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Proche-Orient

Les colons contre la Feuille de route

Les dirigeants des colonies refusent de geler la construction dans les implantations pour le salut du plan de paix. A Beit El, près de Ramallah, ils sont prêts à défier une nouvelle fois les pressions de la communauté internationale.
De notre correspondant dans les Territoires palestiniens

Des villas et des pavillons aux toits rouge disséminés au sommet d’une colline. Des ruelles fleuries reliées par des rond-points bien dessinés. Un terrain de hand ball et une station d’arrêt de bus vitré. Implanté au nord de Ramallah, la colonie de Beit El est un immense lotissement à l’occidental bâti au milieu des oliviers palestiniens. Fondé en 1977 autour d’une douzaine de caravanes, elle compte aujourd’hui 5 000 habitants, à majorité orthodoxe. Ceux-ci estiment être revenus sur la terre de leur ancêtre, le site d’une antique capitale du royaume d’Israël. Mais au regard du droit international, Beit El, comme toutes les colonies bâties dans les Territoires occupés, est considérée comme une saisie de terre illégale.

Dans les bureaux du Conseil local, l’équivalent de la mairie, le secrétaire général David Chaouat fulmine contre la Feuille de route, le nouveau plan de paix international que Colin Powell, le secrétaire d’Etat américain, est venu promouvoir le week-end dernier. «C’est la feuille de route des Palestiniens, raille-t-il. Manifestement elle a été très bien écrite. Ce matin encore (le dimanche 10 juin, ndlr), un Israélien a été assassiné, on en a eu un autre la semaine dernière. Ca ne pouvait pas mieux commencer».

Le texte imaginé par le Quartette (États-Unis, Union européenne, Russie et Nations unies) suscite un mélange de peur et de colère chez les colons. Fin avril, le conseil du Yesha, qui représente toutes les implantations de Cisjordanie et de Gaza, s’est réuni à huis clos pour analyser ses implications. Le résultat du débat, rapporté par le quotidien israélien Haaretz, est sans nuance. «C’est un véritable tremblement de terre, dit Aryeh Eldad, un député du parti d’extrême-droite Union Nationale. «Je ne pensais pas que Sharon serait pire que Barak» renchérit Shaul Goldstein, président du Conseil régional du Gush Etzion, un bloc de colonies au sud de Jérusalem. En fait, il est mille fois pire que tous ses prédécesseurs. C’est la première fois qu’un Premier ministre israélien donne son accord sur trois points cruciaux : geler la construction dans les colonies, évacuer les avant-postes et permettre la création d’un État palestinien». La conclusion de la réunion s’est imposée d’elle-même : «bloquer la feuille de route.», dit le porte-parole du Conseil du Yesha.

L’interview choc d’Ariel Sharon

A Beit El, la Feuille de route a pris un tour encore plus dramatique depuis qu’Ariel Sharon a cité le nom de la colonie parmi trois localités susceptibles d’être évacuées dans le cadre d’un accord de paix. C’était le 13 avril dernier dans une interview à Haaretz. «J’ai senti une terrible souffrance, raconte Benny Elon, le ministre du Tourisme (Union Nationale) qui habite ici. J’ai dit aux autres que nous allions combattre Sharon de toute notre force». Et de fait, sitôt l’émoi retombé, la foi des colons a repris le dessus. Dans le mois qui a suivi «la bénédiction» du Premier ministre, 15 nouvelles maisons ont trouvé preneur selon David Chaouat. «C’est une réaction spontanée. Dès que l’on touche à un berceau du peuple juif, les gens se mobilisent». Actuellement, 50 maisons sont en construction et une centaine de chantiers sont programmés pour les deux mois qui viennent. «Il y a vingt-cinq ans, il n’y avait presque aucun Israélien en Judée et Samarie (le nom biblique de la Cisjordanie, ndlr). Aujourd’hui nous sommes 250 000. Nous avons survécu à tous les plans de paix. Alors la Feuille de route ne me fait pas peur».

Comment obtenir un retour au calme si les Israéliens ne font pas un geste ? «On peut trouver des mesures incitatives, mais le gel de la construction est une mauvaise idée, dit David Shapira, un étudiant en histoire. D’une part parce qu’on ne peut pas empêcher une ville de croître, c’est un processus naturel. Et puis parce que cela reviendrait à récompenser le terrorisme. Sharon a fait toutes les guerres d’Israël. Il devrait savoir que pour négocier la paix, il faut arriver en force». David Chaouat est encore plus ferme : «Je ne comprends pas pourquoi les Etats-Unis refusent de nous laisser employer les méthodes qu’eux-mêmes utilisent dans la lutte contre le terrorisme. J’aimerais qu’ils m’expliquent la différence entre une bombe dans un bus à Tel Aviv et une bombe dans un gratte-ciel à New York. Ne voient-ils pas que nous menons la même guerre» ? Le secrétaire général de Beit El est prêt à surmonter les pressions sur la Feuille de route : «Quand on rentre à la maison, on reste à la maison. Beit El appartient au peuple juif. Point final».



par Benjamin  Barthe

Article publié le 15/05/2003