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Irak

Armes de destruction massive : réalité ou prétexte ?

Plusieurs responsables de l'administration Bush s'efforcent de détourner l'attention d'un fait qui commence à semer le malaise dans la presse et les milieux politiques américains : après sept semaines d'intenses recherches, aucune arme de destruction massive n'a été trouvée en Irak.
De notre correspondant à New York

Après avoir assuré au monde que l'Irak était doté d'armes de destruction massives éminemment dangereuses, l'administration Bush s'efforce ces derniers jours de calmer les attentes de l'opinion publique mondiale. Malgré deux mois de recherches frénétiques, les troupes américaines n'ont pas pu mettre la main sur la moindre trace d'arme biologique, chimique ou nucléaire. Pour l'heure, seuls deux laboratoires mobiles ont été trouvés, dont des spécialistes anonymes de la CIA assurent qu'ils avaient probablement pour objet de produire des armes biologiques. Ils admettent toutefois manquer de preuves irréfutables, dans la mesure où aucune trace d'agent mortel n'a été révélée par les analyses.

Face au Council on Foreign relations, à New York, le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld a admis qu'il était possible que les Irakiens aient détruit leurs armes de destruction massive avant la guerre. Une hypothèse également développée ces dernières semaines par plusieurs officiels de l'administration Bush se répandant anonymement dans la presse. Certains soulèvent également la possibilité que lesdites armes aient été déplacées en Syrie. D'autres évoquent de possibles caches, enterrées sous des montagnes, perdues à jamais. Certains proches de Rumsfeld vont jusqu'à assurer que l'Irak avait en fait détruit toutes ses armes au début des années 1990, mais que Saddam Hussein a volontairement mené une campagne de désinformation pour intimider ses ennemis. Un autre influent dirigeant du Pentagone, Douglas Feith, a pour sa part assuré le Congrès la semaine dernière que le processus de recherche des armes irakiennes prendrait «des mois, peut-être des années».

Dans une interview au magazine Vanity Fair, le numéro deux du Pentagone, Paul Wolfowitz, a fait preuve de la même désarmante candeur que son mentor, en avouant implicitement que les supposées armes de destruction irakiennes avaient servi de prétexte. «Pour des raisons bureaucratiques, nous nous sommes entendus sur une question, les armes de destruction massive, parce que c'était la seule raison sur laquelle tout le monde pouvait tomber d'accord», a-t-il confié, avouant plus loin que l'objectif réel était de remodeler la donne politique dans la région. Interrogé par le Washington Post, il a précisé sa pensée. «La question des armes de destruction massive n'a jamais été controversée», a-t-il expliqué, «alors qu'il y a eu beaucoup de disputes dans un sens et dans l'autre sur la question de savoir si l'Irak était impliqué dans le terrorisme».
Même si certains ténors de l'administration américaine assurent que les troupes US finiront par trouver le «smoking gun», l'intention semble claire : les armes de destruction massive ont servi à justifier la guerre, oublions-les, car la libération d'un peuple opprimé légitime après-coup l'opération.

En Grande-Bretagne, ce changement d'argumentaire a semé la consternation. La polémique est alimentée par des informations de la BBC selon lesquelles un dossier du gouvernement britannique sur les armes irakiennes a été réécrit de façon à le rendre «plus sexy». Ce dossier assurait notamment que l'Irak pouvait activer ses armes biologiques et chimiques en 45 minutes. Selon un officiel britannique interrogé par la BBC, cette information a été rajoutée alors que les spécialistes ne la jugeaient pas crédible. De son côté, Tony Blair affiche toujours la certitude résolue que les armes de destruction massive irakiennes seront trouvées une fois que les scientifiques irakiens auront parlé.

«Délibérément induit en erreur

Aux Etats-Unis, les questions de la presse se font de plus en plus pressantes, même si l'opinion publique ne s'est pas encore emparée de la controverse. Le Congrès commence toutefois à se poser des questions. La Chambre des représentants et le Sénat demandent des explications sur les sources de renseignement qui ont conduit l'administration à instruire un dossier à charge contre l'Irak. Sur NBC, le sénateur démocrate John Rockefeller IV a mis en doute le dossier monté par la Maison Blanche en affirmant que ses locataires «avaient peut-être surestimé» la menace irakienne. «Le battage (hype) extensif de l'équipe Bush sur les armes de destruction massives en Iraq, en tant que justification pour une invasion préventive, est devenue plus qu'embarrassante», a déclaré le sénateur démocrate Robert Byrd. «Cela a soulevé de sérieuses questions sur les faux-fuyants et l'usage irréfléchi de la puissance. Nos troupes ont-elles été mises en danger sans raison ? Un nombre incalculable de civils ont-ils été tués et mutilés alors que la guerre n'était pas réellement nécessaire ? Le public américain a-t-il été délibérément induit en erreur ? En est-il de même du monde ?», a-t-il ajouté. Les ténors démocrates, et notamment les candidats à la présidence, se montrent de leur côté prudents.

Curieusement, il semblerait qu'à la demande du Pentagone la CIA ait commencé à réévaluer ses informations sur les armes irakiennes. La nouvelle est surprenante dans la mesure où des voix se sont élevées avant-guerre pour dénoncer les pressions que Donald Rumsfeld aurait fait subir à la CIA pour encourager l'agence à fournir des indices d'armes de destruction massive en Irak, et de liens entre Saddam Hussein et Al-Qaïda. C'est justement parce qu'il n'était pas content du travail de la CIA sur ces questions que le secrétaire à la Défense avait créé l'an dernier son propre service de renseignement. Quoi qu'il en soit, sur le terrain, les spécialistes américains de la recherche d'armes biologiques chimiques ou nucléaires ne cachent plus leur frustration face à la mauvaise qualité des renseignements qui leur ont été fournis.

Et, pour l'instant, les officiels irakiens sous les verrous continuent de nier l'existence de programmes d'armes de destruction massive. Une nouvelle équipe américaine renforcée va arriver en Irak, avec pour mission de trouver les fameuses armes. Mais les Etats-Unis refusent obstinément toute forme de contrôle indépendant sur cette quête, et le retour des inspecteurs de l'ONU n'est même plus à l'ordre du jour. Seuls des inspecteurs de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) vont retourner sur place avec pour mission très limitée de sécuriser le centre de recherche nucléaire de Tuwaitha, à 50 kilomètres de Bagdad, dont les installations ont été pillées, faisant dire à certains commentateurs américains qu'au lieu de neutraliser les armes de destruction massive irakiennes, les Etats-Unis ont peut-être contribué à leur prolifération.



par Philippe  Bolopion

Article publié le 30/05/2003