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Congo démocratique

L’impotence onusienne ramène les soldats français au Congo

L’attention internationale se focalise sur l’Ituri avec l’envoi d’une force militaire sous commandement français. Cette intervention est commanditée par l’Onu pour «pacifier» l’Ituri, après les combats qui se sont soldés à Bunia par la victoire d’un adversaire du régime Kabila. Perçue comme un atout par les alliés de Kinshasa, l’opération dérange au contraire ses adversaires, au moment où se précise la mise en route des installations de transition. La nouvelle force est autorisée à recourir aux armes, de manière offensive, contrairement à la Mission des Nations unies au Congo (Monuc), dont le mandat expire le 30 juin 2003. Or, pour sa part, la Monuc butte sur l’essentiel de sa mission et en particulier sur le désarmement des forces rwandaises passées au Congo, avec armes et bagages, après le génocide de 1994. Ces «rebelles rwandais» ont commencé à remplir le vide laissé par le départ des troupes de Kigali fin 2002. L’option du «désarmement volontaire» retenue par l’ONU s’avère inopérante. Dans l’Est congolais, le «casus belli» rwandais reste entier.
La Monuc a jeté l’éponge en Ituri lorsque les combats ont repris, après le départ des troupes ougandaises (24-26 avril 2003), au profit d’un groupe armé local entré dans l’alliance rwandaise. La Monuc a invoqué l’insuffisance de ses troupes sur place (700 soldats uruguayens), leur manque d’entraînement et d’équipement et surtout l’insuffisance de son mandat. La France a relevé le gant, avec le commandement d’une «force multinationale intérimaire d’urgence à Bunia» (résolution 1484 du 30 mai). Son terme échoit le 1er septembre, date à laquelle la Monuc espère avoir reçu un renfort de 1 200 casques bleus bangladais à Bunia, où ils sont attendus à la mi-août. A défaut de casques ou de bérets bleus onusiens, la force intérimaire sera dotée d’un mandat offensif (sous chapitre VII de la charte onusienne). Elle devrait compter «1 400 hommes dont 700 Français». Ces derniers pourraient commencer à se déployer «en milieu de semaine prochaine», indique la ministre française de la Défense, Michèle Alliot-Marie, en expliquant que «la force devra faire face à des groupes très bien équipés, notamment en missiles sol-air et en blindés». Elle devra notamment protéger l’aéroport et les camps de réfugiés de Bunia et «participer si la situation l’exige, à la protection de la population en ville».

Les projecteurs internationaux sont braqués sur l’Ituri où les massacres à répétition ont soulevé une émotion légitime. De fait, tous les ingrédients locaux et régionaux sont réunis dans ce «Far East» congolais pour remettre le feu aux poudres, entre Congolais, mais aussi entre Rwandais et Ougandais et entre ces derniers et Kinshasa. Car derrière les lignes de front cartographiées par l’Onu, qui délimitent les «territoires» respectifs du régime Kabila et de ses adversaires, l’Ituri est à la croisée de zones d’influence rwandaises, ougandaises et congolaises mais aussi à la charnière de régions dont plusieurs groupes armés, alliés ou adversaires de Kinshasa, se disputent le contrôle. Sur son flanc sud, le RCD-ML-K de Mbusa Nyamwisi a déjà placé un large triangle dans la corbeille de son mariage avec Kinshasa. C’est une épine dans la vaste zone «contrôlée» par l’indéfectible allié du Rwanda, le RCD-Goma, solidement implanté dans les deux Kivu. Le RCD-Goma est quand même parvenu à lancer une tentacule par dessus son adversaire Mbusa Nyamwisi, en janvier dernier, en faisant alliance avec le dernier conquérant en date (le 13 mai dernier) de Bunia (chef-lieu de l’Ituri), l’Union des patriotes du Congo, l’UPC de Thomas Lubanga.

Au nord-ouest de l’Ituri, le Mouvement de libération congolais (MLC) de Jean-Pierre Bemba a plusieurs fois tenté en vain de mettre la main sur Bunia, directement, ou par groupuscules interposés. Le retrait militaire de son allié ougandais (24-26 avril dernier) l’amène sans doute à passer son tour pendant que Kampala appuie l’intervention militaire française. L’aéroport de la capitale ougandaise, Entebbe va servir de base arrière au débarquement français. Sûrement pas de quoi enthousiasmer Kigali dont le poulain local, Thomas Lubanga va se trouver bien isolé à Bunia. Au total, ce chassé-croisé d’alliances ou d’animosité alimente bien sûr un risque réel de voir des combats reprendre pour le plus grand malheur des populations locales qui en sont régulièrement les premières victimes. Mais l’enjeu est plus vaste.

