Proche-Orient
Les quatre défis d’Abou Mazen
Arrêter l’Intifada, relancer la paix, réformer l’Autorité palestinienne et tenir Arafat à bonne distance: la mission du nouveau Premier ministre paraît d’autant plus périlleuse que sa marge de manœuvre est étroite. Ni les groupes armés, qui ont planifié l’attentat suicide de Tel Aviv, ni Ariel Sharon dont les blindés ont fait 8 morts à Gaza ce matin ne lui feront de cadeau.
De notre correspondant dans les territoires palestiniens
Si l’Histoire ne réservait pas régulièrement quelques surprises, il serait tentant de qualifier la tâche qui attend Mahmoud Abbas de mission impossible. Depuis sa désignation comme Premier ministre à la mi-mars, la somme des espoirs dont il est investi n’a fait que s’alourdir. L’homme connu sous le nom d’Abou Mazen est censé rien moins que neutraliser les groupes armés, terminer l’Intifada, réamorcer le processus de paix, évincer Yasser Arafat, organiser des élections, combattre la corruption et relancer l’économie, tout en garantissant la création dans deux ans, d’un Etat souverain et viable. Or en un mois et demi de réflexion, Abou Mazen a également pu mesurer combien sa marge de manœuvre est étroite.
Ni Ariel Sharon dont les soldats ont tué six Palestiniens le jour de son investiture, ni les groupes armés qui ont «célébré» son entrée en fonction par un attentat sanglant à Tel Aviv qui a fait trois morts, ni enfin Yasser Arafat arc-bouté sur ses prérogatives, ne sont prêts à lui faciliter la tâche. En fait l’étendue du pouvoir d’Abou Mazen, paraît inversement proportionnelle à l’ampleur des attentes suscitées par sa nomination. Le Premier ministre palestinien devra batailler sur quatre fronts en même temps.
La nouvelle direction a fait de la libération des «10 000» prisonniers palestiniens (un chiffre probablement exagéré, un total de 6 ou 7 000 paraît plus vraisemblable), sa priorité numéro un. Voilà pour l’affichage. Dans les faits, il est probable que le nouveau gouvernement concentrera ses efforts sur la récupération des zones autonomes conquises par l’armée israélienne durant l’offensive d’avril 2002 – une mesure qui fait partie de la phase 1 de la Feuille de route. A l’époque des démêlés entre le président Arafat et son premier ministre, Ariel Sharon avait fait savoir que l’armée se retirerait de ces territoires par étapes. Le nord de la bande de Gaza, où les tanks israéliens vont et viennent à loisir, devait être le premier morceau rétrocédé à la sécurité palestinienne.
Une zone test, pour jauger la détermination d’Abou Mazen. Or ce geste d’apaisement a été reportée sine die. Assailli de rapports du Shin Beth sceptiques quant à la volonté et la capacité de la nouvelle direction de mettre les groupes armés au pas, Ariel Sharon a jugé préférable d’attendre. Pour l’instant, l’armée israélienne n’a rien changé à sa méthode. Avant hier, jour de l’investiture d’Abou Mazen, deux militants présumés du FPLP, ont été assassinés à Khan Younès dans l’explosion d’une roquette tirée par un hélicoptère Apache. Et cette nuit, quelques heures à peine après la remise de le Feuille de route aux deux parties, une colonne de blindés pénétrait dans Gaza city, faisant 8 morts, dont un enfant de deux ans et un autre de treize.
Groupes armés : négocier une trêve
L’attentat de Tel Aviv, organisé conjointement par le Hamas et les Brigades des martyrs d’el Aksa, en a fait la démonstration: les groupes armés ne joueront pas le jeu de la Feuille de route, le plan de paix international qui demande un arrêt des violences. Les islamistes comme les ultras du Fatah, préfèrent la logique du pire: la guerre d’usure, quelle qu’en soit le coût. Abou Mazen a-t-il les moyens de les attaquer de front comme le réclame la Feuille de route ? Impossible tant qu’Israël n’offre pas de contrepartie, estime Ilan Halévy, un conseiller de Yasser Arafat: «Pour juguler l’Intifada, le Premier ministre doit isoler les groupes armés de l’opinion publique. Et pour cela, il faut que la population prenne confiance dans un nouveau processus de paix». Abou Mazen est d’autant plus porté à la prudence qu’il se sait peu populaire dans les Territoires. Il suffirait de peu pour que la population le catalogue définitivement comme le Premier ministre «de l’étranger». Dans ce contexte, le scénario le plus probable est une relance des discussions inter-palestiniennes sur une trêve, à l’image de celles qui s’étaient déroulés au Caire cet hiver. Une éventualité qu’Israël a d’emblée rejeté, de peur qu’une telle pause qui obligerait ses troupes à la retenue, ne permette aux groupes armés de se réorganiser.
