Irak
Dans les tribus, l'ordre règne
A Ramadi, au coeur du pays sunnite, à une centaine de kilomètres au nord-ouest de Bagdad, les chefs tribaux Dleimi ont aujourd’hui tourné casaque. Même s’ils ont, par le passé, profité largement des largesses du régime de Saddam Hussein.
De notre envoyé spécial à Ramadi
Le rituel est ancestral. Dans le moudhif (la maison des hôtes), une cinquantaine de chefs tribaux ont pris place sur des bancs en rang serré. Revêtus de la jellaba traditionnelle et coiffés du keffieh à damiers blancs et rouges, ils discutent de la situation dans le gouvernorat et échangent les dernières nouvelles autour d’une tasse de café amer. Certains arborent des téléphones portables satellite, d’autre des kalachnikov et des cartouchières. Tous appartiennent à la puissante tribu des Dleimis, forte de plus de 750 000 âmes. Nous sommes à Ramadi, au coeur du pays sunnite, à une centaine de kilomètres au nord-ouest de Bagdad.
Le ventre rebondi et la moustache noire jais, Majid Abou Rizzak Ali Soliman est le chef du clan. C’est lui qui a négocié avec les Américains la reddition de la ville pour éviter un bain de sang. Il s’est porté garant personnellement de cet arrangement dans la plus pure tradition bédouine, celle où la parole donnée est sacrée. «Les Américains sont les bienvenus, lance-t-il. Nous n’avons aucun problème avec eux. Il faut même qu’ils restent en Irak jusqu’à la formation d’un gouvernement stable et que l’ordre revienne dans le pays». Les troupes américaines sont aujourd’hui cantonnées à la périphérie de l’agglomération.
Contrairement aux autres villes irakiennes et à Bagdad, il n’y a pas eu de pillages généralisés des administrations publiques. «Les valeurs traditionnelles et morales sont très fortes ici, explique le général Medhi Qassem, chef de la police de Ramadi. Les policiers ont continué leur travail sans rien changer à leurs habitudes, même pendant la guerre. Il n’y a pas eu de vide du pouvoir».
Mais surtout, les tribus ont participé au maintien de l’ordre en patrouillant avec les policiers. La machine administrative ne s’est pas interrompue et les fonctionnaires sont tous restés à leur poste. «Tout le monde dans la police appartient au parti Baas!» «, lance le général Medhi Qassem, lui-même baassiste. Les policiers continuent de percevoir leurs salaires, qui sont réglés par le gouvernorat. A Ramadi, rien ne semble avoir changé.
L'art d'évaluer les rapports de forces
Dix jours après la chute du régime, les portraits de Saddam Hussein étaient toujours là. Le raïs a longtemps bénéficié du soutien des tribus de Ramadi. En 1991, lors de l’Intifada chiite, le gouvernorat fut l’un des rares à rester fidèle au président. Les Dleimis ont fournit des dizaines de milliers de policiers, soldats et hommes du renseignement au régime de Saddam. En contre-partie de leur loyauté, ils ont été les chouchous du pouvoir, qui leur fournissait armes, pick-ups et privilèges.
Même s’ils ont profité largement des largesses du régime, les chefs tribaux Dleimi ont aujourd’hui tourné casaque. A l’évocation du nom de l’ancien président, ils froncent les sourcils: «Nous étions le pays des moukhabarats, les services de renseignement», lance Majid Abou Rizzak Ali Soliman. «Trente pour cent du budget de l’Etat était englouti par la sécurité. Les miettes allaient au peuple». Pas question pour autant d’abandonner les membres de la tribu, anciens cadres du régime et aujourd’hui en cavale. «Nous aidons ceux qui ne sont pas compromis dans la répression. Les gros poissons ou ceux qui ont du sang sur les mains ne peuvent trouver refuge chez nous, même s’ils sont Dleimis» , explique le chef du clan.
Pourtant, Saddam conserve des admirateurs qui ont laissé des graffitis à sa gloire dans la résidence des hôtes de son palais, «vive Saddam, le plus grand des leaders arabes!» peut-on lire sur les murs de la salle de réception. Mais les chefs tribaux, qui ont l’art d’évaluer les rapports de force, savent bien qu’il faut tourner la page pour se ménager une place dans l’Irak de l’après-Saddam.
«Nous sommes la colonne vertébrale du pays, lance sûr de lui Majid Abou Rizzak Ali Soliman. Les Dleimis ont participé à la fondation de l’Irak en 1921 et nous conserverons toujours notre pouvoir au sein de l’Etat irakien». Egrainant les perles de son chapelet, son voisin, Amer Abdel Jabar Al-Dleimi préfère s’en remettre au Tout Puissant: «L’avenir de l’Irak ? A la grâce d’Allah. Mais, j’espère que ça ira mieux demain».
