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Irak

Une difficile construction politique

Trois semaines après la chute de Bagdad, la situation politique de l’Irak reste très confuse. Conformément aux désirs des Américains, un gouvernement local intérimaire pourrait prendre les rênes du pays dans quatre semaines. Mais sa composition crée de nombreuses dissensions entre les multiples acteurs politiques et religieux de l’Irak. Une tension exacerbée par les violents incidents qui se produisent sur le terrain. Treize Irakiens auraient ainsi été tués lundi dans une ville située à 50 kilomètres de Bagdad par des soldats américains alors qu’ils manifestaient en faveur de Saddam Hussein.
Une nouvelle fois, les soldats américains ont invoqué la nécessité de riposter pour expliquer la fusillade qui s’est produite lundi à Falloujah, une ville située à 50 kilomètres à l’ouest de la capitale irakienne. Une foule menaçante se serait approchée de l’école qui leur sert de base en brandissant des portraits de Saddam Hussein et en scandant des slogans hostiles à l’occupation américaine. Selon une porte-parole du commandement central américain, les soldats américains auraient alors essuyé des tirs de fusil d’assaut et auraient donc été obligés de riposter. Le lieutenant Yvonne Lukson n’a par contre donné aucune précision sur le chiffre de victimes civiles ou américaines. Des témoins irakiens ont eux déclaré que treize manifestants avaient été tués et 45 autres blessés. Six enfants auraient été mortellement touchés au cours de cette manifestation organisée à l’occasion du soixante-sixième anniversaire du président déchu Saddam Hussein.

Les images d’habitants laissant exploser leur colère lors des funérailles des victimes de cette fusillade illustrent la grande difficulté que rencontrent les soldats américains pour assurer des missions de maintien de l’ordre public. Dans d’autres villes du pays, des fusillades similaires se sont également produites au cours de manifestations. Une quinzaine de civils irakiens avaient ainsi été tués le 11 avril dernier à Mossoul par des soldats américains. Souhaitant à tout prix éviter ces incidents meurtriers qui ne peuvent que développer l’anti-américanisme au sein de la population, les Etats-Unis s’efforcent de maintenir le calme par tous les moyens dans les différentes villes du pays. Ils ont annoncé, d’une part, l’envoi de nouvelles troupes dans la capitale irakienne, un contingent de 3 000 ou 4 000 hommes devant prochainement rejoindre les 12 000 déjà présents. Et ils travaillent d’autre part activement à la formation d’un gouvernement local.

Pour la première fois depuis la chute du régime irakien, une réunion politique d’envergure a ainsi été organisée lundi à Bagdad. Elle a rassemblé environ 300 personnalités, notamment des militants politiques revenus de l’étranger, des chefs tribaux, des dignitaires religieux,… L’objectif de cette réunion placée sous les auspices du général en retraite Jay Garner, administrateur civil américain de l’Irak, était d’élaborer une future autorité gouvernementale. Au terme de sept heures de débat, les participants se sont engagés à se retrouver d’ici un mois pour tenir un «congrès général national» qui devrait définir les modalités d’un gouvernement intérimaire. S’ils n’ont pris aucun engagement précis, les participants ont en revanche largement insisté sur la nécessité d’organiser une conférence plus large réunissant toutes les composantes de la société irakienne. La réunion de Bagad comptait en effet plusieurs absents de marque, à commencer par Ahmed Chalabi, chef du Congrès national irakien (CNI), présenté avant la guerre par les Américains comme l’un des futurs dirigeants de l’Irak. Son nom avait notamment été proposé pour intégrer une direction collégiale irakienne, une formule qui avait été imaginée en février lors d’une réunion de l’opposition organisée dans le Kurdistan irakien à Salaheddine.

Le gouverneur auto-proclamé de Bagdad arrêté

A peine sortis de la réunion de Bagdad, certains participants n’ont pas hésité à agiter la menace d’un boycott de la prochaine conférence. C’est le cas de l’Assemblée suprême de la Révolution islamique en Irak (ASRII), un mouvement islamiste chiite affilié à Téhéran, qui ne comptait lundi que sur une délégation de bas niveau pour la représenter. Un semi-boycott en forme d’avertissement pour les Américains, comme l’a expliqué mardi le mollah Abou Ahmed, chef de l’ASRII dans la région de Bassorah. «Ils doivent respecter le désir du peuple irakien. L’avenir politique de l’Irak doit être entre les mains des membres du comité constitué en février à Salaheddine», a déclaré ce responsable de l’ASRII en faisant référence à l’accord selon lequel son mouvement obtiendrait l’un des six sièges de la direction collégiale du pays.

Les Américains vont donc devoir relever un défi périlleux au cours des semaines à venir, celui de réussir à réunir une assemblée qui soit la plus représentative possible de la population irakienne. La tâche s’annonce ardue car certaines personnalités irakiennes ne vont pas hésiter à s’arroger un pouvoir ou revendiquer une représentativité qu’ils ne possèdent pas. Cela a ainsi été récemment le cas à Bagad où un homme, Mohammed Mohsen Zoubeidi, s’est auto-proclamé d’un jour à l’autre gouverneur de la ville. Il était apparu le 13 avril au milieu d’un groupe de policiers et entendait alors remettre de l’ordre de la capitale, appelant pour cela les banques à lui verser de l’argent. Son «mandat» n’aura duré qu’une quinzaine de jours, des soldats américains procédant lundi à son arrestation. Leurs supérieurs ont expliqué que les efforts déployés par cet homme pour «profiter politiquement et personnellement de la période de transition du pouvoir en Irak» avaient amené les forces de la coalition américano-britannique «à prendre des décisions décisives contre lui».



par Olivier  Bras

Article publié le 29/04/2003