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L''affaire Elf

Un divorce hors de prix

L’étau se resserre autour des différents protagonistes. Au centre des débats, le couple Le Floch-Prigent/Sirven. Entre petites mesquineries et vrais coups bas, la tension ne peut que déboucher sur un conflit ouvert entre l’ancien PDG et son éminence grise. A moins que les avocats ne trouvent un arrangement…
La scène est passée presque inaperçue, mercredi. ME William Bourdon se lève et va s’asseoir sur le banc d’en face, à côté de son confrère ME Jean-Pierre Gastaud. Les deux avocats chuchotent pendant les débats. La palabre est brève, quelques minutes. Puis l’avocat de Loïk Le Floch-Prigent retourne se positionner derrière son client, fin de l’échange. Juste avant, Alfred Sirven est sorti de ses gonds à propos du troisième co-contractant du compte Arix, une sorte d’outils de collecte mis en place par le fidèle banquier de Lausanne, Bernard Taverney. Lui et Alfred Sirven ont signé un contrat de création de société, BFT Conseil, ayant pouvoir sur le compte Arix.

Ce contrat stipule qu’Alfred Sirven représente un troisième et mystérieux associé. Apparemment, tout le monde a, sur ce point, la mémoire courte. «A l’instruction, dit le président Desplan à M. Sirven, vous avez parlé d’un «bouquet», d’un «groupe de personnes»… connaissez-vous le nom de ce troisième co-contractant ?» Silence. «Bon, en tout cas, il ne s’agit pas de M. Fa (responsable de l’audit d’Elf). Il y a des détenteurs…, il hésite. J’ai quelques problèmes à régler, monsieur le président. Nouveau silence. Je ne tiens pas à répondre à cette question aujourd’hui.» «Demain, peut-être ?» ironise le juge. «Demain n’appartient qu’à Dieu, monsieur le président» tonne le prévenu en se retournant vers son ancien patron. A défaut d’être limpide, le message est tranchant: tu parles, ou je le ferais à ta place. Depuis cinq semaines, la partie de ping-pong n’a cessé de s’accélérer avec le même dilemme. Le patron et son bras droit ont choisi la même stratégie de défense type «responsable, mais pas coupable» avec une variante pour Alfred Sirven, «coupable, mais pas seul responsable». A chacun, il reste donc cinq autres semaines pour convaincre le tribunal de l’exacte étendue de leurs responsabilités et de l’interrogation en filigrane du dossier: Alfred Sirven a-t-il trahi ?

Si, aujourd’hui, plus personne ne croit à la fable de «l’homme qui peut faire sauter vingt fois la République», le personnage reste complexe. Bien sûr, Alfred Sirven n’avait rien d’un «Directeur des affaires générales», son titre officiel, mais tout du responsable des opérations spéciales. Un bureau à la Tour Elf, un autre, plus discret, avenue George V et enfin, un troisième à Genève, rue Plantamour, juste derrière le Hilton, au bord du lac. Intervenant dans tous les deals, interlocuteur des oppositions africaines, le coffre de la voiture ou les valises toujours remplies de billets pour les uns (en Afrique) ou les autres (à Paris). Chaleureux, le contact facile, parfois gouailleur, Alfred Sirven n’en est pas moins un fin tacticien. Il évite par exemple soigneusement de se mêler de l’épisode du divorce de son patron avec Fatima Belaïd. Séparation furieuse et coûteuse, au moins 15 millions de francs sortis des caisses du groupe. «Oh, là là, quand j’entends tout ça, monsieur le président, je me félicite de ne pas être entré là-dedans

L’homme de l’ombre va-t-il craquer ?

Costume gris, cravate bleue, lunettes d’écaille, le cheveu blanc encore abondant, le soldat Sirven n’est pas prêt à se rendre, ou alors avec les honneurs. «Je ne vais pas porter toute la Mappemonde sur le dos», clame-t-il au moment de l’examen de la vente fictive du tapis persan. Un épisode mineur du dossier, mais qui semble assez révélateur des relations entre les deux hommes. En 1995, Loïk Le Floch-Prigent, alors président de Gaz de France, a besoin d’argent. Il possède un tapis persan, acheté par son père dans les années 50, auquel il ne tient guère. Une mystérieuse société écossaise l’a acheté 300 000 francs. «Je n’y ai pas attaché grande importance, dit-il à la barre, j’ai dû en parler à M. Sirven, qui en a parlé à M. Mikaeloff (un antiquaire).» «Vous avez des collaborateurs dévoués, M. Le Floch-Prigent, car on peut penser que M. Sirven n’avait pas vocation à être «marchand de tapis» et finalement, un expert l’a finalement estimé à 40 000 francs…» Raide, le PDG répond: «A posteriori, je me dis que M. Sirven a voulu me faire plaisir, mais finalement j’ai eu plus d’ennuis…». L’homme de l’ombre se lève et lâche : «M. Le Floch-Prigent m’a dit: j’ai besoin d’argent, j’ai ce tapis. Je lui présente M. Mikaeloff qui reçoit la mission de le vendre. Le temps passe. Il me dit : je n’arrive pas à le vendre. Donc, c’est moi qui ai payé ce tapis, dit-il en se tournant vers lui. M. Le Floch-Prigent savait que c’était moi qui avait payé ce tapis.» La barbe poivre et sel plonge vers le parquet.

Le président note et poursuit sur les dépenses personnelles effectuées à l’aide de la carte de crédit de l’entreprise: 286 000 francs, beaucoup d’achats au Virgin Mégastore, sans oublier les 80 000 francs de meubles de jardin, réglés le 4 août 1993, date de son départ d’Elf… petites mesquineries dans la valse des millions. Reste à savoir quand l’homme de l’ombre va-t-il craquer, lui qui paie depuis deux ans déjà derrière les murs de la prison de la Santé le prix de cette «folie des grandeurs» ?



par David  Servenay

Article publié le 18/04/2003