La rue palestinienne ne partage pas l’engouement de la communauté internationale pour Abou Mazen. Au mieux indifférents, souvent sceptiques, les habitants des Territoires n’espèrent aucune percée politique. Selon, eux le Premier ministre est ligoté par Ariel Sharon. Ce qu’ils veulent, c’est une amélioration de leur quotidien. «Je veux de l’ordre, revoir des policiers en uniforme à Ramallah», dit Abou Tarek, un épicier. «Je veux la levée du bouclage des villes pour rendre visite à mes parents à Naplouse», dit Alaa, un avocat. «Je veux un travail, un vrai, pas les gagne-pain de misère que j’ai depuis deux ans», ajoute Nader. Dans son discours d’investiture, Abou Mazen a consacré un long développement à ces revendications internes. Il a promis un plan de relance économique et il s’est présenté comme le garant d’une meilleure gouvernance.
Transparence, respect des droits de l’Homme, responsabilité: il a égrené les thèmes favoris des réformateurs. Mais comme pour la Feuille de route, le passage de la théorie à la pratique ne sera pas aisé. D’autant plus, disent les critiques, qu’Abou Mazen n’a pas les ministres de ses ambitions. «On attendait des technocrates, dit un haut fonctionnaire qui a requis l’anonymat. Au lieu de cela, on a le clan Arafat et le clan Abou Mazen mélangés».
Le président palestinien a un talent fou pour transformer ses subordonnés en obligés. Abou Mazen qui le sait, a bataillé pendant cinq semaines pour imposer quelques uns de ses hommes dans le gouvernement. Mais cela ne suffira pas à l’émanciper de la tutelle du raïs pour autant. Yasser Arafat devrait par exemple conserver le contrôle du service de police le plus étoffé, la Sécurité nationale, ainsi que celui des Moukhabarat, les service secrets. Dans toute la pyramide de l’Autorité palestinienne, il dispose de relais fidèles. Pour l’instant, le nouveau Premier ministre a d’ailleurs besoin de la légitimité du «Vieux» pour consolider sa propre stature. «Ce gouvernement est le vôtre», lui a-t-il lancé, en conclusion de son discours d’investiture. Les États-Unis et Israël qui pressent Abou Mazen de rompre avec Arafat, devront attendre.
Si l’Histoire ne réservait pas régulièrement quelques surprises, il serait tentant de qualifier la tâche qui attend Mahmoud Abbas de mission impossible. Depuis sa désignation comme Premier ministre à la mi-mars, la somme des espoirs dont il est investi n’a fait que s’alourdir. L’homme connu sous le nom d’Abou Mazen est censé rien moins que neutraliser les groupes armés, terminer l’Intifada, réamorcer le processus de paix, évincer Yasser Arafat, organiser des élections, combattre la corruption et relancer l’économie, tout en garantissant la création dans deux ans, d’un Etat souverain et viable. Or en un mois et demi de réflexion, Abou Mazen a également pu mesurer combien sa marge de manœuvre est étroite.
Ni Ariel Sharon dont les soldats ont tué six Palestiniens le jour de son investiture, ni les groupes armés qui ont «célébré» son entrée en fonction par un attentat sanglant à Tel Aviv qui a fait trois morts, ni enfin Yasser Arafat arc-bouté sur ses prérogatives, ne sont prêts à lui faciliter la tâche. En fait l’étendue du pouvoir d’Abou Mazen, paraît inversement proportionnelle à l’ampleur des attentes suscitées par sa nomination. Le Premier ministre palestinien devra batailler sur quatre fronts en même temps.
La nouvelle direction a fait de la libération des «10 000» prisonniers palestiniens (un chiffre probablement exagéré, un total de 6 ou 7 000 paraît plus vraisemblable), sa priorité numéro un. Voilà pour l’affichage. Dans les faits, il est probable que le nouveau gouvernement concentrera ses efforts sur la récupération des zones autonomes conquises par l’armée israélienne durant l’offensive d’avril 2002 – une mesure qui fait partie de la phase 1 de la Feuille de route. A l’époque des démêlés entre le président Arafat et son premier ministre, Ariel Sharon avait fait savoir que l’armée se retirerait de ces territoires par étapes. Le nord de la bande de Gaza, où les tanks israéliens vont et viennent à loisir, devait être le premier morceau rétrocédé à la sécurité palestinienne.
