Irak
Washington demande la levée des sanctions
Les États-Unis font circuler au Conseil de sécurité de l'ONU un projet de résolution destiné à lever les sanctions qui pèsent contre l'Irak, tout en endossant leur action dans le pays. Le projet, qui promet d'être controversé, donne le contrôle de l'argent du pétrole à Washington, et ne mentionne pas le retour des inspecteurs en désarmement.
De notre correspondant à New York (Nations unies)
Les États-Unis ont placé la barre très haut, sans tenir compte de l'opposition prévisible de la France et de la Russie. Le projet de résolution qu'ils ont commencé à faire circuler hier revient à demander un blanc-seing de l'ONU pour légitimer leur contrôle de l'Irak et de ses ressources naturelles.
Sur huit pages, le projet de texte fait table rase des résolutions antérieures en demandant la levée des sanctions économiques et commerciales qui pèsent sur l'Irak depuis près de 13 ans. Seul l'embargo sur les armes serait maintenu, avec une dérogation pour les équipements que la coalition américano-britannique pourrait juger nécessaires. Le programme pétrole contre nourriture, dont dépend la quasi-totalité de la population irakienne, serait maintenu sous l'autorité de Kofi Annan, mais seulement pour une période de quatre mois.
Passé cette échéance, le contrôle du pétrole Irakien tomberait aux mains de Washington, en vertu d'un processus complexe. Un fond d'aide à l'Irak serait établi à la banque centrale irakienne. Le compte serait immédiatement alimenté par les quelque trois milliards de dollars qui restent des exportations de pétrole antérieures à la guerre. A partir de là, l'argent de l'or noir irakien serait intégralement déposé sur ce compte, jusqu'à ce qu'un gouvernement irakien soit constitué. Pour surveiller ce fond d'aide à l'Irak, le Conseil de sécurité nommerait un comité consultatif composé d'officiels de l'ONU, du FMI et de la Banque mondiale, qui choisiraient eux-mêmes des auditeurs indépendants.
Mais au bout du compte, les États-Unis et la Grande Bretagne garderaient le contrôle de cet argent. «Les réserves du fond d'aide à l'Irak seront déboursées sous la direction de l'Autorité [un terme pudique qui désigne les puissances occupantes que sont les États-Unis et la Grande-Bretagne, ndlr], en consultation avec l'autorité irakienne intérimaire» explique le projet américain, tout en offrant quelques précisions sur les lignes de conduite de ladite autorité. L'argent du pétrole, explique-t-on, devra servir aux «besoins humanitaires du peuple irakien», «à la reconstruction économique et à la réparation de l'infrastructure irakienne», au «désarmement continu de l'Irak et pour les coûts de l'administration civile indigène, et pour d'autres buts bénéficiant au peuple irakien». Les termes sont suffisamment vagues pour autoriser les États-Unis à se rembourser d'une partie de leurs frais avec l'argent du brut irakien. Pour faire bonne mesure et rassurer les importateurs, un paragraphe entier de la résolution est destiné à offrir une immunité à l'égard de poursuites judiciaires aux transactions pétrolières.
Une place marginale pour l’ONU
Dans son préambule, le projet de texte affirme que «l'ONU devrait jouer un rôle vital pour fournir de l'aide humanitaire, assister la reconstruction de l'Irak et aider à la formation d'une autorité irakienne intérimaire». Mais dans les faits, la place laissée aux Nations unies est marginale. Un coordinateur spécial serait nommé par Kofi Annan. Conformément aux voeux du secrétaire général de l'ONU, son rôle est longuement décrit dans le texte, mais en des termes très vagues. Il coordonnerait l'aide humanitaire de l'ONU et des ONG, favoriserait le retour des réfugiés, «travaillerait avec l'Autorité et le peuple irakien à la restauration et au rétablissement d'institutions nationales et locales», ferait la promotion de la reconstruction... Derrière la multiplication des formules se cache une vérité simple : l'ONU ne serait doté d'aucune autorité, cantonnée à un rôle d'assistance, voire de spectateur.
Plus problématique encore : le rôle des inspecteurs en désarmement de l'ONU n'est pas même mentionné dans le texte. La plupart des membres du Conseil de sécurité voudraient leur retour sur le terrain pour, conformément aux résolutions en vigueur, attester du désarmement de l'Irak, et contrôler au passage la validité des éventuelles trouvailles américaines. Mais les États-Unis continuent à les ignorer et l'ambassadeur américain aux Nations unies a affirmé qu'ils n'auraient «aucun rôle dans un avenir prévisible». Washington cherche toutefois à obtenir un vernis de légitimité que pourrait lui accorder l'organisation. Le projet américain propose que le Conseil de sécurité «endosse l'exercice des responsabilités énoncées dans cette résolution par l'Autorité pour une période initiale de 12 mois à compter de l'adoption de cette résolution, se prolongeant par la suite tel que nécessaire à moins que le Conseil de sécurité n'en décide autrement». Concrètement, cela offre à Londres et Washington un chèque en blanc d'une durée illimitée, comparé par un diplomate aigri «à un mandat colonial pour une puissance impériale».
Pour l'heure, les autres pays du Conseil de sécurité se gardent bien de réagir. L'ambiance est à la prudence, jusque dans les rangs des Français et les Russes qui jusque-là demandaient vigoureusement le retour des inspecteurs et s'opposaient catégoriquement à toute légitimation de l'occupation américaine. La France avait d'ailleurs proposé de suspendre immédiatement les sanctions, tout en laissant le contrôle du pétrole irakien aux mains de l'ONU et en organisant le retour des inspecteurs. Hier, plusieurs diplomates affirmaient que «l'humeur est à la conciliation». Jusque où ? Si les États-Unis ne sont pas prêts à revoir à la baisse certaines de leurs exigences, la négociation risque d'être tendue.
