Proche-Orient
Abou Mazen, ou comment terminer l’Intifada
Yasser Arafat a signé la loi créant un poste de Premier ministre. Ce sera Mahmoud Abbas alias Abou Mazen. Architecte des accords d’Oslo, le premier ministre palestinien entend mettre un terme à la lutte armée. Mais entre les surenchères islamistes, la pression de l’armée israélienne et la tutelle jalouse de Yasser Arafat, sa tâche a tout l’air d’une mission impossible.
De notre correspondant dans les Territoires palestiniens
Son visage avait quasiment disparu de la une des journaux palestiniens depuis le déclenchement de l’Intifada. En séjour à l’étranger ou bien cloîtré dans l’une de ses fastueuses villas de Ramallah ou Gaza, Abou Mazen, fine moustache et raie de cheveux blancs, goûtait une semi-disgrâce. Boudé par Yasser Arafat, il maugréait en privé contre l’Intifada. L’année dernière, quand le l’échec du soulèvement est devenu patent avec la réoccupation des grandes villes, lui, le numéro deux de l’OLP, a osé dire tout haut l’impensable : «La militarisation de l’Intifada est une erreur fondamentale. Le résultat est la démolition de notre économie et de nos infrastructures. Nous devons tout reconstruire à zéro» En acceptant le premier poste de Premier ministre de l’Autorité Palestinienne, Abou Mazen va désormais s’essayer à mettre en pratique ses convictions. «Le soulèvement doit être populaire et être mené par des moyens pacifiques. C’est seulement de cette façon que nous convaincrons le monde de la justice de notre cause». Terminer l’Intifada sans paraître le pantin des Israéliens : la tâche est immense.
Pour ce faire, Abou Mazen, de son vrai nom Mahmoud Abbas, dispose de quelques atouts. Agé de 68 ans, l’homme est un modéré notoire. Le compagnon de route d’Arafat avec qui il fonda le Fatah en 1959, titulaire d’une thèse d’histoire sur le sionisme, a été l’un des pionniers du dialogue avec les Israéliens. Elu membre du conseil central de l’OLP en 1972, il est de ceux qui négocient le tournant décisif qui aboutit à la reconnaissance de l’Etat d’Israël en 1988 puis aux accords d’Oslo en 1993 dont il est l’architecte et le signataire.
Durant les années qui suivent, Abou Mazen est promu secrétaire général de l’OLP, le poste le plus élevé après Arafat. En restant à l’écart de l’Autorité palestinienne, d’un naturel discret, il évite le discrédit populaire qui touche peu à peu ses membres. Parallèlement, il poursuit son travail de diplomatie en coulisses et fin 1995, il conclue avec Yossi Beilin, une colombe travailliste, un projet d’accord final. Cet arrangement, longtemps tenu secret, prévoyait qu’Israël se retire de 90-95% de la Cisjordanie, mais il spécifiait aussi qu’environ 130 colonies demeurent sous souveraineté israélienne, que l’armée se maintienne dans la vallée du Jourdain et qu’en guise de capitale, le futur Etat palestinien se contente d’un village reculé en bordure de Jérusalem. Lorsqu’il fut présenté en juin 2000 au gouvernement d’Ehoud Barak, à la veille du sommet de Camp David, ce plan étonna jusqu’aux membres les plus à droite de la coalition israélienne du fait de l’ampleur des concessions palestiniennes. Au point qu’Arafat en tenue un temps rigueur à son bras droit et que lui même renia le plan tel qu’il fut dévoilé dans la presse israélienne.
Respecté par l’opinion publique palestinienne, apprécié par la communauté internationale, courtisé par Ariel Sharon qui l’a déjà rencontré au moins une fois, membre qui plus est du Fatah, sans qui rien n’est faisable dans les Territoires, Mahmoud Abbas est donc devenu le candidat idéal quand la nécessité de créer un poste de Premier ministre s’est imposé. En septembre dernier, alors que la Mouqataa tremblait sous les coups des bulldozers israéliens, un simili-putsch destiné à l’imposer au raïs avait échoué. Sorti grandi de l’épreuve, Arafat avait pu déjouer la manœuvre au dernier moment.
