Irak
La colère des sunnites
Le pays sunnite est en ébullition. De Ramadi à Haditha en passant par Hit, la présence des soldats américains est de plus en mal supportée. A Fallouja, une ville sunnite située à une centaine de kilomètres à l’ouest de Bagdad, les incidents se sont multipliés avec l’armée américaine. Le poids du conservatisme socio-religieux local s’accommode fort mal de la rigidité américaine. Depuis toujours, Fallouja est réputée pour son âme rebelle et son traditionalisme religieux. La ville, dominée par la puissante tribus des Dleimis, abrite plus de 70 mosquées et près de 400 dans ses environs.
De notre envoyé spécial à Fallouja
Les fouilles des voitures et les perquisitions dans maisons sont ressenties par la population comme autant d’humiliations inutiles et de viols de son intimité, une valeur sacrée dans cette société tribale. «Nous n’acceptons pas que nos femmes soient fouillées, c’est une atteinte à nos traditions, lance un jeune imam qui souhaite conserver l’anonymat. Chez nous, quand on pénètre dans une maison, il faut attendre que les femmes se retirent, un coutume que même les policiers de Saddam Hussein respectaient.» Visiblement, les Américains semblent avoir dilapidé une bonne partie de leur capital de sympathie.
Dans leur commissariat miteux, les policiers de Fallouja sont démoralisés. Au début, ils ont participé à des patrouilles communes avec les GIs. «Aujourd’hui, c’est fini, explique le capitaine Mohammed Slimane. Nous les aidons quand ils nous le demandent. Parfois, ils viennent nous voire et boire le thé, mais il n’y a plus de coopération réelle.» Entre-temps, des incidents sanglants, qui ont fait plusieurs morts parmi la population et les soldats américains, ont exacerbé les tensions et rompu la confiance.
«Notre position est délicate, poursuit le capitaine Mohammed Slimane, car nous sommes pris en sandwich entre les Américains et la population. Les premiers ne nous ont fourni aucune aide financière ou matérielle pour accomplir notre mission de maintien de l’ordre tandis que les gens nous accusent d’être des traîtres et des collaborateurs.» Le commissariat de Fallouja n’a pas été incendié comme à Hit mais il a reçu des tirs de roquettes.
Les Américains ont créé des bataillons d’opposants
Sur le parking du poste, il ne reste plus que deux voitures, tout le parc automobile du commissariat a été volé ou détruit. Mais surtout, les policiers n’ont reçu que 20 dollars depuis l’arrivée des soldats américains. «On nous a promis des augmentations, mais nous attendons toujours», affirme le capitaine Mohammed Slimane.
Pour beaucoup, la décision de Paul Bremer, l’administrateur civil en Irak, de dissoudre l’armée (400 000 membres) et les services de sécurité a aussi largement contribué à enflammé la colère de la rue. Près de 15 000 officiers et sous-officiers étaient originaires de Fallouja, un taux très au-dessus de la moyenne nationale «Les Américains ont commis une grave erreur, analyse le général Jassem Al-Douleimi. Ils viennent de créer des bataillons d’opposants.»
Soldats et officiers, démobilisés sans indemnité sont aujourd’hui rentrés chez eux sans perspectives d’avenir. «Je n’ai pas touché un dinar et je n’ai droit à aucune retraite», explique le général Jassem Al-Douleimi malgré ses 35 années de services. Où sont les droits de l’homme ? Est-ça la démocratie que l’on nous avait promis ?»
Réduit à l’inactivité, les démobilisés rongent leur frein à la maison et ressassent leur ressentiment vis-à-vis des Américains. La plupart commencent déjà à regretter l’ancien régime. «Non pas Saddam, mais l’État irakien, lance le général Jassem Al-Dleimi. Nous avions des ministères, un drapeau, du pétrole, de la sécurité, une économie et surtout une dignité nationale. Maintenant, tout a disparu. Qui pourrait accepter un tel État ? Même les Palestiniens sont mieux lotis : ils ont un président, un gouvernement et un parlement !»
A Fallouja, Saddam Hussein conserve encore de nombreux partisans. «Les Américains auraient dû récupérer les armes des militaires qu’ils démobilisaient, commente Mohammed Abou Youssef, imam à Fallouja. Aujourd’hui, ces anciens militaires et anciens baassistes attisent le mécontentement en sous-main. Dans mes prêches, j’appelle au calme, mais je sens que les fidèles sont très remontés contre les Américains.»
