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Syrie

La dernière citadelle du Baas

Après le téléphone portable, l´Internet et les distributeurs automatiques de billets de banque, les Syriens découvrent depuis peu les joies des «greens», des «puts» et des «swings». A sa manière, le golf de Damas incarne la nouvelle Syrie de Bachar Al-Assad. Mais à l´instar des aléas de l´ouverture politique et économique, ce dix-huit trous planté de palmiers et parsemé de parterres de fleurs peine à trouver sa clientèle. Inauguré il y a un an et demi, le club ne compte pour le moment que 150 abonnés réguliers.
De notre envoyé spécial à Damas

Dans cette Syrie encore dominée par l´idéologie socialiste du parti Baas, le golf est un sport neuf qui démarre. «Comme pour les réformes, affirme Adib Mardam-Bey, le directeur général, il nous faudra encore un peu de temps pour atteindre notre objectif de six cent membres». Pour l´instant, quelques privilégiés appartenant à la bourgeoisie ou à la communauté expatriée arpentent cette oasis de verdure d´où l´on aperçoit les neiges du plateau du Golan. Il faut dire que le tarif de l´abonnement n´est pas à la portée de toutes les bourses : 3 000 euros pour devenir membres auxquels s´ajoutent 1 700 euros de cotisation annuelle.

Comme un pied de nez à l´Histoire, le club de golf a été construit juste à côté du palais des Congrès qui accueille les grandes réunions du Baas, comme celle qui, en juin 2000 intronisa Bachar Al-Assad à la tête du parti. Ce voisinage très symbolique résume bien les contradictions de la Syrie : comment s´ouvrir économiquement et politiquement avec un parti Baas tentaculaire, dont l´article 8 de la Constitution lui accorde le «rôle dirigeant dans l´Etat et la société» ?

Après la chute du régime baassiste à Bagdad, le pouvoir à Damas est à la croisée des chemins. «Les autorités syriennes ont bien compris le message américain, c’est le parti Baas qui est aujourd´hui visé», analyse un diplomate. Le mouvement revendique plus d´un million et demi de membres. «Depuis deux ans, explique un journaliste local, tous les échelons du parti, à l’exception du commandement régional (Quiyadat Al-Qoutriyeh) ont été renouvelés à 95%, d´abord par des nominations puis par des élections internes».

A l’occasion de cette cure de jouvence encouragée par Bachar Al-Assad, les débats ont été virulents. Empétrée dans ses archaïsmes idéologiques et stratégiques, la direction du parti s´est retrouvée en porte-à-faux avec une base qui réclamait, elle, des améliorations concrètes dans la vie quotidienne (emploi, salaire, logement, éducation, santé, etc.) et moins de beaux discours.

Le pouvoir syrien a retenu la leçon irakienne : il a encouragé le débat public sur les réformes afin de couper l’herbe sous les pieds des Américains qui pourraient utiliser le mécontentement de la rue pour déstabiliser le régime. En clair, Damas redoute que les États-Unis jouent le peuple contre le pouvoir, comme ce fut le cas en Irak.

Timide ouverture

Déjà des petits signes montrent une certaine évolution. En avril dernier dans un éditorial remarqué, Mehdi Al-Dahlala, le rédacteur en chef du journal Al-Baas, lançait un appel au changement des méthodes du pouvoir, car «ne pas avancer, c´est reculer et finalement mourir». «Nous progressons pas à pas après mûre réflexion, explique-t-il, car nous voulons maîtriser les évolutions. Il n’y a pas d’obstacles idéologiques au changement mais plutôt psychologiques. Il y a aussi des intérêts politiques et financiers de certains groupes dans l’appareil d’Etat qui freinent les réformes».

Symboliquement, les autorités envisagent de supprimer l´uniforme vert olive dans les écoles primaires et secondaires ainsi que de diminuer les cours d´instruction militaire au lycée et à l´université. Le Baas a aussi autorisé récemment les six autres partis qui forment le Front National Progressiste (la coalition au pouvoir, ndlr) à militer au sein de l’université. Une première. Bachar Al-Assad a même ordonné la création d’une nouvelle faculté de sciences politiques qui ne relève pas du parti Baas.

Ces petits signes d´ouverture sont-ils le prélude à une libéralisation plus nette du régime ? Beaucoup sont sceptiques à Damas. Pour Michel Kilo, écrivain et membre de l´opposition, «le système syrien n´est pas réformable. Tout vient d’en haut et redescend vers la base. Il repose sur un équilibre fragile fondé sur la répartition de la richesse nationale à certains clans et sur les services de sécurité. Pour survivre, le régime va devoir changer mais c´est trop tard».

A court terme, Bachar Al-Assad peut toutefois espérer tirer partie de la chute du régime à Bagdad pour contraindre la vieille garde et les partisans du statu quo à battre en retraite. «Le président syrien arbitre entre plusieurs forces internes, il essaie de tisser un réseau de loyautés dans l´appareil sécuritaire et l´administration, affirme un diplomate. Mais il ne peut aller plus vite que la musique».



par Christian  Chesnot

Article publié le 13/05/2003