Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

L''affaire Elf

Mis en cause par Tarallo, Bongo répond sur RFI

La quatrième semaine d’audience du procès Elf aura vu André Tarallo se retrancher derrière celui qu’il présente comme son «mandant», Omar Bongo. Le président gabonais réagit sur RFI.
Ecouter Omar Bongo interrogé par Bernard Nageotte à Libreville

Quatrième semaine d’audience dans le procès Elf, où l’on voit s’affirmer la nécessité judiciaire. Les prévenus, anciens cadres d’Elf, sont traqués par huit ans d’enquête et par la fermeté du président du Tribunal, Michel Desplan. Ultime rempart de leur défense: les mandants africains.

Le mot revient dans toutes les bouches, impersonnel, impalpable et presque invisible: le «mandant». André Tarallo, la «grande main», et Alfred Sirven, la «petite main», d’Elf ont adopté face au Tribunal correctionnel de Paris la même protection face à la curiosité des juges: le «mandant africain».

Comme aux temps médiévaux, le dirigeant d’Elf n’était que l’envoyé, le serviteur, l’exécutant des basses oeuvres pétrolières. L’éminence grise Alfred Sirven d’abord, a longuement développé lundi et mardi ses relations congolaises au plus haut niveau. Puis, le «Monsieur Afrique» du groupe, André Tarallo a brossé le tableau, mercredi, des complexes opérations nouées avec son «copropriétaire», le président du Gabon, El Hadj Omar Bongo.

Fatigué par les débats, droit comme un «i», la main accrochée au revers de la veste, il décrit le contexte: «En 1990-91, il y a eu une vraie crise de confiance entre la France et l’Afrique. Les présidents africains se sont demandés à un moment s’ils n’étaient pas lâchés par la France. La rue, à Libreville, Abidjan ou Brazzaville a été le théâtre de manifestations importantes. En 1990, il y a eu des émeutes à Port-Gentil où, pour la première fois, Elf-Gabon a interrompu sa production. Dans ce contexte, le président Bongo s’est demandé s’il allait garder le pouvoir. C’est ainsi que l’idée est venue de constituer une sorte de caisse d’épargne…de réserve, en cas de malheur. Une réserve très confidentielle que je devais gérer pour lui, mais le propriétaire c’était bien lui.»

Autre question concernant les biens acquis par André Tarallo. D’abord un splendide appartement, situé sur le quai d’Orsay à Paris, au bord de la Seine, au 6ème étage. 400 mètres carrés achetés 14 millions de francs, frais inclus, avec des travaux de rénovation «d’un luxe exceptionnel», dit un témoin. Des travaux d’un montant de 27 millions de francs. C’était donc un «investissement immobilier» commun.

A la barre, l’ancien homme fort d’Elf a les plus grandes difficultés à convaincre le président Desplan:
-M. Bongo a-t-il logé dans cet appartement ou son entourage?
-Non, euh, le fait ne s’est pas produit. Les travaux ont duré deux ans. M. Bongo avait d’abord fait en sorte que cet appartement revienne à sa fille, alors ministre des Affaires étrangères.
-Et vous, avez-vous séjourné dans cet appartement?
-Oui, jusqu’à aujourd’hui
-C’est un peu étonnant, tout de même, que M. Bongo n’y soit même pas passé. Quand on achète un appartement, ironise Michel Desplan, en général on a envie de pendre la crémaillère…
André Tarallo encaisse et reprend, la voix posée:
-En fait, M. le président, le président Bongo a plusieurs appartements à Paris, qui sont détenus par des tiers. Il a aussi une résidence privée à l’ambassade du Gabon, avenue Raphaël, c’est l’ensemble du dernier étage. Enfin, quand il vient à Paris, il est de notoriété publique qu’il descend à l’hôtel Crillon.

Suit une longue liste de tableaux, dessins, meubles et objets d’art. Quelques millions supplémentaires dans l’indivision.

Bongo: «J’ignorais que j’étais aussi riche»
A plusieurs reprises, Omar Bongo a récusé tout enrichissement personnel, en Suisse, en France ou ailleurs. Lui aussi niant l’évidence, car l’instruction et les débats ont montré que le président du Gabon pouvait toucher des bonus à la signature d’un contrat, compris entre 1 et 5 millions de dollars, ou bénéficier des abonnements (de 40 cents à un dollar par baril de brut reversé sur un compte personnel où il n’apparaît jamais en nom propre). Dans un rapport sur le blanchiment de l’argent sale aux Etats-Unis, le Congrès américain a estimé à 100 millions de dollars les sommes détournées chaque année par le président Bongo et son entourage.