L’imam Mohammed Abou Youssef a participé à des réunions avec les Américains. Ils ne mâche pas ses mots contre eux : «Ils sont comme les baassistes : quand on leur pose une question difficile, ils répondent : nous allons en référer à nos supérieurs ! Nous n’avons pas les mêmes priorités : les Américains sont uniquement préoccupés par la sécurité de leurs soldats. Ils ne prennent pas en compte nos demandes. C’est pourquoi, la résistance risque bientôt de s’intensifier et de s’étendre au reste du pays.»
Les fouilles des voitures et les perquisitions dans maisons sont ressenties par la population comme autant d’humiliations inutiles et de viols de son intimité, une valeur sacrée dans cette société tribale. «Nous n’acceptons pas que nos femmes soient fouillées, c’est une atteinte à nos traditions, lance un jeune imam qui souhaite conserver l’anonymat. Chez nous, quand on pénètre dans une maison, il faut attendre que les femmes se retirent, un coutume que même les policiers de Saddam Hussein respectaient.» Visiblement, les Américains semblent avoir dilapidé une bonne partie de leur capital de sympathie.
Dans leur commissariat miteux, les policiers de Fallouja sont démoralisés. Au début, ils ont participé à des patrouilles communes avec les GIs. «Aujourd’hui, c’est fini, explique le capitaine Mohammed Slimane. Nous les aidons quand ils nous le demandent. Parfois, ils viennent nous voire et boire le thé, mais il n’y a plus de coopération réelle.» Entre-temps, des incidents sanglants, qui ont fait plusieurs morts parmi la population et les soldats américains, ont exacerbé les tensions et rompu la confiance.
«Notre position est délicate, poursuit le capitaine Mohammed Slimane, car nous sommes pris en sandwich entre les Américains et la population. Les premiers ne nous ont fourni aucune aide financière ou matérielle pour accomplir notre mission de maintien de l’ordre tandis que les gens nous accusent d’être des traîtres et des collaborateurs.» Le commissariat de Fallouja n’a pas été incendié comme à Hit mais il a reçu des tirs de roquettes.
Les Américains ont créé des bataillons d’opposants
Sur le parking du poste, il ne reste plus que deux voitures, tout le parc automobile du commissariat a été volé ou détruit. Mais surtout, les policiers n’ont reçu que 20 dollars depuis l’arrivée des soldats américains. «On nous a promis des augmentations, mais nous attendons toujours», affirme le capitaine Mohammed Slimane.
Pour beaucoup, la décision de Paul Bremer, l’administrateur civil en Irak, de dissoudre l’armée (400 000 membres) et les services de sécurité a aussi largement contribué à enflammé la colère de la rue. Près de 15 000 officiers et sous-officiers étaient originaires de Fallouja, un taux très au-dessus de la moyenne nationale «Les Américains ont commis une grave erreur, analyse le général Jassem Al-Douleimi. Ils viennent de créer des bataillons d’opposants.»
Soldats et officiers, démobilisés sans indemnité sont aujourd’hui rentrés chez eux sans perspectives d’avenir. «Je n’ai pas touché un dinar et je n’ai droit à aucune retraite», explique le général Jassem Al-Douleimi malgré ses 35 années de services. Où sont les droits de l’homme ? Est-ça la démocratie que l’on nous avait promis ?»
Réduit à l’inactivité, les démobilisés rongent leur frein à la maison et ressassent leur ressentiment vis-à-vis des Américains. La plupart commencent déjà à regretter l’ancien régime. «Non pas Saddam, mais l’État irakien, lance le général Jassem Al-Dleimi. Nous avions des ministères, un drapeau, du pétrole, de la sécurité, une économie et surtout une dignité nationale. Maintenant, tout a disparu. Qui pourrait accepter un tel État ? Même les Palestiniens sont mieux lotis : ils ont un président, un gouvernement et un parlement !»
A Fallouja, Saddam Hussein conserve encore de nombreux partisans. «Les Américains auraient dû récupérer les armes des militaires qu’ils démobilisaient, commente Mohammed Abou Youssef, imam à Fallouja. Aujourd’hui, ces anciens militaires et anciens baassistes attisent le mécontentement en sous-main. Dans mes prêches, j’appelle au calme, mais je sens que les fidèles sont très remontés contre les Américains.»
L’imam Mohammed Abou Youssef a participé à des réunions avec les Américains. Ils ne mâche pas ses mots contre eux : «Ils sont comme les baassistes : quand on leur pose une question difficile, ils répondent : nous allons en référer à nos supérieurs ! Nous n’avons pas les mêmes priorités : les Américains sont uniquement préoccupés par la sécurité de leurs soldats. Ils ne prennent pas en compte nos demandes. C’est pourquoi, la résistance risque bientôt de s’intensifier et de s’étendre au reste du pays.»
par Christian Chesnot
Article publié le 02/06/2003