Kigali étouffe ses appréhensions sous la couverture internationale

D’un point de vue international, la priorité au Congo, c’est la mise en place des institutions de transition issues du partage du pouvoir décidé à Sun City en avril dernier. Leur fonctionnement minimal permettrait notamment de renvoyer aux Congolais la responsabilité de la sécurisation de leur territoire. Concernant l’Ituri justement, des accords impliquant Kampala, Kinshasa et les groupes armés locaux ont déjà donné le jour à une «Commission de pacification». Mais surtout, ils ont instauré depuis mars dernier une administration provisoire qui ramène de fait la province dans le giron de Kinshasa. Ce n’est pas vraiment la stratégie de l’UPC même s’il vient de s’engager à son tour dans un cessez-le-feu, qui lui concède des quartiers à Bunia. Et c’est évidemment d’une manière bien différente de ses nouveaux partenaires qu’il considère la question de l’administration de l’Ituri : un fief pour l’UPC, une pièce du puzzle démonté de l’intégrité territoriale du Congo pour la plupart de ses adversaires locaux. En dehors de la répression éventuelle de soudards accrochés à leurs fusils-gagne-pain, la nouvelle force internationale va peser sur cet enjeu. Associant Kampala, elle colle en revanche une image de danger potentiel à Kigali et ses alliés.

Après avoir suggéré que le retour de militaires français dans la région n’était pas une bonne idée, Kigali a étouffé ses appréhensions sous la couverture internationale de la force. Mais le 7 avril dernier, le président Kagame a commémoré le génocide de 1994 en rappelant qu’il n’hésiterait pas à renvoyer ses troupes au Congo si la menace d’une armée adverse – celle des vaincus de 1994 – n’étaient pas levée, conformément à l’accord de cessez-le-feu conclu le 10 juillet 1999 à Lusaka entre Kinshasa, ses alliés (Angola, Namibie, Zimbabwe) et ses adversaires (Ouganda, Rwanda), mais aussi en vertu de l’accord bilatéral signé à Pretoria avec Kinshasa le 30 juillet 2002. Ce dernier accord dressait un calendrier de retrait des troupes rwandaises du Congo. La Monuc a confirmé le 5 octobre 2002 le départ de 20 941 soldats rwandais. Mais l’accord de Pretoria prévoyait un calendrier concomitant de 90 jours (prolongés jusqu’en février dernier) au cours duquel le gouvernement congolais devait procéder au désarmement de ses supplétifs rebelles rwandais. Le tout paraît s’être soldé par un redéploiement des «rebelles» rwandais, hors de la zone de contrôle gouvernementale et en particulier dans les deux Kivu congolais, au sud de l’Ituri.

L’accord de Lusaka confiait à la Monuc mission de «désarmement, démobilisation, rapatriement, réinstallation et réintégration» des rebelles rwandais, un programme dit «DDRRR» officiellement lancé le 9 novembre 2001. Selon l’organisation International Crisis Group (rapport du 23 mai 2003), ils seraient «un minimum de 15 000 hommes, aguerris par plus de huit ans de combats». Selon ICG, ils se seraient solidement restructurés autour d’un noyau de militaires de l’ancien régime rwandais et engagés dans une alliance politique avec l’opposition en exil, une diaspora intercommunautaire exigeant des négociations inter rwandaises. Celles-ci n’étant pas à l’ordre du jour de Kigali, ils seraient en train de se remettre en ordre de bataille.

Au 7 février dernier, la Monuc n’avait effectivement rapatrié que 850 ex-combattants rwandais et civils dépendants, et cela très difficilement, après une bataille rangée à Kamina et la fuite de nombre de candidats potentiels au retour. Aujourd’hui, le «désarmement volontaire» assigné à la Monuc apparaît comme une vue de l’esprit. Mais la solution militaire tentée par Kigali n’a pas non plus résolu la question même si l’infiltration rebelle a été d’autant mieux repoussée que la population locale – toutes communautés confondues – n’a pas cédé à ses sirènes. Faute de pouvoir le régler, la Monuc envisage peut-être de transférer le problème aux futurs responsables congolais de la sécurité nationale par exemple. Mais leur mise en place dépend aussi largement de la tournure des événements dans l’Est congolais, bien au delà de l’Ituri. La quadrature du cercle.



par Monique  Mas

Article publié le 31/05/2003