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Irak

Les voisins de l’Irak s’inquiètent

La chute du régime de Saddam Hussein et l’influence grandissante des Etats-Unis dans la région inquiètent les pays voisins de l’Irak. Réunis à vendredi à Ryad à l’initiative de l’Arabie saoudite, les chefs de la diplomatie de la Turquie, de l’Iran, de la Syrie, de la Jordanie et du Koweït ainsi que ceux de l’Egypte et du Bahreïn, dont le pays préside actuellement la Ligue arabe, souhaitent ainsi avoir leur mot à dire dans la mise en place d’un gouvernement représentatif en Irak. Une déclaration commune a été publiée à l’issue de cette rencontre réclamant également le départ des troupes américano-britanniques et apportant son soutien à Damas actuellement dans le collimateur des faucons de l’administration Bush. Mais il est très peu probable que ce texte puisse influer en quoique ce soit sur les événements en cours en Irak.
Trois mois après la rencontre d’Istanbul consacrée à trouver une solution pacifique à la crise irakienne, ce sont les mêmes pays qui se retrouvent aujourd’hui en Arabie saoudite pour discuter de l’après-Saddam. Et à l’image de ce qui s’est passé le 23 janvier dernier, il est probable que cette réunion n’aboutisse à rien d’autre qu’à une nouvelle déclaration de principe sans aucune réelle portée sur les événement actuellement en cours en Irak. Le directeur de l'Observatoire des pays Arabes, Antoine Basbous, qui qualifie cette rencontre de «réunion des inquiets», estime «normal que les pays de la région s’inquiètent de leur nouveau voisinage avec les Américains», aujourd’hui nouveaux maîtres de Bagdad. Il rappelle en effet qu’«à chaque fois qu’il y a eu une rupture du statu quo dans la région, ces pays se sont inquiétés du changement intervenu». Aujourd’hui leur inquiétude est d’autant plus justifiée que ce changement émane d’un acteur majeur sur la scène internationale, les Etats-Unis.

Officiellement les ministres réunis à Ryad se retrouvent pour tenter de favoriser la mise en place d’un gouvernement représentatif en Irak et accélérer le départ des forces de la coalition américano-britannique. En réalité chaque pays est animé par ses propres craintes quand à l’avenir qui se dessine sous la houlette des Etats-Unis. La première de ses inquiétudes, partagée par tous les Etats réunis en Arabie saoudite, concerne la possibilité que l’Irak soit effectivement divisé en trois régions, kurde, sunnite et chiite. Ce partage, aux yeux de ses voisins, en ferait un pays instable, dangereux pour l’équilibre de la région. Ces mêmes Etats veulent en outre s’assurer qu’aucun gouvernement fort en Irak ne viendra mettre en péril la stabilité de leur régime. Les pays du Golfe, avec à leur tête l’Arabie saoudite, s’inquiètent pour leur part de voir l’émergence d’un pouvoir chiite dans le sud de l’Irak qui mettraient en péril leur pouvoir sur le plan intérieur. Quand à la Turquie, elle voit d’un mauvais œil la confirmation d’une large autonomie aux populations kurdes irakiennes. «Les autorités turques, estiment Antoine Basbous, prennent pour prétexte la protection de la minorité turkmène qui ne représente que 1% de la population irakienne pour exercer des pressions et empêcher l’indépendance du Kurdistan qui pourrait réveiller les velléités indépendantistes des Kurdes de Turquie».

Une réunion destinée aux opinions publiques

Même l’Iran, qui devrait pourtant se réjouir de voir les chiites irakiens prendre enfin la place qui leur revient en Irak, n’est pas rassuré. Les autorités de Téhéran se sont certes réjouies de la chute du régime de Saddam Hussein contre lequel elles ont été en guerre huit ans durant. Elles se sont également félicitées des bombardements menés par les forces de la coalition contre des positions en Irak des Moudjahidin du peuple, les opposants les plus virulents au pouvoir des mollahs iraniens. Mais selon Antoine Basbous, Téhéran, qui n’oublie pas qu’il fait partie de l’«axe du mal» décrié par Washington, s’inquiète du fait que les chiites irakiens, plus modérés et plus proches de l’Occident, n’obtiennent une reconnaissance trop importante sur la scène internationale. «Le drame pour l’Iran serait que Najaf retrouve la place qui lui appartenait historiquement, devenant ainsi la concurrente directe de Qom et que le chiisme irakien ne fasse concurrence au chiisme iranien aujourd’hui en déclin», explique-t-il.

De tous les pays présents à Ryad, la Syrie est sans la plus encline à s’inquiéter dans l’immédiat. Cible privilégiée ces dernières semaines des faucons du Pentagone qui l’accusent de posséder des armes de destruction massive et d’héberger des personnalités du régime irakien déchu, elle compte sur le soutien de ses alliés de circonstances présents en Arabie saoudite. Mais il est peu probable, estime Antoine Basbous, qu’elle obtienne autre chose qu’une simple déclaration de soutien de principe. Or souligne-t-il, «les déclarations arabes ne valent rien du tout même pas le prix du papier et de l’encre utilisés». Il estime en outre que le rôle régional de Damas est aujourd’hui directement remis en cause puisque le régime syrien risque de subir de plein fouet les retombées de la chute de la dictature irakienne. «Damas voudrait, explique-t-il, que les pays arabes la soutiennent autrement que verbalement dans son bras de fer avec les Etats-Unis» qui le menace de sanctions diplomatique et économique.

Dans ce contexte, la réunion de Ryad semble avant tout destinée à rassurer les pays en présence. Et si la Turquie et l’Iran peuvent encore espérer jouer un rôle dans l’après-Saddam, les autres Etats ne sont là que pour tenter de montrer qu’ils sont vigilants quand à ce qui se prépare en Irak. Conscients du peu de poids qu’ils ont dans la pièce qui se joue actuellement à Bagdad et dont Washington assure la mise en scène, ils veulent sans doute tenter de neutraliser d’éventuels coups pouvant venir de leurs alliés de circonstances.



par Mounia  Daoudi

Article publié le 18/04/2003