Les États-Unis ont placé la barre très haut, sans tenir compte de l'opposition prévisible de la France et de la Russie. Le projet de résolution qu'ils ont commencé à faire circuler hier revient à demander un blanc-seing de l'ONU pour légitimer leur contrôle de l'Irak et de ses ressources naturelles.
Sur huit pages, le projet de texte fait table rase des résolutions antérieures en demandant la levée des sanctions économiques et commerciales qui pèsent sur l'Irak depuis près de 13 ans. Seul l'embargo sur les armes serait maintenu, avec une dérogation pour les équipements que la coalition américano-britannique pourrait juger nécessaires. Le programme pétrole contre nourriture, dont dépend la quasi-totalité de la population irakienne, serait maintenu sous l'autorité de Kofi Annan, mais seulement pour une période de quatre mois.
Passé cette échéance, le contrôle du pétrole Irakien tomberait aux mains de Washington, en vertu d'un processus complexe. Un fond d'aide à l'Irak serait établi à la banque centrale irakienne. Le compte serait immédiatement alimenté par les quelque trois milliards de dollars qui restent des exportations de pétrole antérieures à la guerre. A partir de là, l'argent de l'or noir irakien serait intégralement déposé sur ce compte, jusqu'à ce qu'un gouvernement irakien soit constitué. Pour surveiller ce fond d'aide à l'Irak, le Conseil de sécurité nommerait un comité consultatif composé d'officiels de l'ONU, du FMI et de la Banque mondiale, qui choisiraient eux-mêmes des auditeurs indépendants.
Mais au bout du compte, les États-Unis et la Grande Bretagne garderaient le contrôle de cet argent. «Les réserves du fond d'aide à l'Irak seront déboursées sous la direction de l'Autorité [un terme pudique qui désigne les puissances occupantes que sont les États-Unis et la Grande-Bretagne, ndlr], en consultation avec l'autorité irakienne intérimaire» explique le projet américain, tout en offrant quelques précisions sur les lignes de conduite de ladite autorité. L'argent du pétrole, explique-t-on, devra servir aux «besoins humanitaires du peuple irakien», «à la reconstruction économique et à la réparation de l'infrastructure irakienne», au «désarmement continu de l'Irak et pour les coûts de l'administration civile indigène, et pour d'autres buts bénéficiant au peuple irakien». Les termes sont suffisamment vagues pour autoriser les États-Unis à se rembourser d'une partie de leurs frais avec l'argent du brut irakien. Pour faire bonne mesure et rassurer les importateurs, un paragraphe entier de la résolution est destiné à offrir une immunité à l'égard de poursuites judiciaires aux transactions pétrolières.
Une place marginale pour l’ONU
Dans son préambule, le projet de texte affirme que «l'ONU devrait jouer un rôle vital pour fournir de l'aide humanitaire, assister la reconstruction de l'Irak et aider à la formation d'une autorité irakienne intérimaire». Mais dans les faits, la place laissée aux Nations unies est marginale. Un coordinateur spécial serait nommé par Kofi Annan. Conformément aux voeux du secrétaire général de l'ONU, son rôle est longuement décrit dans le texte, mais en des termes très vagues. Il coordonnerait l'aide humanitaire de l'ONU et des ONG, favoriserait le retour des réfugiés, «travaillerait avec l'Autorité et le peuple irakien à la restauration et au rétablissement d'institutions nationales et locales», ferait la promotion de la reconstruction... Derrière la multiplication des formules se cache une vérité simple : l'ONU ne serait doté d'aucune autorité, cantonnée à un rôle d'assistance, voire de spectateur.
Plus problématique encore : le rôle des inspecteurs en désarmement de l'ONU n'est pas même mentionné dans le texte. La plupart des membres du Conseil de sécurité voudraient leur retour sur le terrain pour, conformément aux résolutions en vigueur, attester du désarmement de l'Irak, et contrôler au passage la validité des éventuelles trouvailles américaines. Mais les États-Unis continuent à les ignorer et l'ambassadeur américain aux Nations unies a affirmé qu'ils n'auraient «aucun rôle dans un avenir prévisible». Washington cherche toutefois à obtenir un vernis de légitimité que pourrait lui accorder l'organisation. Le projet américain propose que le Conseil de sécurité «endosse l'exercice des responsabilités énoncées dans cette résolution par l'Autorité pour une période initiale de 12 mois à compter de l'adoption de cette résolution, se prolongeant par la suite tel que nécessaire à moins que le Conseil de sécurité n'en décide autrement». Concrètement, cela offre à Londres et Washington un chèque en blanc d'une durée illimitée, comparé par un diplomate aigri «à un mandat colonial pour une puissance impériale».
Pour l'heure, les autres pays du Conseil de sécurité se gardent bien de réagir. L'ambiance est à la prudence, jusque dans les rangs des Français et les Russes qui jusque-là demandaient vigoureusement le retour des inspecteurs et s'opposaient catégoriquement à toute légitimation de l'occupation américaine. La France avait d'ailleurs proposé de suspendre immédiatement les sanctions, tout en laissant le contrôle du pétrole irakien aux mains de l'ONU et en organisant le retour des inspecteurs. Hier, plusieurs diplomates affirmaient que «l'humeur est à la conciliation». Jusque où ? Si les États-Unis ne sont pas prêts à revoir à la baisse certaines de leurs exigences, la négociation risque d'être tendue.
par Philippe Bolopion
Article publié le 09/05/2003