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Congo démocratique

La France prête à intervenir à Bunia

Le Conseil de sécurité de l'ONU pourrait voter dès vendredi une résolution autorisant le déploiement à Bunia, dans le nord-est de la RDC, d'une force de réaction rapide devant mettre un terme aux massacres ethniques. La France dirigerait cette force multinationale d'environ un millier d'hommes dont les premiers éléments pourraient arriver sur place la semaine prochaine.
De notre correspondant à New York (Nations unies)

La France prend la direction des opérations. Dans un projet de résolution déposé hier au Conseil de sécurité de l'ONU, Paris propose de diriger une force de réaction rapide destinée à sécuriser la ville de Bunia, théâtre ces dernières semaines de massacres à caractère politico-ethnique entre Lendus et Hémas. «Les autorités françaises ont décidé ce matin de répondre favorablement à la demande du secrétaire général de l'ONU, dès lors que les conditions mises à une telle participation sont bien réunies» a déclaré hier au Conseil de sécurité l'ambassadeur français Jean-Marc de la Sablière. Une des principales conditions préalables au dépôt de ce texte était l'accord des pays de la région, et notamment du gouvernement congolais, mais surtout de l'Ouganda et du Rwanda, qui ont dû exprimer leur soutien par écrit.

La France ne souhaite pas non plus se retrouver seule pour cette mission, et réclame la participation d'autres pays. Le Pakistan, l'Afrique du sud et le Nigeria pourraient accepter d'envoyer des troupes. D'autres pays, comme la Belgique ou la Grande-Bretagne pourraient contribuer de manière financière et logistique. Une «réunion de génération de troupes» doit se tenir vendredi à New York pour préciser les contours de la nouvelle force, baptisée «Force multinationale intérimaire d'urgence à Bunia». Avant de prendre la tête de cette coalition, la France exige la définition d'un mandat précis, endossé par l'ONU. Selon Jean-Marc de la Sablière, il s'agira de «contribuer à la stabilisation de la situation sécuritaire et humanitaire à Bunia, d'assurer la protection de l'aéroport et des réfugiés dans les camps à Bunia, et de participer, si la situation l'exige, à la protection de la population en ville.»

Le projet de résolution français requiert également que cette force bénéficie d'un mandat sous chapitre 7, qui l'autorise à utiliser la force, de manière offensive au besoin, et pas seulement en situation de légitime défense. Il est également demandé aux pays du Conseil de sécurité d'exiger de toutes les parties de la région qu'elles coopèrent totalement avec la nouvelle coalition dans l'exécution de son mandat et qu'elles lui assurent une pleine liberté de mouvement et d'action -une façon diplomatique de pousser Londres et Washington à mettre la pression sur le Rwanda et l'Ouganda pour faire cesser toute ingérence néfaste dans les affaires congolaises. De peur de s'enliser dans un conflit particulièrement complexe, les Français souhaitent limiter dans le temps leur intervention. «La force multinationale prendra fin le 1er septembre prochain, et cette date sera inscrite dans la résolution, a expliqué Jean-Marc de la Sablière. Le dernier militaire de la force aura donc quitté Bunia à cette date. Il faudra par conséquent que la MONUC (mission de l'ONU au Congo démocratique) ait pu y déployer son contingent à cette échéance: c'est l'indispensable «exit strategy» sans laquelle cette force ne saurait être déployée».

Un paysage apocalyptique à Bunia

La France est prête à aller de l'avant très vite, et à envoyer sur place les premiers éléments dès la semaine prochaine. Une des difficultés est purement logistique. La piste de l'aérodrome de Bunia est dans un état lamentable et nécessite de sérieux travaux pour permettre un déploiement rapide. Il faudra avant cela que le Conseil de sécurité adopte le texte français dès vendredi. «Notre disponibilité est grande, la réalisation de ce projet dépend de la poursuite des efforts de tous» a prévenu Jean-Marc de la Sablière. «Le projet de résolution devrait passer sans problème» assure pour sa part un diplomate du Conseil.

Paris a le soutien des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, qui sur ce dossier mettent entre parenthèses les acrimonies irakiennes. «Notre espoir est que le projet de résolution sera adopté d'ici 24 à 48 heures, et que dans les deux à trois jours qui suivront, des hommes seront sur le terrain» a déclaré Richard Williamson, ambassadeur américain adjoint à l'ONU. «Les présidents Museveni (Ouganda) et Kagame (Rwanda) soutiennent cela. Ils ont leurs propres préoccupations, mais l'important maintenant n'est pas de rejouer les combats de ces quatre dernières années de guerre civile et de zizanie de neuf pays qui ont eu des troupes au Congo à un moment ou à un autre. Le but est de mettre fin aux atrocités qui se déroulent» a-t-il ajouté.

L'offre française intervient alors que la situation sur place reste très volatile. Des combats entre l'Union des patriotes congolais (UPC, le groupe armé à dominante Héma, le plus actif dans la région et qui a pris Bunia le 12 mai dernier) et le Front de résistance patriotique de l'Ituri (FRPI son adversaire Lendu, branche armée des Forces nationalistes et intégrationnistes (FNI)) ont éclaté dans le secteur de Kindia dans le Sud de l'Ituri et auraient fait des victimes de part et d'autre. «Bunia ressemble à une ville fantôme» a affirmé hier Carolyn McAskie, Coordonnatrice adjointe de l'ONU pour les secours d'urgence, de retour d'une visite chaotique sur place où son convoi a été pris dans des tirs d'armes automatiques.

Elle a décrit un paysage apocalyptique: des femmes et des enfants amputés, des corps découpés en petits morceaux. Selon elle, les quelque 20 000 personnes qui ont trouvé refuge dans les installations de la mission de l'ONU (Monuc) vivent dans des conditions particulièrement inhumaines. Près de 400 personnes auraient été tuées ces dix derniers jours. «Le bataillon de 700 hommes de la Monuc chargés d'assurer la sécurité n'est pas assez important» a-t-elle affirmé. Elle s'est refusée à comparer ces atrocités à l'ampleur du génocide rwandais, mais selon elle, les haines ethniques sont attisées par des leaders locaux désireux de contrôler les importantes ressources naturelles de la région. «La vision de villageois qui s'attaquent à la machette déclenchent dans nos têtes une alarme» explique-t-elle, ajoutant que ce conflit manifeste malgré tout un caractère génocidaire.



par Philippe  Bolopion

Article publié le 29/05/2003