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L''affaire Elf

Fin de partie pour les anciens dirigeants d’Elf

Douzième semaine dans le procès Elf, où l’on voit les réquisitions du ministère public tailler en pièces les arguments de la défense. Bande organisée, opportunisme systématique dans la fraude, fonctionnement institutionnalisé. Avec un grand perdant : André Tarallo, le Monsieur Afrique du groupe.
Ils sont repus et hébétés. En sortant de la salle d’audience, ce jeudi 5 juin, les prévenus ont l’air hagard de ceux qui n’arrivent pas à digérer un repas pantagruélique. Hagard et comme soulagé de voir s’achever les affres du débat contradictoire. La prochaine étape sera la plaidoirie de leurs avocats dans les quatre semaines à venir, avant de patienter jusqu’à l’automne pour entendre le jugement du Tribunal. D’ores et déjà, tous ont compris que les peines seraient lourdes, «exemplaires» a précisé la procureure Catherine Pignon (voir encadré). Le ministère public a retenu trois critères : l’ampleur des détournements opérés, la fonction occupée à l’époque dans le système Elf et enfin, la répétition des délits. A ce petit jeu, ses incohérences, comme la peine «modérée» –4 ans de prison ferme et 3 millions d’euros d’amende– réclamée contre Alain Guillon.

L’ancien directeur raffinage-distribution, poursuivi à hauteur de 164 millions de francs de détournements, risquait dix ans de prison. Ni ses explications, ni sa ligne de défense consistant à nier les détournements, ni son attitude particulièrement arrogante à la barre n’ont paru convaincre les magistrats. Mais le ministère public a sans doute estimé nécessaire de graduer les peines en fonction des responsabilités officielles au sein de l’entreprise. Le «directeur» ne pouvait donc apparaître plus coupable que son patron.

Une expression du réquisitoire semble bien résumé la complexité des rapports qu’entretenaient Loïk Le Floch-Prigent, Alfred Sirven et André Tarallo. «Ce trio n’a pas fonctionné de manière pyramidale, explique Catherine Pignon, s’il y a une image à prendre, c’est plutôt celle de trois cercles, avec un espace commun et chacun, une sphère d’autonomie.» Cette vision permet d’imbriquer les points de vue des protagonistes. Un patron qui initie les mécanismes de la corruption à grande échelle, dans une entreprise qui les pratiquent déjà abondamment en Afrique. Un homme lige, conseiller occulte, chargé des basses besognes qui, petit à petit, s’émancipe de la tutelle de son mentor. Enfin, un «homme incontournable dans l’entreprise» qui cède aux sirènes des deux premiers.

Le pari de l’impunité et du pouvoir

Un espace commun et trois sphères autonomes : cela correspond assez bien aux multiples reconstitutions de flux financiers, de responsabilités opérationnelles et de réseau d’influence dessinés lors des 32 audiences de débats. Ensuite, dans l’échelle des responsabilités pénales, les magistrats décrivent un «premier cercle» (Alain Guillon et André Guelfi), un «second cercle» (Stéphane Valentini, courtier en assurances et héritier du «meilleur ami de Tarallo», Roger Aïello, bras droit du monsieur Afrique et Jean-François Pagès, responsable des programmes immobiliers). Puis, ce sont les partenaires attitrés (l’industriel Maurice Bidermann et le financier Jeffrey Steiner) du groupe et sa galaxie d’intermédiaires en tout genre. Sans oublier les amis, Laurent Raillard, partenaire de golf et ami du président Mitterrand, ou Daniel Léandri, homme de main de Charles Pasqua.

Deux regrets, deux absences en réalité, dans ce réquisitoire. D’abord, l’engrenage de la corruption et son préliminaire : les prévenus ont-ils prémédité leurs actes ? A priori, la réponse est simple, encore fallait-il que le parquet en fit la démonstration… Sur ce point, les avocats –c’est leur rôle– n’ont pas paru très convaincu. Pourtant, plusieurs points permettent d’étayer ce raisonnement. Les premiers détournements arrivent très vite, quelques semaines seulement après la nomination de Loïk Le Floch-Prigent. Ils deviennent systématiques, à chaque opération d’envergure de la société. Enfin, le Pdg a nommé, un par un, des fidèles à des postes clés, permettant de s’assurer un contrôle stratégique sur les circuits de la corruption.

En instaurant cette hiérarchie parallèle, les dirigeants espéraient sans doute améliorer l’efficacité des circuits de détournements, mais ils ont aussi fait un pari. Ce pari, c’est de croire que la corruption interne au groupe suffirait à créer des liens suffisamment puissant pour à la fois garantir leur impunité et conserver le pouvoir. Une sorte de choix politique de gouvernement d’entreprise. Evidemment, cela sort du cadre strict de la prévention, mais sans une explication de cette corruption corruptrice, difficile de comprendre pourquoi le système Elf a survécu aussi longtemps. La centaine d’avocats présents autour des 37 prévenus ont encore un mois pour convaincre le président du contraire. Tâche ardue.



par David  Servenay

Article publié le 06/06/2003