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L''affaire Elf

Fin du premier acte au tribunal

Onzième et dernière semaine de débats dans le procès Elf, où chacun pense déjà à la fin et à l’angoissante question du prévenu face au délibéré: combien ? L’occasion de dresser un bilan –provisoire- d’une affaire qui est loin d’avoir livré tout ces mystères.
Il fait frais. Un air léger traverse doucement les boiseries de la salle d’audience, les frimas de mars sont loin. Les fauves sont fatigués, le président Desplan aussi. Tous semblent n’avoir qu’une hâte: en finir.

«Comme le tribunal s’y est engagé au début des débats, explique le magistrat, les prévenus ont maintenant la possibilité de faire une ultime déclaration, ne donnant pas lieu à débat». Silence. «D’une manière générale ou même pour préciser certains faits, bien sûr, vous aurez la possibilité de vous exprimer après les plaidoiries…» qui sont normalement prévues pour la mi-juillet, après le défilé des avocats des 37 prévenus.

L’intermédiaire André Guelfi lève le bras.
M. Guelfi, approchez-vous, il faut bien un premier…».
A 84 ans, le visage bronzé à la longue chevelure blanche prend la parole:
Toute ma vie…»
Il retient un sanglot
«…j’ai travaillé chaque fois que la France me l’a demandé».
Les mots s’emballent.
«Au Mexique, sur les problèmes de pêche. Pour Elf, sur Leuna Minol. Sur la certification des Mig AT, l’avion russe. Sans moi, jamais la France ne l’aurai eu. J’ai dépensé des millions de dollars, je n’ai rien demandé. Tout ce que je voulais, c’était gagner. Je n’ai pas rétrocédé d’argent… quand je pense à cette off-shore, Salina…»
Il pleure.
Reprenez-vous, M. Guelfi».
J’en ai gros sur le cœur, M. le président, excusez-moi».

A son tour, André Tarallo s’approche du micro. Il raconte sa conversion.
Je crois que… au terme des interrogatoires, je suis différent de ce que j’étais au début de ce procès. Certes, j’ai commis des erreurs dans ma vie. J'ai été un homme discret, c'était nécessaire. Quand Elf est sorti de cette discrétion, elle a perdu. Dans ma vie professionnelle, j'ai beaucoup plus écouté que parlé. Je n’ai jamais envisagé de raconter ma vie, car j’aurais pu dire des choses sur la politique pétrolière française, les relations entre les hommes et le pouvoir. Mais cela ne m’appartenait pas. Ou j’étais discret ou j’étais banni de la confiance qui m’a été donnée depuis très longtemps. J’ai été discret, j’en paie aujourd’hui les conséquences
Il s’arrête un instant.
«Bien sûr, j'ai commis des erreurs, comme cette villa corse qui ne me ressemble pas. C'est un boulet, une chose pénible. Je la regrette».
Et l'ancien Monsieur Afrique poursuit.
«Je regrette aussi que l'Afrique ait été autant mêlé aux débats. Elle mérite mieux que ce qu'on en a dit. Pierre Guillaumat (Ndlr : le fondateur d'Elf) disait qu'on pouvait transformer le pétrole en route. Mais ce n'est pas bien, car l'argent se perd entre les deux. Il faut que les responsables pétroliers disent aujourd'hui aux Africains la chance qu'ils ont de développer leurs pays, d'assurer les besoins fondamentaux de leur population. Je vais me consacrer, avec les gens que je connais, à faire en sorte qu'il y ait une plus juste répartition. Si j'ai pu contribuer à une certaine dispersion de l'argent, je le regrette».
Les yeux rougis, André Tarallo se rassoit. L’ex-PDG et son conseiller de l’ombre ne bougent pas, ils ne diront rien. L’audience est suspendue.

La justice financière a retrouvé des couleurs

Un mois avant la dernière plaidoirie, une question taraude ses acteurs: que restera-t-il de ce procès unique ? A tout seigneur… d’abord une vraie démonstration du monde judiciaire. D’un début d’instruction plutôt chaotique à la maîtrise sereine des débats, chaque juge aura fait son travail. Eva Joly, en traitant ses prestigieux mis en examen comme de vulgaires petits malfrats, aura réussi à tirer les fils de l’écheveau. A Genève, Paul Perraudin se plongera au cœur des flux financiers, pour fournir la matière première des qualifications pénales. De retour à Paris, l’instruction sera bouclée par un méthodique Renaud Van Ruymbeke, qui synthétise les intuitions de départ pour les imbriquer aux tableaux comptables helvétiques. Le tout est digéré par le président Michel Desplan, dont tous les ténors du barreau -chose rare- saluent aujourd’hui le travail et la maîtrise. Peut-être pour faire oublier leurs propres lacunes (les vrais connaisseurs du dossier se comptent sur les doigts de la main) et leurs critiques passées (une instruction bâclée, à charge…).

D’un bout à l’autre, c’est le grand mérite de ce dossier, les juges auront respecté la procédure. Du coup, la justice financière, très critiquée ces derniers mois, retrouve quelques couleurs. Et le reste ? Le pétrole, le financement politique, la grande diplomatie, l’Afrique… Hors procédure, ont répondu les magistrats, avec l’argument que ce n’est pas à eux, juges, de faire de la politique. De leur côté, les prévenus ont encore démontré, au cours de ces 32 audiences, qu’ils n’étaient pas prêts à briser l’omerta des affaires. Par devoir, par honneur, par intérêt…Pour ne pas être une «balance», c’est si mal vu en France. A l’heure du jugement, même s’ils sont passés au travers des mailles du filet judiciaire, les politiques auront sûrement à tirer les leçons de cette affaire Elf.



par David  Servenay

Article publié le 30/05/2003