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Bosnie

Le voyage à hauts risques du Pape

Banja Luka, la capitale des Serbes de Bosnie, est en état de siège en prévision de la visite du pape, prévue dimanche 22 juin. Jean-Paul II doit béatifier un catéchiste laïc croate de Bosnie, Ivan Merz, au cours d’une messe en plein air qui sera célébrée dans un faubourg de la ville. Plus de 4 000 policiers seront déployés, sous la tutelle de la force de police de l’Union européenne en Bosnie (EUPM) et des unités anti-terroristes prendront position sur les toits des immeubles. Les bouches d’égout ont été systématiquement obstruées pour ne pas servir de cachettes à des charges explosives, et plusieurs dizaines de personnes aux dossiers criminels chargés ont déjà été mises en prison à titre préventif.
De notre correspondant à Banja Luka

Cette première visite du pape en Republika Srpska, «l’entité» serbe de Bosnie, est en effet un voyage à hauts risques. Durant la guerre, de 1992 à 1995, Banja Luka a été soumise à un nettoyage ethnique systématique par les nationalistes serbes. Des quelque 70 000 Croates catholiques qui vivaient dans la ville avant la guerre, seuls 2 000 y résideraient toujours. En tout, 200 000 Croates ont été chassés de Republika Srpska, et 8 000 seulement y seraient revenus jusqu'à présent, selon les données du Centre culturel croate de Bosnie (HKU) de Banja Luka. Depuis la conclusion des accords de Dayton et le retour à la paix, à l’automne 1995, les politiques volontaristes de retour des réfugiés, impulsées par la communauté internationale, n’ont guère obtenu de succès. Le plus souvent, les personnes âgées, décidées à finir leur vie dans leur région natale, sont les seules à oser un retour définitif.

Dans ces conditions, l’afflux de fidèles croates qui viendront de toute la Bosnie pour assister à la célébration de dimanche risque d’être perçu comme une provocation par les extrémistes serbes. Pour pallier le risque de violence, les fidèles qui voudront assister à la messe ont dû se faire enregistrer dans leurs paroisses d’origine. Depuis le Vatican, le pape a déclaré mercredi dernier qu’il entendait placer son voyage sous le signe de la «réconciliation et de la concorde», mais les autorités catholiques croates sont bien conscientes du risque de voir la célébration se transformer en meeting en faveur du retour des réfugiés.

Un geste d’ouverture vers les orthodoxes

Les autorités de la Republika Srpska sont, officiellement, sur la même longueur d’onde. Elles ont lancé de sévères mises en garde contre toute tentative de provocation pour éviter des violences intercommunautaires. Tout le monde a en effet en tête le précédent fâcheux des violents incidents qui avaient éclaté à Banja Luka en mai 2001, à l’occasion de la pose de la pierre d’une nouvelle mosquée, devant remplacer la très vieille mosquée Ferhadija, dynamitée par les nationalistes serbes pendant la guerre. Les affrontements entre nationalistes serbes et fidèles musulmans avaient fait un mort et plus de 30 blessés. «Nous ne devons pas permettre que se produise un incident quelconque, si petit soit-il, qui puisse rappeler les violences qui ont eu lieu durant la pose de la première pierre de la mosquée Ferhadija», a formellement déclaré le Président de la Republika Srpska, Dragan Cavic.

Jean-Paul II doit profiter de son voyage pour rencontrer tous les dirigeants politiques de Bosnie, aussi bien croates que serbes et musulmans. Il voudrait aussi faire de ce déplacement un nouveau geste d’ouverture vers l’orthodoxie, mais une rencontre avec le patriarche de l’Église orthodoxe serbe, Mgr Pavle, semble exclue. Une délégation du Saint-Synode de l’Église s’est pourtant rendue au Vatican il y a quelques mois, et le Président de la nouvelle Union de Serbie-Monténégro, Svetozar Marovic, a récemment déclaré que son pays espérait bien pouvoir inviter le pape à se rendre à Belgrade dès 2004. Le succès du voyage à Banja Luka pourrait donc représenter une étape très importante dans la normalisation des relations entre le Vatican et l’orthodoxie serbe.



par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 21/06/2003