant les négociations acharnées qui se sont déroulées à la Mouqataa, Arafat aurait fait part de sa crainte que le duo Abou Mazen-Dahlan, ne précipite les Territoires palestiniens dans «la guerre civile». Il voyait le cabinet élaboré par le numéro deux de l’OLP comme «un gouvernement américain». Un officier supérieur, qui a requis l’anonymat, suggérait une autre hypothèse : «Arafat ne veut pas de Dahlan car il sait que sa nomination sera suivie de mesures d’apaisement de la part des Israéliens et il ne veut pas qu’Abou Mazen puisse en tirer profit à son détriment. Autrement dit, tant que la communauté internationale persistera à l’ignorer, Arafat ne fera rien dans le domaine sécuritaire. Il utilise ce levier pour s’imposer à nouveau comme l’interlocuteur incontournable».

Dans tous les cas, l’annonce de la formation du gouvernement constitue une défaite pour le raïs. Les pressions de la communauté internationale ont été déterminantes, au risque de faire passer le nouveau cabinet comme le gouvernement de «l’étranger». Miguel Angel Moratinos, l’envoyé spécial de l’Union européenne au Proche-Orient et Andreï Vdovine, son homologue russe sont venus en personne plaider la cause d’Abou Mazen. Mardi Tony Blair avait appelé. Igor Ivanov, le ministre russe des Affaires étrangères aussi. Mercredi, un responsable américain avait prévenu Arafat par téléphone qu’il porterait «seul» les conséquences d’un éventuel échec, faisant ainsi planer la menace d’un lâchage dans l’hypothèse d’une nouvelle attaque israélienne sur la Mouqataa. C’est finalement l’intervention de dernière minute d’Omar Souleiman, le chef des services secrets égyptiens, dépêché en fin de matinée à Ramallah, qui a fait céder le président palestinien.

Il reste désormais au Parlement palestinien à donner sa confiance au nouveau gouvernement. Le vote des députés pourrait intervenir samedi ou dimanche. S’il obtient la majorité, ce qui est probable, Abou Mazen pourra enfin s’atteler au gigantesque défi qui l’attend : négocier la fin de la lutte armée sans paraître capituler devant Israël. La première étape de ce chantier devrait être la publication, dans les prochains jours, de la Feuille de route.



par Benjamin  Barthe

Article publié le 23/04/2003