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L''affaire Elf

Une «nausée» qui fait des ravages

La huitième semaine du procès de l’affaire Elf devant le tribunal correctionnel de Paris a connu deux événements marquants. Tout d’abord, l’apparition à la barre de l’un des principaux prévenus, l’homme d’affaires britannique Nadhmi Auchi, contre qui pesait un mandat d’arrêt international depuis juillet 2000. Ensuite, la mise en cause directe, pour la première fois, de l’ancien patron du groupe Elf, Loïk Le Floch-Prigent, accusé par Alfred Sirven d’avoir touché personnellement des fonds détournés des caisses du groupe.
Au cours des huit années d’instruction qui ont précédé le procès Elf, l’ancien PDG du groupe pétrolier français, Loïk Le Floch-Prigent, n’a jamais avoué avoir personnellement tiré profit des largesses du groupe pétrolier français. Il a certes reconnu, voilà quelques semaines devant le tribunal correctionnel de Paris, l’existence d’une caisse noire alimentée par des sommes d’argent détournées du groupe Elf. Mais il avait alors précisé que cet argent avait notamment été utilisé pour des «interventions politiques», avouant simplement avoir bénéficié «indirectement de certains règlements». Une version jamais démentie par son ancien bras droit, Alfred Sirven, qui avait pourtant reconnu au cours de l’instruction avoir, lui, mené grand train grâce aux caisses noires qu’il gérait. Mercredi, la donne a radicalement changé. Alfred Sirven a affirmé devant le tribunal que M. Le Floch-Prigent avait été directement destinataire de 2,5 millions de dollars dans le dossier du Venezuela. Elf avait tenté de développer ses activités dans ce pays au début des années 90. Malgré l’échec de l’opération, environ 25 millions de dollars auraient alors été détournés par différents acteurs.

«Oui, j’ai donné de l’argent à M. Le Floch Prigent. Bien entendu», a déclaré mercredi à la barre l’ancien directeur des affaires générales d’Elf. Alfred Sirven a tenu à expliquer pourquoi il décidait d’accuser, à ce moment-là du procès, son ancien supérieur. «Je vais dire quelque chose de grave. Je ne l'aurais pas fait si M.Le Floch-Prigent n'avait pas eu des propos inqualifiables sur ses collaborateurs. Un mot de lui m'est resté en travers de la gorge. La nausée. Il a dit «la nausée». Cette nausée, maintenant, elle est réciproque. C'est comme une maladie, elle se transmet. Sa nausée est devenue la mienne. Je n'admets plus cette attitude qui consiste à éviter tout le temps ses responsabilités et à le faire de manière hypocrite. Je ne peux plus l'accepter. La nausée de l'autre jour a emporté le barrage qui était en moi. J'ai travaillé pour cet homme pendant vingt ans. J'avais beaucoup d'estime pour lui. Car cet homme était un très grand chef d'entreprise et il n'a pas été jugé à sa véritable valeur. Voilà. Cela dit, je suis obligé de ne plus être d'accord».

La veille, Loïk Le Floch-Prigent s’était dit «profondément écœuré» par certaines déclarations ou sous-entendus d’Alfred Sirven et André Tarallo, ancien «Monsieur Afrique» du groupe Elf. «L'argent qui a été pris pour des besoins personnels à partir d'Elf, je le réprouve, que ce soit Sirven, Tarallo, je le réprouve. Je n'ai jamais appris qu'il y avait des rétro-commissions. Jamais. Je pense qu'il va falloir que M.Sirven ait des souvenirs. Il a dit qu'il avait des scrupules, c'est très bien. Mais M.Sirven ne peut pas avoir comme seul souvenir dans son existence qu'il m'en a parlé parce que ce n'est pas vrai», avait déclaré Loïk Le Floch-Prigent. Des propos auxquels Alfred Tarallo avait rapidement réagi, expliquant peu après à la barre: «Si M.Le Floch-Prigent est écœuré, moi je suis... c'est moins fort, dérouté. Maintenant, à chaque fois qu'il prend la parole, c'est pour dire qu'il était ignorant de tout. Je suis désolé de voir un président d'Elf à ce point oublieux de ce qu'il a fait sous sa présidence et oublieux de ce qu'il a dit depuis le début de l'audience».

L’apparition de Nadhmi Auchi

Ces échanges très âpres entre trois des principaux acteurs du procès laissent supposer que les langues pourraient continuer à se délier au cours des prochaines audiences. Et la principale victime de ces règlements de compte risque bien d’être encore Loïk Floch-Prigent, pris sous le feu croisé de ses deux anciens collaborateurs. Après être sorti de son silence, Alfred Sirven n’a pas seulement parlé de la commission de 2,5 millions de dollars versés dans le cadre du dossier du Venezuela. Agacé par la défense de Loïk Le Floch-Prigent qui lui demandait de fournir la preuve de ses accusations, il a également décidé de livrer plus de détails sur l’acquisition d’un luxueux appartement parisien. «C'est moi qui l’ai payé sur ordres et instructions de M. Loïk Le Floch-Prigent». Et Sirven de préciser, en contredisant ainsi la version soutenue par l’ancien président d’Elf. «Ce n'était pas un logement de fonction. La Faisanderie a été choisie par M. Le Floch-Prigent et Mme Belaïd (son ancienne épouse)».

Ces révélations et attaques tonitruantes ont occulté l’apparition surprise, en début de semaine, de l’homme d’affaires britannique d’origine irakienne, Nadhmi Auchi. Il est soupçonné d’avoir perçu d’énormes commissions de la part d’Elf au moment du rachat d’Ertoil, un groupe de raffinage espagnol, en 1991. Lui et son ancien bras droit Nasir Abid, faisaient l’objet d’un mandat d’arrêt international depuis juillet 2000. Mais les deux hommes, respectivement domiciliés en Angleterre et au Luxembourg, n’avaient, jusqu’à présent, pas été inquiétés. Devant le tribunal, Nadhmi Auchi a affirmé lundi qu’il avait «toujours été prêt à coopérer avec la justice française». Un aplomb peu apprécié par les fonctionnaires de justice présents dans la salle, la représentante du parquet, Valérie Dervieux, n’hésitant pas à parler du «mépris» manifesté par M. Auchi. En échange d’une caution de 100 000 euros, ce dernier a retrouvé sa liberté le jour-même après s’être montré peu loquace à la barre. Quant à Nasir Abid, il s’est fait porter pâle, son avocat remettant au tribunal un certificat médical.




par Olivier  Bras

Article publié le 08/05/2003