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Mondialisation

Altermondialistes : comment se construit la résistance

Le succès des contre-sommets de Porto Alegre, entre autres, montre qu’une sensibilité s’affirme dans l’opinion mondiale, contre le libéralisme planétaire. Critique stérile ? Pas sûr. Deux essais expliquent ce qui a changé dans la pensée ainsi que dans la pratique des mouvements contestataires.
Résister, c’est créer : en reprenant, en guise de titre de l’un des livres, la phrase du philosophe français Gilles Deleuze, les auteurs font un constat et indiquent la voie à suivre. Le philosophe et psychanalyste argentin Miguel Benasayag, auteur principal dans les deux cas, souligne ainsi que la critique argumentée du système, si elle est indispensable, n’est bien sûr pas suffisante. Rappelant quelques mouvements contestataires du Nord et du Sud (Attac, Act Up, collectifs anti-expulsions, mères de la place de Mai, paysans sans terre, guérilla zapatiste, etc.), il montre que certains développent des formes de lutte originales, ainsi que de nouvelles manières de vivre, soit en marge, soit dans la société actuelle mais avec d’autres valeurs. Des expériences dont la portée est encore mal perçue car elles ne correspondent pas aux formes traditionnelles de l’action politique.
La première différence, en effet, c’est que les « révolutionnaires » de notre temps n’ont plus pour but la prise du pouvoir central. Celui-ci n’est plus synonyme de puissance, c’est-à-dire qu’il n’est plus perçu comme un moyen de changer le monde, d’aller vers plus de justice sociale et de « défendre les valeurs de la vie » – mais l’a-t-il jamais été ? Le pouvoir a-t-il jamais été autre chose qu’abus de pouvoir, qu’impuissance face aux forces de l’économie et de la psychologie, « permettant, tout au plus, de récolter l’usufruit de la puissance d’autrui » ? Au vu de l’histoire, un constat s’impose : « Chaque fois qu’il y a prise du pouvoir, que ce soit par l’insurrection ou la voie électorale, la première chose que constatent les vainqueurs, c’est que dès le moment où ils accèdent à la place tant convoitée, le champ des possibles se rétrécit irrémédiablement, parfois jusqu’à disparaître. Ceux qui prennent le pouvoir ont ainsi comme première et paradoxale mission de constater tout ce qu’ils ne peuvent pas ». Il sera à cet égard très intéressant de suivre le parcours du président Lula, au Brésil...

Formater l’opinion publique

De fait, on sait que le pouvoir réside aujourd’hui dans la création et le contrôle de l’opinion publique et qu’en cela, il est redoutablement efficace. En démocratie, c’est moins la peur des citoyens que leur adhésion au « règne criminel du capitalisme » qui fait la force d’un système « qui met aujourd’hui en danger le développement de la vie ». A tout un chacun, invitent les auteurs, de ne pas se contenter des explications officielles, ni des relais radio-télévisuels et journalistiques les plus évidents et les plus conformistes.
Deuxième éclairage, justement, apporté par Miguel Benasayag, celui de la psychologie. Arrêtons-nous un instant sur la fameuse « conscientisation » des masses. Pour les révolutionnaires classiques, elle devait forcément amener un changement. L’expérience a montré le contraire. « En outre, souvent, avoir conscience d’une injustice a pour conséquence un résultat plus proche de la tristesse et de l’impuissance que de la révolte. Car la conscience, comme Janus, a deux visages : elle est perception d’une injustice et, en même temps, de la faiblesse qui la rend efficace. La conscience de la crise économique peut ainsi très bien conduire à accepter une baisse de salaire. » La prise de conscience n’est donc qu’un élément au sein de la situation.
Troisième élément de compréhension, qui n’est pas le moindre, le succès du système repose sur le culte de l’individualisme, qui n’est, ainsi que l’avait souligné Marx en se moquant, qu’illusion : « La civilisation de l’individu – qui ne voit les autres êtres vivants que comme des accessoires de sa propre vie – a ainsi produit un concept de liberté selon lequel est “libre” celui – individu ou groupe- qui domine son milieu, domine les autres, et domine enfin, dans son propre corps, ses pulsions naturelles. C’est oublier un détail : la dépendance profonde de l’ensemble de la vie à l’économie, à la recherche aveugle du profit. » Dans ce système, l’individu, après avoir été un travailleur durant la période du capitalisme triomphant, au XIXe siècle, est devenu un consommateur. Dans le Tiers Monde, il reste surtout un producteur à bas prix.

Le résultat est que nous vivons une époque « profondément marquée par la tristesse, tristesse née des larmes mais surtout de l’impuissance », la démotivation. « Les hommes et les femmes de notre époque vivent dans la certitude que la complexité de la vie est telle que la seule chose que nous puissions faire c’est de nous soumettre à la discipline de l’économie, de l’intérêt et de l’égoïsme. » Résister, c’est donc créer, sous de multiples formes, des liens de solidarité concrets, c’est « décrocher » d’un certain confort, c’est développer des contre-pouvoirs et des contre-cultures, décoder nos conditionnements, « inventer des images de bonheur » différentes d’un parcours de vie à deux cents à l’heure, en décapotable, un portable à la main, un soda glacé dans l’autre ! C’est d’abord, que l’on soit du Sud ou du Nord, se remettre personnellement en cause. L’essai titré Du contre-pouvoir se termine par un très intéressant Manifeste du Réseau de résistance alternatif, rédigé par plusieurs mouvements sud-américains et français.
Un brin utopiste, parfois de lecture ardue mais très éclairante, ces deux essais peuvent être une nourriture consistante et salutaire pour la réflexion personnelle.

Miguel Benasayag et Diego Sztulwark : Du contre-pouvoir./ Florence Aubenas et Miguel Benasayag : Résister, c’est créer. Ed. La Découverte (poche), 8 et 6,40 €.



par Henriette  SARRASECA

Article publié le 03/04/2003