Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Irak

Une occupation laborieuse

Deux mois après la chute de Bagdad, le 9 avril dernier, les Américains sont à la peine: les infrastructures (eau, assainissement, électricité, téléphone) fonctionnent de façon partielle ou irrégulière, les services publics ont été réduits à néant, et la sécurité, notamment à Bagdad, reste précaire. Bilan de deux mois d’occupation américaine.
De notre envoyé spécial à Bagdad

«Une occupation bénigne, mais incompétente.» Ce constat d’un responsable du CICR reflète les difficultés de l’administration d’occupation américaine. Dans tous les domaines, le retour à la normal se fait attendre: en deux mois, le capital de sympathie dont disposait les Américains a fondu laissant place à un mécontentement croissant de la population et à des actes de résistance qui se multiplient un peu partout dans le pays.

Premier grief des Irakiens : les services de base n’ont été rétablis que très partiellement. La distribution de l’eau à Bagdad s’est améliorée, mais certains quartiers en sont toujours privés. Faute d’entretien, des pillages et de la guerre, les infrastructures sont dans un piteux état. Selon l’Unicef, 40% du réseau d’eau potable est endommagé, perforé de 500 fuites majeures: la moitié de l’eau de Bagdad est ainsi perdue dans la nature. Certaines stations de purification et d’épuration sont encore l’objet de pilleurs, qui y dérobent les équipements.

La distribution électrique, elle, n’a pas retrouvé un niveau normal. Les coupures sont fréquentes dans Bagdad. En province, la situation serait meilleure, comme à Mossoul. Le téléphone n’a été rétabli que dans certains quartiers de la capitale irakienne. Les centraux principaux ont été détruits pendant la guerre perturbant les communications de la province, car le réseau était bâti sur un schéma centralisé. Selon des experts, la reconstruction des infrastructures de télécommunication irakienne nécessitera au moins un à deux ans de travail. En attendant, l’administration américaine a commencé la distribution de 50 000 téléphones portables, embryon d’un réseau de téléphonie mobile.

Les Irakiens ne comprennent pas pourquoi l’ordre n’est pas revenu

Le manque d’essence empoisonne aussi la vie quotidienne des Irakiens. Les queues de voitures sont immenses, et parfois il faut plusieurs heures avant d’être servi à la pompe, placée sous la protection des soldats américains. Explication de ces pénuries par un responsable du CICR: «les centrales électriques, qui fonctionnent au fuel lourd, n’absorbent plus les mêmes quantités car elles ont été endommagées. Résultat : dans les raffineries, le fuel lourd occupe la majeure partie des capacités de stockage qui ne peuvent donc plus accueillir les réserves de carburants, limitant ainsi d’autant la distribution de ces derniers.»

Sur le plan des services publics, la situation laisse tout autant à désirer. Les ministères n’ont pas de budget et ne peuvent verser aucun salaire aux fonctionnaires. Les Américains ont débloqué une enveloppe d’urgence de 20 dollars par salarié, mais depuis, les employés attendent toujours leurs salaires. «Il faut que les Américains injectent très rapidement de l’argent dans l’économie, sinon ils vont avoir de gros problèmes sociaux», affirme Kasra Mofarah, de l’ONG Aide Médicale Internationale. Déjà dans les hôpitaux, faute d’être payés, les personnels revendent au marché noir les médicaments ou pratiquent un deuxième métier.

Longtemps habitués à un niveau de sécurité élevé, les habitants de Bagdad ne comprennent pas pourquoi l’ordre n’est pas revenu avec la présence des troupes américaines. Beaucoup d’entre eux, notamment les femmes, restent encore terrés dans leur habitation et n’envoient pas leurs enfants à l’école ou la l’université. La peur des voleurs et des maraudeurs est générale dans la population. Dans le quartier chic d’Arasat, les habitants et les commerçants organisent des tours de garde et bloquent l’accès la nuit.

Les dizaines de milliers de prisonniers de droit commun, libérés par Saddam Hussein en octobre dernier à l’occasion du référendum présidentiel, ont profité de la chute du régime pour reprendre leurs activités illicites. Les soldats américains en interpellent chaque jour : ces malfrats sont facilement identifiables car l’ancienne administration pénitentiaire leur avait tatoué un numéro sur le l’avant-bras.

Pour reprendre la situation sécuritaire en main, Paul Bremer, l’administrateur civil américain en Irak, a donné aux Irakiens jusqu’au 14 juin prochain pour restituer leurs armes personnelles. Mais bien peu risquent d’obtempérer tant la détention de revolver et de kalachnikov est traditionnelle dans la société irakienne. «Comment pourrais-je rendre mon arme, s’interroge Abdel Karim Mohsen un notable de Fallouja, quand les Américains sont incapables de me protéger et d’assurer la sécurité ?»



par Christian  Chesnot

Article publié le 09/06/2003