Le Hamas crie vengeance
Six mois plus tard, alors que son étoile n’a jamais paru aussi bas, le «Vieux» n’a plus les moyens de dire non. La tâche de Mahmoud Abbas ne sera pas pour autant aisée. Chargé de définir les pouvoirs du nouveau poste, le Parlement palestinien n’a pas tranché entre modèle présidentiel et parlementaire. La nouvelle constitution amendée instaure de fait une cohabitation « à la française » entre le Premier ministre investi de la gestion des affaires internes, dont la nomination des ministres et le président qui garde la haute main sur la conduite des négociations de paix et la sécurité intérieure. Certes, Abbas est un proche d’Arafat, mais leurs brouilles ont été nombreuses. Le Premier ministre devra se méfier de la propension du raïs à transformer ses subordonnés en obligés. Le premier test sera la nomination d’un nouveau ministre de l’Intérieur. Abou Mazen ne fait pas mystère de son désir de remplacer Hani el Hassan, l’actuel titulaire du poste, considéré comme un fidèle d’Arafat, par l’un de ses proches comme par exemple Mohamed Dahlan, l’ancien patron du contre-terrorisme en Cisjordanie, en froid avec le président.
Mahmoud Abbas devra également composer avec les pressions diverses qui ont présidé à sa nomination. Entre l’aspiration de la population palestinienne à davantage de démocratie, le souci de l’Union Européenne de plus de transparence financière, et l’ambition affichée des États-Unis et d’Israël de le voir supplanter au plus vite Yasser Arafat, sa marge de manœuvre sera étroite. D’autant plus que son principal objectif, désarmer l’Intifada, heurte de front la stratégie des groupes armés islamistes et de certaines cellules des Brigades des martyrs d’al-Aqsa, en dissidence ouverte avec le Fatah.
Mais le principal obstacle du nouveau venu reste Ariel Sharon. S’il a salué sa nomination, le Premier ministre israélien ne semble pas prêt à faire à son homologue le moindre cadeau. Il faudra attendre l’après-guerre en Irak, pour voir s’il y a un effet Abou Mazen. Mais déjà, les Palestiniens ne se font aucune illusion. «Tout ce bruit sur Abou Mazen ne changera rien à l’affaire, prévoit le journaliste palestinien Daoud Kuttab. Le problème que les Israéliens ont avec les Palestiniens n’est pas une affaire de personne. C’est tout simplement une question de terre. Tant qu’ils ne nous la rendront pas, le problème restera entier».
Son visage avait quasiment disparu de la une des journaux palestiniens depuis le déclenchement de l’Intifada. En séjour à l’étranger ou bien cloîtré dans l’une de ses fastueuses villas de Ramallah ou Gaza, Abou Mazen, fine moustache et raie de cheveux blancs, goûtait une semi-disgrâce. Boudé par Yasser Arafat, il maugréait en privé contre l’Intifada. L’année dernière, quand le l’échec du soulèvement est devenu patent avec la réoccupation des grandes villes, lui, le numéro deux de l’OLP, a osé dire tout haut l’impensable : «La militarisation de l’Intifada est une erreur fondamentale. Le résultat est la démolition de notre économie et de nos infrastructures. Nous devons tout reconstruire à zéro» En acceptant le premier poste de Premier ministre de l’Autorité Palestinienne, Abou Mazen va désormais s’essayer à mettre en pratique ses convictions. «Le soulèvement doit être populaire et être mené par des moyens pacifiques. C’est seulement de cette façon que nous convaincrons le monde de la justice de notre cause». Terminer l’Intifada sans paraître le pantin des Israéliens : la tâche est immense.
Pour ce faire, Abou Mazen, de son vrai nom Mahmoud Abbas, dispose de quelques atouts. Agé de 68 ans, l’homme est un modéré notoire. Le compagnon de route d’Arafat avec qui il fonda le Fatah en 1959, titulaire d’une thèse d’histoire sur le sionisme, a été l’un des pionniers du dialogue avec les Israéliens. Elu membre du conseil central de l’OLP en 1972, il est de ceux qui négocient le tournant décisif qui aboutit à la reconnaissance de l’Etat d’Israël en 1988 puis aux accords d’Oslo en 1993 dont il est l’architecte et le signataire.
