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Irak

La France propose de suspendre les sanctions

Créant la surprise au Conseil de sécurité, la France a proposé hier de suspendre les sanctions qui pèsent contre l'Irak, tout en gardant le pétrole irakien sous contrôle de l'ONU. La levée définitive des sanctions n'interviendrait qu'après le retour sur place des inspecteurs de l'ONU. Les Etats-Unis réservent leurs commentaires, mais ils préfèreraient une levée inconditionnelle des sanctions.
New York (Nations unies), de notre correspondant

La France a pris ses critiques à contre-pied en proposant hier de «suspendre immédiatement» l'embargo qui étouffe l'Irak depuis la première guerre du Golfe. Ces derniers jours, la presse américaine se déchaînait contre Paris et Moscou, accusés de prendre la levée des sanctions en otage, pour faire valoir des intérêts bassement commerciaux et forcer Washington à accorder un rôle important à l'ONU dans l'Irak d'après-guerre. Or, la mesure française aurait pour effet immédiat d'autoriser l'Irak à commercer librement avec le reste du monde. Seul l'achat de biens militaires serait toujours interdit.

«Il est important que le commerce puisse reprendre entièrement, avec toutes les facilités qui n'existent pas aujourd'hui», explique à RFI Jean-Marc de La Sablière, l'ambassadeur de France à l'ONU. «Commençons par suspendre immédiatement les sanctions et, entre-temps, le travail sur le désarmement irakien se fera. Le moment venu, on lèvera les sanctions», poursuit-il. Pour la France, cette levée définitive des sanctions ne sera possible que si les inspecteurs de l'ONU retournent en Irak pour attester de l'absence d'armes de destruction massive.

Pour débattre de cette question, l'ambassadeur français avait demandé au chef des inspecteurs de l'ONU, Hans Blix, de venir hier au Conseil de sécurité. «J'espère qu'il nous sera possible de retourner en Irak quand les conditions de sécurité seront réunies. Ce n'est pas le cas pour l'instant, mais je ne crois pas qu'on devrait attendre trop longtemps», explique Hans Blix à RFI. «Je pense que la communauté internationale et le Conseil de sécurité aimeraient avoir une inspection internationale», poursuit-il. Pourrait-il collaborer avec les milliers de soldats américains actuellement sur place, et occupés à trouver d'éventuelles armes de destruction massive ? «Je ne vois pas une relation d'adversaires entre nous. Je crois que nous pourrions nous compléter l'un l'autre», ajoute-t-il, tout en promettant de défendre son indépendance.

La question du pétrole n’est pas tranchée

La plupart des membres du Conseil de sécurité, y-compris la Grande-Bretagne, sont favorables à un retour des inspecteurs de l'ONU en Irak. Non pas cette fois pour rechercher les armes de destruction massives irakiennes, mais simplement pour authentifier les éventuelles trouvailles américano-britanniques. Seuls les Etats-Unis rejettent l'idée. «La coalition a assumé la responsabilité de désarmer l'Irak», a affirmé l'ambassadeur américain à l'ONU John Negroponte. «Pour l'instant et dans un futur prévisible, nous envisageons cela (le désarmement de l'Irak) comme étant une activité de la coalition», a-t-il ajouté. Washington renforce actuellement son propre processus d'inspection, n'hésitant pas à débaucher d'anciens inspecteurs de l'ONU, de nationalité américaine, britannique et australienne.

Visiblement pris de court, les Etats-Unis ne se sont pas prononcés sur la proposition française de suspension des sanctions. Publiquement, le président américain a demandé la levée des sanctions, et non leur suspension. Mais au Conseil de sécurité, les diplomates américains sont muets sur la question, et se refusent à établir de quelle façon ils entendent lever ces sanctions. «Personne n'a dit au Conseil qu'il fallait immédiatement lever les sanctions car tout le monde sait qu'il y a un lien entre cette levée et la certification du désarmement irakien», assure Jean-Marc de la Sablière, s'appuyant sur les résolutions passées de l'ONU.

La question de l'avenir du pétrole irakien n'est pas non plus tranchée. La France, tout en proposant la suspension des sanctions, prévoit de continuer à faire vivre le programme «pétrole contre nourriture», adopté en 1996 justement pour adoucir ces sanctions. En vertu de ce programme, l'argent du pétrole irakien est versé sur des comptes de l'ONU, qui s'en sert pour acheter des biens humanitaires. «Ce programme permet d'assurer la subsistance de la population irakienne. N'oublions pas que 60% des Irakiens en dépendent», insiste l'ambassadeur français. Ce programme prend normalement fin le 3 juin. Quid, après cette date, du pétrole irakien ? Les Etats-Unis voudraient en récupérer le contrôle, pour financer la reconstruction. Mais la France insiste pour que l'ONU continue à gérer l'or noir irakien. Cela permettrait de financer l'aide humanitaire, mais surtout de s'assurer que le pétrole soit géré de manière transparente, jusqu'à ce qu'une autorité irakienne légitime puisse prendre le relais.

«L'initiative française est intelligente», admet un officiel américain. En restant silencieuse, la France prenait le risque de se voir forcée de voter sur une résolution américaine se contentant de demander la levée des sanctions, sans contrepartie pour l'ONU. Politiquement, après avoir milité pendant des années pour la levée de ces sanctions contre l'Irak de Saddam Hussein, il aurait été très difficile de s'opposer à un tel texte. En reprenant l'initiative, les diplomates français montrent qu'ils ne s'opposent pas aux intérêts du peuple irakien, tout en continuant à réclamer le retour des inspecteurs et une forme de contrôle sur le pétrole. Reste à savoir comment les autres membres du Conseil de sécurité, et notamment la Russie, vont accueillir l'offre. La balle est aussi dans le camp de Washington, qui devra décider de faire ou non à son tour un pas en direction de la France.



par Philippe  Bolopion

Article publié le 23/04/2003