Finalement, sans doute agacé par la teneur des quatre semaines de débats, le président Bongo a réagi sur RFI aux propos d’André Tarallo. «Il faudrait qu’il fournisse des documents écrits faisant de lui mon mandataire, a déclaré Omar Bongo à Libreville, d’une affaire judiciaire, il en fait une affaire politique en s’abritant derrière Bongo, Bongo, Bongo… à la lecture des débats judiciaires, j’ignorais que j’étais aussi riche et je demande donc à M. Tarallo de bien vouloir me faire parvenir les sommes d’argent dont j’étais le destinataire et qu’il aurait donc détournées.» Belle envolée, surtout destinée à sa propre opinion publique…

Le président du Gabon a sans doute oublié l’arbitrage rendu par un magistrat français entre André Tarallo et… Omar Bongo. Au terme de 18 mois de négociation entre avocats, les deux copropriétaires se sont séparés bons amis: à Tarallo l’appartement parisien, la villa en Corse, à Bongo le fruit de la vente des meubles et objets d’art, plus un gros chèque de 65 millions de francs pour la villa corse. Dans la sentence d’arbitrage, le président Bongo reconnaît la fonction de mandataire joué par André Tarallo, par ailleurs rémunéré 10 millions de dollars par an comme «conseiller spécial du président». Bref, une orfèvrerie juridique censée à la fois protéger le Monsieur Afrique des foudres judiciaires et abriter l’homme politique des critiques de son opposition ou de son opinion. Le hic, c’est qu’André Tarallo n’a pas encore complètement réglé l’ardoise gabonaise.

Au cours de ce procès André Tarallo ou ses avocats ne susurrent l’identité du «mandant» qu’en de rares occasions, Alfred Sirven n’a pas les mêmes précautions oratoires. Costume gris, lunettes d’écaille posées au bout du nez, il raconte à sa façon, imagée, les petites manœuvres d’Elf: «J’ai connu Pascal Lissouba lorsqu’il s’est présenté à l’élection présidentielle contre Sassou N’Guesso. Je me souviens de longues conversations, au 6 avenue Georges V (Ndlr: une des discrètes annexes d’Elf), avec M. Tarallo, M. Lissouba et moi. A l’époque, le groupe faisait des affaires avec M. Sassou. Et puis il a perdu les élections et je me souviens, en août 1992, avoir reçu un coup de téléphone à Deauville: c’était Pascal Lissouba pour me remercier. Je lui ai dit: «Merci M. le Président» et il m’a répondu: «C’est fini ça, maintenant, c’est Pascal et Alfred»».

Sur les fonds détournés après son départ d’Elf –50 millions d’euros-, Alfred Sirven avance la répartition suivante: 20% pour lui, le reste pour ses mandants, Lissouba et son entourage. Une version constamment démentie par l’ancien président du Congo et ses ministres.

A la barre, N’Guila Mougounga, ex-ministre des finances, témoin dans la procédure, prétend n’avoir jamais rencontré le directeur des affaires générales d’Elf avant leur confrontation dans le cabinet du juge. Et il s’énerve: «ma signature a été imitée (…) je ne connais pas M. Sirven, et ajoute, cynique, si j’ai bénéficié de cet argent, que l’on m’indique ces comptes pour que j’en profite!»

Assis sur sa chaise, Sirven soupire puis fustige à la barre «ces gens qui se défendent comme ils peuvent». Un peu plus tard, les débats révèlent que M. Mougounga a bien perçu deux millions de dollars sur un compte personnel détenu à la banque du Gothard. «Puisqu’on me dit que c’est mon argent, qu’on me donne le numéro de compte», tonne l’ancien ministre des Finances. L’avantage de cette ligne de défense utilisée dès le début de l’instruction, en Suisse, fut de retarder, voire d’empêcher, le travail des magistrats instructeurs, les comptes bancaires d’Etat jouissant d’une immunité appréciable. Mais, petit à petit, le château de cartes financier s’est écroulé sur ses bâtisseurs. A l’audience, la justification des deux émissaires d’Elf semble peu crédible. D’autant que les divers «mandants» invoqués ont toujours démenti les déclarations des prévenus.



par David  Servenay

Article publié le 11/04/2003