Durant les années qui suivent, Abou Mazen est promu secrétaire général de l’OLP, le poste le plus élevé après Arafat. En restant à l’écart de l’Autorité palestinienne, d’un naturel discret, il évite le discrédit populaire qui touche peu à peu ses membres. Parallèlement, il poursuit son travail de diplomatie en coulisses et fin 1995, il conclue avec Yossi Beilin, une colombe travailliste, un projet d’accord final. Cet arrangement, longtemps tenu secret, prévoyait qu’Israël se retire de 90-95% de la Cisjordanie, mais il spécifiait aussi qu’environ 130 colonies demeurent sous souveraineté israélienne, que l’armée se maintienne dans la vallée du Jourdain et qu’en guise de capitale, le futur Etat palestinien se contente d’un village reculé en bordure de Jérusalem. Lorsqu’il fut présenté en juin 2000 au gouvernement d’Ehoud Barak, à la veille du sommet de Camp David, ce plan étonna jusqu’aux membres les plus à droite de la coalition israélienne du fait de l’ampleur des concessions palestiniennes. Au point qu’Arafat en tenue un temps rigueur à son bras droit et que lui même renia le plan tel qu’il fut dévoilé dans la presse israélienne.
Respecté par l’opinion publique palestinienne, apprécié par la communauté internationale, courtisé par Ariel Sharon qui l’a déjà rencontré au moins une fois, membre qui plus est du Fatah, sans qui rien n’est faisable dans les Territoires, Mahmoud Abbas est donc devenu le candidat idéal quand la nécessité de créer un poste de Premier ministre s’est imposé. En septembre dernier, alors que la Mouqataa tremblait sous les coups des bulldozers israéliens, un simili-putsch destiné à l’imposer au raïs avait échoué. Sorti grandi de l’épreuve, Arafat avait pu déjouer la manœuvre au dernier moment.
Le Hamas crie vengeance
Six mois plus tard, alors que son étoile n’a jamais paru aussi bas, le «Vieux» n’a plus les moyens de dire non. La tâche de Mahmoud Abbas ne sera pas pour autant aisée. Chargé de définir les pouvoirs du nouveau poste, le Parlement palestinien n’a pas tranché entre modèle présidentiel et parlementaire. La nouvelle constitution amendée instaure de fait une cohabitation « à la française » entre le Premier ministre investi de la gestion des affaires internes, dont la nomination des ministres et le président qui garde la haute main sur la conduite des négociations de paix et la sécurité intérieure. Certes, Abbas est un proche d’Arafat, mais leurs brouilles ont été nombreuses. Le Premier ministre devra se méfier de la propension du raïs à transformer ses subordonnés en obligés. Le premier test sera la nomination d’un nouveau ministre de l’Intérieur. Abou Mazen ne fait pas mystère de son désir de remplacer Hani el Hassan, l’actuel titulaire du poste, considéré comme un fidèle d’Arafat, par l’un de ses proches comme par exemple Mohamed Dahlan, l’ancien patron du contre-terrorisme en Cisjordanie, en froid avec le président.
Mahmoud Abbas devra également composer avec les pressions diverses qui ont présidé à sa nomination. Entre l’aspiration de la population palestinienne à davantage de démocratie, le souci de l’Union Européenne de plus de transparence financière, et l’ambition affichée des États-Unis et d’Israël de le voir supplanter au plus vite Yasser Arafat, sa marge de manœuvre sera étroite. D’autant plus que son principal objectif, désarmer l’Intifada, heurte de front la stratégie des groupes armés islamistes et de certaines cellules des Brigades des martyrs d’al-Aqsa, en dissidence ouverte avec le Fatah.
Mais le principal obstacle du nouveau venu reste Ariel Sharon. S’il a salué sa nomination, le Premier ministre israélien ne semble pas prêt à faire à son homologue le moindre cadeau. Il faudra attendre l’après-guerre en Irak, pour voir s’il y a un effet Abou Mazen. Mais déjà, les Palestiniens ne se font aucune illusion. «Tout ce bruit sur Abou Mazen ne changera rien à l’affaire, prévoit le journaliste palestinien Daoud Kuttab. Le problème que les Israéliens ont avec les Palestiniens n’est pas une affaire de personne. C’est tout simplement une question de terre. Tant qu’ils ne nous la rendront pas, le problème restera entier».
par Benjamin Barthe
Article publié le 19/03/2003