Une zone test, pour jauger la détermination d’Abou Mazen. Or ce geste d’apaisement a été reportée sine die. Assailli de rapports du Shin Beth sceptiques quant à la volonté et la capacité de la nouvelle direction de mettre les groupes armés au pas, Ariel Sharon a jugé préférable d’attendre. Pour l’instant, l’armée israélienne n’a rien changé à sa méthode. Avant hier, jour de l’investiture d’Abou Mazen, deux militants présumés du FPLP, ont été assassinés à Khan Younès dans l’explosion d’une roquette tirée par un hélicoptère Apache. Et cette nuit, quelques heures à peine après la remise de le Feuille de route aux deux parties, une colonne de blindés pénétrait dans Gaza city, faisant 8 morts, dont un enfant de deux ans et un autre de treize.
Groupes armés : négocier une trêve
L’attentat de Tel Aviv, organisé conjointement par le Hamas et les Brigades des martyrs d’el Aksa, en a fait la démonstration: les groupes armés ne joueront pas le jeu de la Feuille de route, le plan de paix international qui demande un arrêt des violences. Les islamistes comme les ultras du Fatah, préfèrent la logique du pire: la guerre d’usure, quelle qu’en soit le coût. Abou Mazen a-t-il les moyens de les attaquer de front comme le réclame la Feuille de route ? Impossible tant qu’Israël n’offre pas de contrepartie, estime Ilan Halévy, un conseiller de Yasser Arafat: «Pour juguler l’Intifada, le Premier ministre doit isoler les groupes armés de l’opinion publique. Et pour cela, il faut que la population prenne confiance dans un nouveau processus de paix». Abou Mazen est d’autant plus porté à la prudence qu’il se sait peu populaire dans les Territoires. Il suffirait de peu pour que la population le catalogue définitivement comme le Premier ministre «de l’étranger». Dans ce contexte, le scénario le plus probable est une relance des discussions inter-palestiniennes sur une trêve, à l’image de celles qui s’étaient déroulés au Caire cet hiver. Une éventualité qu’Israël a d’emblée rejeté, de peur qu’une telle pause qui obligerait ses troupes à la retenue, ne permette aux groupes armés de se réorganiser.
La rue palestinienne ne partage pas l’engouement de la communauté internationale pour Abou Mazen. Au mieux indifférents, souvent sceptiques, les habitants des Territoires n’espèrent aucune percée politique. Selon, eux le Premier ministre est ligoté par Ariel Sharon. Ce qu’ils veulent, c’est une amélioration de leur quotidien. «Je veux de l’ordre, revoir des policiers en uniforme à Ramallah», dit Abou Tarek, un épicier. «Je veux la levée du bouclage des villes pour rendre visite à mes parents à Naplouse», dit Alaa, un avocat. «Je veux un travail, un vrai, pas les gagne-pain de misère que j’ai depuis deux ans», ajoute Nader. Dans son discours d’investiture, Abou Mazen a consacré un long développement à ces revendications internes. Il a promis un plan de relance économique et il s’est présenté comme le garant d’une meilleure gouvernance.
Transparence, respect des droits de l’Homme, responsabilité: il a égrené les thèmes favoris des réformateurs. Mais comme pour la Feuille de route, le passage de la théorie à la pratique ne sera pas aisé. D’autant plus, disent les critiques, qu’Abou Mazen n’a pas les ministres de ses ambitions. «On attendait des technocrates, dit un haut fonctionnaire qui a requis l’anonymat. Au lieu de cela, on a le clan Arafat et le clan Abou Mazen mélangés».
Le président palestinien a un talent fou pour transformer ses subordonnés en obligés. Abou Mazen qui le sait, a bataillé pendant cinq semaines pour imposer quelques uns de ses hommes dans le gouvernement. Mais cela ne suffira pas à l’émanciper de la tutelle du raïs pour autant. Yasser Arafat devrait par exemple conserver le contrôle du service de police le plus étoffé, la Sécurité nationale, ainsi que celui des Moukhabarat, les service secrets. Dans toute la pyramide de l’Autorité palestinienne, il dispose de relais fidèles. Pour l’instant, le nouveau Premier ministre a d’ailleurs besoin de la légitimité du «Vieux» pour consolider sa propre stature. «Ce gouvernement est le vôtre», lui a-t-il lancé, en conclusion de son discours d’investiture. Les États-Unis et Israël qui pressent Abou Mazen de rompre avec Arafat, devront attendre.
par Benjamin Barthe
Article publié le 01/05/2003