Le rituel est ancestral. Dans le moudhif (la maison des hôtes), une cinquantaine de chefs tribaux ont pris place sur des bancs en rang serré. Revêtus de la jellaba traditionnelle et coiffés du keffieh à damiers blancs et rouges, ils discutent de la situation dans le gouvernorat et échangent les dernières nouvelles autour d’une tasse de café amer. Certains arborent des téléphones portables satellite, d’autre des kalachnikov et des cartouchières. Tous appartiennent à la puissante tribu des Dleimis, forte de plus de 750 000 âmes. Nous sommes à Ramadi, au coeur du pays sunnite, à une centaine de kilomètres au nord-ouest de Bagdad.
Le ventre rebondi et la moustache noire jais, Majid Abou Rizzak Ali Soliman est le chef du clan. C’est lui qui a négocié avec les Américains la reddition de la ville pour éviter un bain de sang. Il s’est porté garant personnellement de cet arrangement dans la plus pure tradition bédouine, celle où la parole donnée est sacrée. «Les Américains sont les bienvenus, lance-t-il. Nous n’avons aucun problème avec eux. Il faut même qu’ils restent en Irak jusqu’à la formation d’un gouvernement stable et que l’ordre revienne dans le pays». Les troupes américaines sont aujourd’hui cantonnées à la périphérie de l’agglomération.
Contrairement aux autres villes irakiennes et à Bagdad, il n’y a pas eu de pillages généralisés des administrations publiques. «Les valeurs traditionnelles et morales sont très fortes ici, explique le général Medhi Qassem, chef de la police de Ramadi. Les policiers ont continué leur travail sans rien changer à leurs habitudes, même pendant la guerre. Il n’y a pas eu de vide du pouvoir».
Mais surtout, les tribus ont participé au maintien de l’ordre en patrouillant avec les policiers. La machine administrative ne s’est pas interrompue et les fonctionnaires sont tous restés à leur poste. «Tout le monde dans la police appartient au parti Baas!» «, lance le général Medhi Qassem, lui-même baassiste. Les policiers continuent de percevoir leurs salaires, qui sont réglés par le gouvernorat. A Ramadi, rien ne semble avoir changé.
L'art d'évaluer les rapports de forces
Dix jours après la chute du régime, les portraits de Saddam Hussein étaient toujours là. Le raïs a longtemps bénéficié du soutien des tribus de Ramadi. En 1991, lors de l’Intifada chiite, le gouvernorat fut l’un des rares à rester fidèle au président. Les Dleimis ont fournit des dizaines de milliers de policiers, soldats et hommes du renseignement au régime de Saddam. En contre-partie de leur loyauté, ils ont été les chouchous du pouvoir, qui leur fournissait armes, pick-ups et privilèges.
Même s’ils ont profité largement des largesses du régime, les chefs tribaux Dleimi ont aujourd’hui tourné casaque. A l’évocation du nom de l’ancien président, ils froncent les sourcils: «Nous étions le pays des moukhabarats, les services de renseignement», lance Majid Abou Rizzak Ali Soliman. «Trente pour cent du budget de l’Etat était englouti par la sécurité. Les miettes allaient au peuple». Pas question pour autant d’abandonner les membres de la tribu, anciens cadres du régime et aujourd’hui en cavale. «Nous aidons ceux qui ne sont pas compromis dans la répression. Les gros poissons ou ceux qui ont du sang sur les mains ne peuvent trouver refuge chez nous, même s’ils sont Dleimis» , explique le chef du clan.
Pourtant, Saddam conserve des admirateurs qui ont laissé des graffitis à sa gloire dans la résidence des hôtes de son palais, «vive Saddam, le plus grand des leaders arabes!» peut-on lire sur les murs de la salle de réception. Mais les chefs tribaux, qui ont l’art d’évaluer les rapports de force, savent bien qu’il faut tourner la page pour se ménager une place dans l’Irak de l’après-Saddam.
«Nous sommes la colonne vertébrale du pays, lance sûr de lui Majid Abou Rizzak Ali Soliman. Les Dleimis ont participé à la fondation de l’Irak en 1921 et nous conserverons toujours notre pouvoir au sein de l’Etat irakien». Egrainant les perles de son chapelet, son voisin, Amer Abdel Jabar Al-Dleimi préfère s’en remettre au Tout Puissant: «L’avenir de l’Irak ? A la grâce d’Allah. Mais, j’espère que ça ira mieux demain».
par Christian Chesnot
Article publié le 27/04/2003